mercredi 29 mai 2013

Jeudi 30 mai : La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde. Cette merveilleuse loi de 1905


Connaissez-vous la loi sur le commerce de 1905 ?

C'est une merveilleuse loi, puisque font, en substance, elle réclame que les produits alimentaires dont il est fait commerce soient sains, loyaux,  marchands.

Sain : cela signifie que les produits ne nous empoisonnent pas.

Loyaux : cela signifie que ce dit être vendu correspond à ce qui l'est vraiment. 

Marchand : cela signifie... Un  exemple simple : quand  : on achète des pommes,  le marchand  ne doit pas nous vendre des tonnes tallées, abimées, et c'est pour cette raison  que l'on voit les marchands des quatre saisons, les épiciers, les responsables de rayonnages dans les grandes surfaces, retirer progressivement, au cours de la journée, des produits endommagés.

Evidemment aucun produit n'est parfaitement sain, parfaitement loyal, parfaitement marchand ! Par exemple, à propos de santé : dans les girolles, réputées saines, il y a de l'amanitoïdine, un composé toxique de l'amanite phalloïde. Dans l'eau de vie, il y a de l'éthanol, l'alcool commun, lequel est un poison.
Toutefois c'est une bonne chose de ne pas confondre le gros et le détail. Le gros, cela consiste à  dire du vin, une eau-de-vie sont sains si l'on n'en abuse pas, par exemple.

C'est pour cette raison que la loi de 1905 est merveilleuse ! Nous pouvons chercher à l'améliorer  , car toute chose humaine est perfectible ; nous devons l'améliorer... mais quand même, cette loi est merveilleuse.





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

mardi 28 mai 2013

Mercredi 29 mai. J'ai vu pour vous... Vive le Palais de la découverte


Discutant avec des étudants en stage au laboratoire, je m'aperçois que beaucoup ne connaissent pas le Palais de la découverte, notamment parce qu'ils habitent en province. Je dois donc prendre en un peu de temps, ici, pour expliquer ce dont il s'agit... et vous inviter tous à aller dans cet endroit merveilleux, à y aller, à y retourner, encore et encore !

Les présentations générales étant souvent un peu abstraites, je propose de considérer, par exemple, la salle consacrée à l'azote liquide.
Dans cette salle,  des sièges autour d'un démonstrateur qui fait des expériences.
Car c'est là l'une des marques essentielles du Palais de la découverte : faire des expériences afin de présenter des phénomènes, des avancées de la connaissance scientifique. 

En l'occurrence, le démonstrateur plonge, par exemple, une feuille d'arbre dans de l'azote liquide, liquide très froid, qui congèle instantanément l'eau  de la feuille : les  tissus végétaux deviennent alors cassants comme du verre... mais ils redeviennent souples quand ils se réchauffent. De même un tuyau de caoutchouc, plongé dans l'azote liquide, devient cassant, mais, quand il se réchauffe, il  reprend son élasticité.

Une expérience encore plus extraordinaire consiste à plonger un tison rougeoyant  non plus dans de l'azote liquide, mais dans de l'air liquide  : on voit alors une lueur bleue extraordinaire et le tison s'enflamme à nouveau dans certaines circonstances...

« Certaines circonstances » ? Je vous propose de ne pas répondre ici, et d'aller au Palais de la découverte, afin de voir par vous-même de quoi il retourne.
Ajoutons que l'expérience dont je fais état ici  n'est qu'une toute petite partie du Palais. Il y a mille choses passionnantes, des journées entières à passer au Palais de découverte, car les démonstrations sont nombreuses, pour la physico-chimie, la biologie, etc.


Vive le Palais de la découverte, qui doit absolument rester en plein centre de Paris, dans ce Grand Palais qui doit s'enorgueillir d'abriter le Palais de la Découverte. 










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Mardi 28 mai 2013 : La connaissance par la lorgnette de la gourmandise. Rions de l'oeuf dur !


On aura compris que ce blog est « détendu » : pas de politique, pas de religion, pas d'armée... sujets que la politesse recommandait d'éviter absolument, dans les diners bourgeois. Ici, rien que du bonheur, de l'enthousiasme. Et, aujourd'hui, me voici en position d'adorer ce que je brûlais : les mauvais oeufs durs. Avec le sourire, bien sûr !



Commençons par le commencement : il y a des années, voire des décennies (au moins deux), j'avais discuté la question de l'oeuf dur parfait, que je croyais être le suivant : écallage facile, blanc non caoutchouteux, jaune non sableux, pas de cerne vert, jaune centré dans le blanc, pas d'odeur de soufre...

C'est cette description qui m'a conduit à inventer les oeufs à 61°C, les oeufs à 62°C, les oeufs à 63°C, les oeufs à 64°C, les oeufs à 65°C, les oeufs à 66°C, bref, les oeufs à 6X°C... qui sont maintenant dans de très nombreux restaurants.

Tout semble donc bien dans le meilleur des mondes possibles, comme le disait Voltaire dans son Candide... à cela près que j'avais tout faux.

Oui, j'avais tout faux, à commencer par croire qu'un oeuf dur parfait pouvait exister.
Car j'ai rencontré des gens qui aiment les oeufs durs avec une odeur de soufre... parce que leur grand mère les leur faisait ainsi ! Et qui suis je pour leur imposer mon goût ?
D'ailleurs, même pour moi-même, l'oeuf dur parfait n'existe pas : certains jours, je les veux plus durs, d'autres fois plus mous...
Selon l'accompagnement, également, il les faut d'un certain type plutot qu'un autre.

Bref, la quête était plus importante que le résultat. De même, il vaut mieux se promener en montagne sans trop penser au sommet, sans quoi on est toujours malheureux de ne pas y être. Promenons nous activement.

Tout faux, également, parce que le soufre n'a pas d'odeur ! Le soufre est une poudre jaune, inodore... et c'est seulement ses dérivés (certains) qui sont odorants !

Enfin, et surtout, l'hydrogène sulfuré, qui est le gaz qui se forme lors de la cuisson prolongée des oeufs... est plus efficace que le Viagra ! Pas à haute dose, car il est toxique, mais à petite, à dose modérée.
Bref, mangeons des oeufs durs... en souriant.








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

dimanche 26 mai 2013

Lundi 27 mai 2013 : Nous sommes ce que nous faisons...


Sur mon ordinateur, en fond d'écran, il y a marqué "Mir isch was mir macht", ce qui signifie Nous sommes ce que nous faisons...

Je profite d'une semaine où les rendez vous ne sont guère publics (pour ce qui me concerne, interventions dans des congrès scientifiques, construction de programmes de travail, recherche de financement, rédaction de publications, travaux de calcul et de science, enseignement) pour examiner la chose avec plus de recul.
Nous sommes ce que nous faisons ? Oui, il faut donner ce message encourageant aux jeunes qui n'ont pas le sentiment d'être très intelligent, à ceux qui voient des camarades réussir à l'école, au collège, au lycée, alors qu'eux-mêmes ont des notes médiocres... alors que les autres leur disent qu'ils ne travaillent pas. 
C'est un mensonge ! Il n'y a guère de miracle, et quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris. Soit parce qu'il ou elle a été particulièrement attentif (car l'école, le collègue, le lycée, il n'y a guère de choses difficiles), soit parce qu'il ou elle a travaillé.


Labor improbus omnia vincit, le travail acharné vient à bout de tout, dit le proverbe latin. Pour l'Alsacien, je propose un proverbe aménagé par mes soins : D'r Schaffe het süssi Wurzel un Frucht, le travail a des racines et des fruits délicieux.

Courage !

PS. A ce moment même, je vois dans la rue  une publicité qui écrit "Je suis ce que je fais". Ferais-je enfin école ?






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Dimanche 26 mai 2013 : Les merveilleuses applications des sciences : les cristaux de vent


L'innovation en matière de « cuisine » ?

Dans notre monde un peu snob, la « cuisine » est une activité bien prosaïque, bien peu « sérieuse »... mais l'industrie alimentaire fait-elle autre chose que de produire des aliments, tout comme les font les cuisiniers, mais à une autre échelle ?
Il suffit de regarder les rayonnages des boutiques pour constater que non : si innovation il y a, dans l'industrie alimentaire, elle concerne surtout les méthodes de production, leur sécurité, la régularité de la qualité, le conditionnement.

Donc que les cuisiniers ne soient pas timides : leurs « innovations » valent bien celles d'un monde « sérieux » (parce qu'il y a de l'argent en jeu).


Toute celle longue introduction pour observer qu'il est remarquable que l'on n'ait pas, pendant longtemps, véritablement tiré le meilleur parti des ingrédients alimentaires. Savez vous, par exemple, combien on peut faire de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf ? Des litres et des litres, indique un calcul simple. En pratique, des élèves de lycée hôtelier parisien ont battu le record du monde, avec plus de 40 litres.

Comment cela est-il possible ? Partons d'un blanc d'oeuf, lequel est fait de 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. Battons : le fouet fait « foisonner » le liquide.
Autrement dit, le fouet introduit des bulles d'air dans le liquide,  et l'on obtient une mousse. Pas beaucoup, il faut le dire.
Après un certain temps, les bulles deviennent si petites et serrées qu'on ne les voit plus, que la mousse est « ferme », mais le volume n'augmente plus. Pourquoi ?

Il peut manquer de l'eau, des protéines, de l'air. Lequel fait défaut ? Pour le savoir, il suffit d'essayer, par exemple en ajoutant de l'eau, et c'est ainsi que l'on constate que l'eau manquait effectivement. On bat, on ajoute de l'eau, on bat encore, on ajoute de l'eau... et ainsi de suite, le volume augmentant de plus en plus.
En novembre 2013, des élèves ont ainsi battu pendant plus de deux heures et demie, au Rectorat de Paris, et ils ont obtenu plus de 40 litres. A partir d'un seul blanc d'oeuf !
Au fait, si l'eau ajoutée a du goût (jus d'orange, par exemple), et si l'on sucre, alors la mousse obtenue peut être cuite comme une meringue, et l'on obtient l'invention que j'ai nommée « cristaux de vent ».


N'est-ce pas que les applications de la science quantitative sont belles ?





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Vive la science quantitative : Merveilleuse méthode du zéro


Quand j'étais étudiant, j'ai reçu en cadeau de mes enseignants une extraordinaire idée, qui a pour nom la méthode de zéro.

Elle fut sans doute inventée par le physico-chimiste Antoine Laurent de Lavoisier, quand il faisait des expériences sur les bouillons de viande, mais la méthode est plus facile à présenter quand on prend un exemple, en électricité.

Imaginons un courant de très forte intensité, par exemple 1000 ampères, avec des variations que nous voudrions déterminer, d'amplitude maximale de 1 ampère seulement. Mille fois plus petites que le « signal », donc.

La méthode du zéro, en substance, consiste à soustraire au signal fluctuant un signal constant d'exactement 1000 ampères. Alors le signal total est la somme de signal constant et du signal variable, ce qui signifie que les variations du signal somme sont de 1 ampère, autour de 0 ampère : cette fois, les variations sont considérables !

Lavoisier  avait mis en oeuvre cette méthode de façon beaucoup plus subtile, alors qu'il mesurait la densité les bouillons, mais c'est une autre affaire, qui a été racontée notamment dans un texte publié aux Comptes rendus de l'Académie des sciences (Hervé This, Robert Méric, Anne Cazor, Lavoisier and meat stock. C.R.A.S Chimie, 2006, 11-12, 1511-1515, doi:10.1016/j.crci.2006.07.002.). Je n'y reviens pas, car c'est un détail au vu de la très grande généralité de la méthode, laquelle s'applique chaque fois que l'on veut mesurer une petite variation d'un signal bien plus grand. Louis Marie Ampère est crédité de cette méthode, mais il faut rectifier : Lavoisier la proposa avant lui.

Elle est essentielle, parce que, en substance, elle propose de regarder le gros avant le détail : d'abord, on considère le gros, on mesure en gros le signal, puis on passe au détail, la variation. 

Quelle merveilleuse méthode !

jeudi 23 mai 2013

Vendredi : des questions... à propos du séminaire qui s'est tenu hier

Hier, lors du séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons donc étudié l'importance du moule dans lequel on cuit le kougelhopf.
Nous avons comparé d'une part des petites préparations en disque, posées respectivement sur du verre, du silicone, du métal (aluminium), avec différentes masses, afin de voir l'importance du "cercle" périphérique, qui tenait les masses de pâte. D'autre part, nous avons comparé deux moules de mêmes taille et formes, mais soit en terre, soit en métal (fer).
Tous les kougelhopfs, modèles ou réels, ont été cuits ensemble, dans le même four... mais nous avons vu que, même avec de la convection forcée, les positions dans le four ne sont pas exposées au même chauffage. Ce qui n'a pas, vu les dispositions prises, entamé la qualité des résultats.
Ces derniers sont clairs : d'une part, les dégustateurs (tests triangulaires!) ont perçu la différence entre la cuisson sur silicone et sur verre. D'autre part, ils n'ont pas vu la différence entre silicone et métal... alors que l'apparence visuelle était très différente, la cuisson sur métal ayant produit des kougelhopfs à la croute plus noircie.

D'autre part, en moule, les dégustateurs ont nettement vu la différence entre le moule en terre et le moule en métal... et le moule en terre a été bien plus apprécié.

Enfin, nous avons comparé des recettes, et bien vu que certaines tirent vers le beurre, d'autre vers le sucre, d'autres vers l'oeuf. Laquelle est la meilleure ? Celle que vous préférez, bien sûr.

Reste la question de l'importance de la taille des moules  : voulez vous profiter du week end pour faire l'expérience ? Je propose une recette :


250 g de farine, 50 g de sucre en poudre, 100 g de beurre, une bonne pincée de sel, 1 oeuf entier et un sachet de levure de boulanger lyophilisée.
Chauffer 1/8 de L de lait (tiède, pas bouillant) et le verser sur le beurre qui émerge de la terrine. 
Battre, faire lever. Rabattre, faire lever. Rabattre, faire lever. 
Cuisson à 180 ° C pendant 50 minutes 

Reçu ce matin

D'un correspondant qui ne parvenait pas à laisser un commentaire :

In « Paris ma bonne ville » Fortune de France III – Robert Merle –



Si fait, dit Ramus avec un vif brillement de l’œil, Aristote a un grand mérite : il enseigna la mécanique, preuve qu’il ne déprisait point la populaire et commune usance de la mathématique comme Platon avait fait, lequel ne voyait en elle qu’une pure contemplation, sans permettre à ses disciples de se souiller en mettant la main à ses applications. Ha ! Monsieur ! Que de mal a fait au monde cette lamentable erreur de Platon ! Car, à laisser dépérir l’usance que l’on
fait de la mathématique, la mathématique elle-même dépérit. Raison pour quoi,
depuis les anciens Grecs, la mathématique a fort chétivement prospéré au point
qu’en France elle est ce jour d’hui tout à plein désenseignée, et n’est connue,
pour les besoins de leurs états, que des marchands, des navigateurs, des
orfèvres et des trésoriers royaux.

— Quoi ? dis-je, béant, la mathématique en France désenseignée, alors qu’en Allemagne, elle fleurit ! Comment cela est-il possible ?

— Monsieur de Siorac ! dit Ramus, sa forte face s’animant de dol et de courroux, le Roi ayant créé pour moi la première chaire de mathématique du Collège Royal, je l’occupai non sans éclat ni utilité pendant dix ans – au bout desquels ayant quitté la religion du Roi, je dus aussi quitter ma chaire, laquelle fut achetée par un quidam qui savait à vrai dire quelque mathématique, mais bientôt lassé par l’âge, la revendit. Et savez-vous qui l’acheta ?

— Non point, dis-je, étonné de la fureur qui agitait Ramus, ses mains, ses bras et sa tête branlants en son irréfrénable ire.

— Un indocte ! hucha Ramus, un indocte qui n’en sait totalement rien ! un indocte qui n’en a fait ni étude ni profession ! un indocte qui publiquement se gausse de la science qu’il est censé enseigner et a le front de répéter que la mathématique n’est qu’abstraction tant vaine et fantastique qu’elle ne peut apporter aucune utilité à la vie humaine !

Ayant dit et comme étouffé par son propre courroux, il s’accoisa, tout le corps cependant frémissant. Et comme je l’envisageais béant et à vrai dire quasi douteur et incrédule, Pierre de l’Étoile, discernant ma doutance, dit d’un air grave :

— Cela est vrai, Monsieur de Siorac, combien que cela puisse paraître en raison incrédible. Cet « indocte », comme dit M. de la Ramée, se nomme Charpentier, il ne sait pas un traître mot de la mathématique et s’il a pu en acheter la chaire au
Collège Royal, c’est en raison du puissant appui que lui apportèrent le Duc de
Guise et les Jésuites, pour ce que notre quidam est catholique zélé, dévot,
hurlant avec les loups, au demeurant petit homme venimeux, fielleux et
rancuneux qui hait à mort notre ami que voilà – lequel a confondu son
abyssale ignorance.

— Ha ! dit Ambroise Paré, arrêtant sa lente mastication, je connais bien ces haines sorboniques ! À chaque fois que les découvreurs de notre temps, saillant de l’ornière scolastique, ont trébuché sur quelque vérité, il n’est si petit pédant en Sorbonne, qui, juché sur Aristote comme un corbeau sur un clocher, n’ait
croassé contre eux un milliasse d’injures ! Ainsi contre moi pour avoir
osé mettre la main à la pâte et découvrir au bout de mon cotel ce que mes
censeurs n’avaient pu trouver dans leurs livres. Et pourtant, bien peu chaut à
la commune usance et à l’utilité publique qu’un quistre hérissé de grec aille
pillant Hippocrate et en sa chaire royale caquette de la chirurgie, si sa main
n’y a d’abord besogné ! Ce n’est point dans une bibliothèque mais c’est
sur le champ de bataille que j’ai imaginé de ligaturer les artères.

— Ha ! Révérend Maître ! criai-je avec chaleur, les navrés de nos guerres vous en auront une reconnaissance éternelle, car à vrai dire la cautérisation des plaies des amputés par l’huile et le feu entraînait un pâtiment affreux !

— Lequel, dit Ambroise Paré en secouant la tête, venant après l’amputation, était si strident que souvent il entraînait la mort. Quoi observant et ayant dans les oreilles les hurlements des soldats dont on brûlait cruellement les membres amputés, je me dis que, le flux du sang s’écoulant par les artères, il me suffirait, les ayant pincées, de les lier pour que le flux cessât.

Ce qui parut tout simple à être énoncé aussi simplement qu’il le fit, tant est enfin qu’on s’étonnait qu’aucun chirurgien au monde n’y eût rêvé avant lui. Et pourtant, me pensai-je, celui-là qui l’a trouvé ne savait ni grec ni latin, et n’était point docteur médecin 

Vous avez bien dit, Paré, dit Ramus s’échauffant, mettre la main à la pâte, voilà ce que nos escouillés de Sorbonne ne sauraient à quiconque pardonner, eux qui sont assis dans leur trou de rat à se conchier sans fin de leur fausse science livresque ! Ainsi l’indocte Charpentier, déprisant ce qu’il ne sait, va répétant que « compter et mesurer sont les fientes et les ordures de la mathématique ». Et nos
platoniciens d’applaudir, qui mettent la contemplation des idées au-dessus de
tout. Et certes, poursuivit-il (ce mot « certes » trahissant le huguenot, comme je le savais de la veille par Mme des Tourelles), les théorèmes de la mathématique sont, de soi, admirables et profonds, mais combien plus émerveillables les fruits qu’on en tire pour la commodité de l’homme ! Je tiens les spéculations sur l’essence des entités mathématiques pour vaines et sans profit. La fin des arts est dans l’usance qu’on en fait, tant est qu’il est à la fin au rebours du bon sens de chercher l’or au-dedans de la terre si on néglige de cultiver les légumes à sa surface.

— Ha ! dis-je, l’excellent apophtegme et comme il agréerait à mon père s’il le pouvait ouïr de vous !

— Raison pour quoi, reprit Ramus, Archimède est grand, point seulement par ses théorèmes, mais par les applications qu’il en fit : la vis sans fin, la poulie, les roues dentées, les machines de guerre, et jusqu’à ces grands miroirs par quoi il incendiait les navires romains qui assiégeaient sa petite patrie. Savez-vous, Monsieur de Siorac, poursuivit-il en se tournant vers moi qui l’oyais avec ravissement, savez-vous que les Sorboniques m’ont blâmé pour avoir inséré dans mon livre sur l’arithmétique des méthodes de calcul qui sont de commune usance parmi les marchands de Saint-Denis ? On n’a point osé dire que ces méthodes étaient fausses et, havre de grâce ! comment l’eût-on prouvé ? Mais on a
prétendu qu’elles étaient souillées par la pratique qu’en faisaient les gens
mécaniques ! Ha ! cria-t-il en élevant les deux bras en son récurrent
courroux, le mauvais préjugé de ces pédants pédantizés !

lundi 20 mai 2013

Mardi 21 mai 2013 : La Connaissance par la lorgnette de la gourmandise : La sauce kientzheim


Cette fois, laissez-moi vous parler, comme promis, d'une sauce absolument extraordinaire, que j'ai nommée sauce kientzheim.




Pour comprendre la nouveauté, partons de la sauce mayonnaise.
Elle s'obtient en mêlant du jaune d'oeuf et du vinaigre, puis en ajoutant de l'huile goutte à goutte pendant que l'on fouette.
Pas de moutarde, sans quoi on obtient une sauce rémoulade, et non plus d'une sauce mayonnaise. Les sauces mayonnaise et rémoulade sont différentes, parce que la moutarde apporte un savorisme particulier. Pourtant ces deux sauces sont des émulsions, elles sont cousines.

Émulsion : cela signifie que ces sauces sont constituées d'une myriade de gouttelettes dispersées dans la phase aqueuse, dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre. Le mot « émulsion » fut introduit en 1560 par Ambroise Paré, chirurgien de plusieurs rois de France, et le mot vient de emulgere, qui en latin signifie traire. De fait, on trait les vaches pour obtenir du lait, lequel est une émulsion, composé de gouttelettes de matières grasses dispersées dans l'eau : le lait effectivement est un cousin physico-chimique de la sauce mayonnaise. Ou, plus exactement, la sauce mayonnaise et une cousine artificielle (ce qui signifie : un produit de l'art) du lait.

D'autre part les gourmands connaissent et apprécient les sauces hollandaises et béarnaises : ces deux sauces sont des cousines physico-chimiques, qui ne diffèrent l'une de l'autre que par l'emploi d'estragon dans la béarnaise, pour simplifier.
En principe, on les produit en chauffant du jaune d'oeuf avec de la matière grasse, et il y a plusieurs procédures possibles, mais, dans tous les cas, l'oeuf coagule,  ses protéines faisant de microscopiques agrégats qui donnent de la consistance à la sauce.
Cette fois, le système physico-chimique n'est plus l'émulsion, mais la « suspension émulsionnée » : « suspension », parce qu'il y a des agrégats microscopiques solides en suspension dans le liquide ; « émulsionnée », parce qu'il y a effectivement de la matière grasse, le beurre fondu,  qui a été divisée en gouttelettes,  dispersées également dans la phase aqueuse.

Faisons maintenant la synthèse : dans les sauces hollandaises comme dans les sauces mayonnaise, il y a la matière grasse, mais cette matière grasse n'est pas la même. Dans la mayonnaise, c'est de l'huile, mais dans la béarnaise, c'est du beurre fondu. Le beurre fondu ? Quel délice !


Pourrait-on alors produire une émulsion où la matière grasse serait du beurre fondu ? C'est cela la sauce kientzheim.

La recette : fondons préalablement du beurre, en le chauffant, puis attendons qu'ils refroidisse un peu, sans quoi il ferait cuire les jaunes d'oeufs ;  on l'ajoute alors à du jaune d'oeuf en le fouettant comme si c'était de l'huile  d'une mayonnaise. La sauce obtenue est une sauce kientzheim, une émulsion, et non une suspension ou une suspension émulsionnée.

En pratique ? Je vous propose de partir d'un jaune d'oeuf,  de lui ajouter le jus d'un citron, beaucoup de poivre,  un peu de sel, et d'utiliser plutôt que du beurre fondu du beurre noisette fondu et pas trop chaud. Ajoutez en fin  de préparation quelque câpres, et vous aurez une sauce tout à fait extraordinaire.

Pourquoi ce nom de sauce kientzheim ? Pour mille  raisons compliquées, mais il suffira de dire que Kientzheim est le nom d'un village du Haut-Rhin, situé près de Colmar. Un merveilleux village médiéval, coquet, où il fait bon manger pour vivre. Bon appétit !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

Lundi 20 mai 2013 :Nous sommes ce que nous faisons. A venir cette semaine



Cette semaine, nous aurons mille travaux variés, mais le plus « public » sera le séminaire de gastronomie moléculaire, où nous explorerons l'importance du matériau qui fait les moules à kougelhopfs. Question trop particulière ? Non, car elle se pose de la même façon pour d'autres produits, tels la brioche, ou même le cake. 
 
A vrai dire, l'analyse est facile : le matériau peut déterminer le résultat soit par son état de surface, qui détermine l'état de surface de l'aliment, soit par sa conductivité thermique, c'est-à-dire la façon de transmettre la chaleur, soit par sa capacité calorifique, en cela qu'il peut s'échauffer plus ou moins vite (cela a quelque rapport avec l'épaisseur.
Par exemple, un moule épais, médiocre conducteur, ne laissera la chaleur passer que lentement, de sorte que le produit pourra être chauffé modérément, avant d'atteindre une température à la quelle il cuira. Inversement, dans un moule métallique, la chaleur se transmettra rapidement, ce qui pourra permettre une évaporation de l'eau au contact du moule (la température du four étant généralement supérieure à 100 degrés, pour la cuisson des gâteaux).
La forme, aussi, est importante, comme nous l'avons déjà vu avec les madeleines.

Bref, cette séance risque d'être éclairante. 

Rendez vous jeudi 23, au 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris, à 16 heures. Entrée libre.

dimanche 19 mai 2013

Nous sommes ce que nous faisons. A venir cette semaine



Cette semaine, nous aurons mille travaux variés, mais le plus « public » sera le séminaire de gastronomie moléculaire, où nous explorerons l'importance du matériau qui fait les moules à kougelhopfs. Question trop particulière ? Non, car elle se pose de la même façon pour d'autres produits, tels la brioche, ou même le cake.



A vrai dire, l'analyse est facile : le matériau peut déterminer le résultat soit par son état de surface, qui détermine l'état de surface de l'aliment, soit par sa conductivité thermique, c'est-à-dire la façon de transmettre la chaleur, soit par sa capacité calorifique, en cela qu'il peut s'échauffer plus ou moins vite (cela a quelque rapport avec l'épaisseur.
Par exemple, un moule épais, médiocre conducteur, ne laissera la chaleur passer que lentement, de sorte que le produit pourra être chauffé modérément, avant d'atteindre une température à la quelle il cuira. Inversement, dans un moule métallique, la chaleur se transmettra rapidement, ce qui pourra permettre une évaporation de l'eau au contact du moule (la température du four étant généralement supérieure à 100 degrés, pour la cuisson des gâteaux).
La forme, aussi, est importante, comme nous l'avons déjà vu avec les madeleines.

Bref, cette séance risque d'être éclairante. Rendez vous jeudi 23, au 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris, à 16 heures. Entrée libre.

Dimanche : Les merveilleuses applications des sciences : La crème anglaise


On fait une crème anglaise : on mélange des oeufs et du sucre, et les recettes indiquent de fouetter pour faire « le ruban ». De quoi s'agit-il ? Est-ce utile ?



Faire le ruban, cela signifie fouetter de sorte que la préparation, initialement bien jaune, blanchisse. Si l'on regarde bien, on observe que les grains de sucre, qui donnaient une apparence granuleuse à la sauce, ont progressivement disparu : on pressent que le sucre s'est dissout dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf, et, en effet, un jaune d'oeuf, c'est 50 % d'eau. La consistance, change, également. Et je vous invite à ne pas lésiner sur le travail : ce n'est pas un début de changement que l'on peut voir, mais une transformation considérable. Pour ce qui me concerne, j'ai arrêté de faire le ruban à la main, parce qu'il est bien mieux fait à la machine.



Est-il utile de faire le ruban ? 

L'expérience qui consiste à ne pas faire le ruban, à laisser les jaunes d'oeufs et le sucre sans les agiter, montre que, effectivement, faire le ruban est utile : sinon, le sucre « cuit » le jaune, ce qui signifie que si on laisse le jaune et le sucre pendant un certain temps et si l'on essaye ensuite de fouetter, alors les grains de sucres subsistent sans se dissoudre. Or il faut bien que le sucre se dissolve, pour donner un goût sucré !

Cela étant, il reste le phénomène de l'éclaircissement de la couleur, et, pour le comprendre, il faut utiliser un microscope, qui montre une myriade de bulles d'air toutes petites, dispersées dans dans la préparation. De même que les bulles d'air dispersées dans un blanc d'oeuf, initialement jaune et transparent (oui, le blanc d'oeuf est jaune), font un blanc en neige blanc et opaque, de même le jaune d'oeuf que l'on fouette devient la somme du blanc plus du jaune, c'est-à-dire jaune pâle, quand on le souhaite vigoureusement et qu'on y introduit de nombreuses bulles d'air.

Tout cela est bien joli, mais culinairement, à quoi bon ? Lors d'un de nos séminaires, nous avons donc comparé deux crèmes anglaises identiques en tout point à l'exception du ruban, qui était fait sur une moitié de la préparation et pas sur l'autre moitié. Nous avons ensuite ajouté le lait, puis cuit de la même façon les deux préparations, c'est-à-dire en faisant des huit avec une spatule qui raclait le bien le fond de la casserole pendant qu'on la chauffait, et nous avons organisé un test sensoriel avec l'aide des participants du séminaire de gastronomie moléculaire.


Le résultat était clair :
les crèmes anglaises où l'on fait le ruban sont plus mousseuses, plus onctueuses en quelque sorte que les autres. Évidemment, dans certaines circonstances, on ne souhaite pas que la crème anglaise soit ainsi, et on la voudrait plus régulière, plus homogène.

Toutefois l'expérience nous met maintenant en possession de deux crèmes anglaises, l'une légèrement mousseuse et l'autre non.


Autrement dit, la recherche en gastronomie moléculaire conduit à disposer de deux outils culinaires au lieu d'un seul. Et c'est ainsi que la cuisine de demain sera encore plus belle que celle d'aujourd'hui !









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

vendredi 17 mai 2013

Samedi 18 mai 2013 : Vive les sciences quantitatives ! : les beautés du calcul


La science, c'est le calcul, et le calcul, c'est un grand bonheur...


La massification des systèmes d'enseignement a conduit un nombre croissant de citoyens à juger que le calcul, les mathématiques, étaient rebutants. D'une part, avec des classes nombreuses, les enseignants du premier degré (l'école) et du second degré (le collège, le lycée) n'ont que difficilement la possibilité de faire comprendre aux jeunes les merveilles du calcul, du raisonnement abstrait, formel.
Sans compter que nombre d'enseignants eux-mêmes n'apprécient pas toujours ces beautés.


Pourtant... Pourtant, le calcul est  la clé de raisonnements raisonnements généraux, puissants.
Et pourtant, son abstraction n'est pas synonyme d'éloignement particulier par rapport au réel, contrairement à ce que l'on dit hâtivement, car un enfant qui pleure après sa mère n'est-il pas dans l'abstraction, dès le berceau.
Et nos catégories mentales ne sont-elles pas toutes abstraites ?


D'autre part, ce que l'on a suffisamment expliqué, c'est que les pères du calcul formel, tels Leibnitz, Descartes..., ont précisément créé ce calcul parce que les mots étaient encombrants et qu'ils cherchaient des moyens rapides, efficaces, de manier, les idées, les catégories.
Le calcul fut donc inventé afin de soulager l'esprit, pas de l'embarrasser. Le dire, l'expliquer, devrait être une priorité de cet enseignement.
Au lieu de plonger dans la technique immédiatement, on ferait mieux d'expliquer les raisons de cette technique, les raisons pour lesquelles on a mis cette technique au point, lentement, au cours des siècles.



Un exemple ? Un jour, au XVIII e siècle, un physicien nommé Georg Ohm branche un fil métallique aux bornes d'une pile, et il mesure la différence de potentiel et l'intensité du courant. Il change alors de différence de potentiel, et mesure à nouveau une nouvelle intensité de courant ; puis une autre différence de potentiel, et ainsi de suite...
Regardant les mesures, il observe que la différence de potentiel semble proportionnelle à l'intensité du courant : quand la première est doublée, la seconde aussi. Pour en avoir le coeur net, il calcule le quotient de la différence de potentiel par l'intensité... et il observe, ô merveille!, que le quotient est presque toujours le même. Pas exactement, mais presque !
Il se dit alors que ce sont les erreurs inévitables des mesures qui sont à l'origine des variations, et il énonce que le rapport est en réalité constant. Il trouve une régularité du monde.
Le rapport ? Il le nomme la résistance du fil, sa résistance électrique, une mesure de combien le fil résiste en quelque sorte au passage du courant électrique.

Il y a beaucoup de couples de valeur différence de potentiel -intensité du courant : de quoi remplir une page et des pages, mais si l'on décide de nommer par la lettre U la différence de potentiel et par la lettre I l'intensité du courant, les quotients calculés s'écrivent U/I.
Notons R la résistance et nous obtenons l'égalité R = U/I. Evidemment, puisque nous avons abstrait la différence de potentiel, puisque nous l'avons remplacée par une lettre, nous pouvons mettre n'importe quelle valeur pour cette lettre.
Autrement dit, la relation est R = U/I est universelle : elle s'applique pour n'importe quelle valeur de la différence de potentiel, pour n'importe quelle valeur de l'intensité du courant, pour n'importe fil, caractérisé par sa résistance électrique, à condition que ces valeurs soient toujours liées par la relation R = U/I.
Imaginons que nous ayons maintenant entre les mains le fil dont Ohm est parti. Avec l'égalité R = U/I, il n'est plus nécessaire de faire l'expérience : si nous connaissons la valeur de la différence de potentiel que nous allons appliquer, alors nous pouvons calculer, prévoir, l'intensité du courant qui traversera ce fil métallique.


Dans cet exemple, le calcul est réduit à sa plus simple expression : une égalité, un quotient. Dans d'autres cas, évidemment on enchaîne les équations aux équations, les égalités aux égalités, et l'on monte un échafaudage de plus en plus haut.
Pour arriver au sommet de cet échafaudage, il faudra partir évidemment de la base, il serait d'une présomption inouïe que de vouloir atteindre le sommet sans passer par les différents niveaux.
Bien sûr, certains d'entre nous sont plus agiles, grimpent plus vite, et atteignent plus vite le sommet, mais nous devons tous doivent passer par les mêmes échelons.
Ceux qui n'ont pas l'habitude de montrer ainsi d'étage en étage de calcul trouveront cela difficile, mais ce n'est difficile que pour eux, et ils doivent doit se réjouir, avec au beaucoup d'optimisme, que, l'entraînement les rendra capables de grimper de façon plus agile.
Oui, c'est cela une des beautés du calcul : comme nombre de capacités humaines, le calcul s'apprend, l'on en devient de plus en plus agile à mesure que l'on s'entraîne.
Travaillez, prenez de la peine, c'est le soin qui manque le moins, disait le bon Jean de la Fontaine.



Pour en revenir en calcul, nous avons l'obligation morale de dire à tous autour de nous qu'il s'agit de quelque chose d'amusant, de passionnant, de facile... Et comme le calcul est une des composantes essentielles des sciences quantitatives, nous n'avons pas à nous forcer pour clamer : vive le calcul !







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

jeudi 16 mai 2013

Vendredi 17 mai 2013 : Vendredi, le jour des questions.



L'enthousiasme, la passion des pour les sciences quantitative ne doivent pas nous empêcher d'avoir un peu de clairvoyance. Aujourd'hui, c'est de science des aliments dont je veux vous entretenir. On entend parler de sciences des aliments, de science de l'aliment, de sciences de l'aliment, de science des aliments... Finalement, de quoi s'agit-il au juste ? Dans tous ces noms, il y a « science » et il y a « aliment ».
Commençons par la science. Dans ces billets, je prends le plus grand soin à distinguer les sciences quantitatives et la technologie. Les sciences quantitatives ? Ce sont la physique, la physico-chimie, la biologie... Pour les sciences quantitatives, l'objectif est clair : c'est la recherche des mécanismes des scènes. Voilà pour l'objectif immédiat ; l'objectif le général, fondamental, est de le lait est un coin du grand voile, de mieux comprendre le monde. Des sciences des aliments dignes de ce nom ne doit se pas déroger à la règle: elles doivent donc explorer les aliments, afin de comprendre leur nature, leur constitution. Il s'agit d'une recherche de connaissance pure, puisqu'il s'agit de science et nom de technologie. Une recherche de connaissances, donc, où l'on doit entièrement négliger les possibles applications techniques.
Ces études de sciences quantitatives diffèrent donc des études technologiques qui viseraient précisément les applications. Un exemple : l'oeuf dur. Quand on cuit un œuf dans l'eau bouillante, il durcit. Ce phénomène mérite d'être exploré par les sciences quantitatives. Cependant, si l'on cherchait maintenant à obtenir un œuf dur coagulé et transparent (comme dans les œufs de longévité qui viennent d'Asie), alors ce serait une recherche technologique, et non plus scientifique.
L'aliment, maintenant. Ce n'est pas un ingrédient alimentaire : je propose de ne pas confondre ce que l'on mange, le met, l'aliment, et les ingrédients avec lesquels on obtient l'aliment, c'est-à-dire les ingrédients alimentaires.
Finalement la compréhension des objets que l'on étudie et de l'activité qui est la nôtre me semble être la seule possibilité d'aboutir à une science des aliments juste, claire, efficace. Mon enthousiasme va surtout vers une telle activité. Modestement, toutefois, car je déteste la prétention : pourquoi l'oeuf coagulé durcit-il quand on le cuit dans l'eau bouillante ? Pourquoi le blanc devient-il caoutchouteux après plus de 20 minutes de cuisson ? Pourquoi le jaune devient-il sableux lors d'une cuisson prolongée ? Il est tout à fait extraordinaire qu'au XXIe siècle, de telles questions n'aient toujours pas de réponse. Décidément, il y a de la place pour le travail de jeunes gens talentueux qui comprendront clairement ce qu'ils font.

Jeudi 16 mai 2013 : La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde : couleur des feuilles et peinture


Jeudi 16 mai 2013 : La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde : couleur des feuilles et peinture
Ca y est, c'est vraiment le printemps, et les feuilles sont sur tous les arbres, des feuilles vertes. Regardons, regardons autour de nous, et nous voyons presque toutes les feuilles vertes. Bien sûr, on peut aller chercher la petite bête, et l'on peut découvrir, parfois, des feuilles tirant vers le rouge, mais, en règle générale, les feuilles sont vertes.
Pourquoi vertes ? Parce que les végétaux synthétisent des chlorophylles, c'est-à-dire des composés capables de capter une partie de la lumière du soleil et d'en réfléchir une autre. Cela leur donne une couleur verte.
Est-ce là la fin de l'histoire ? Non, car le monde qui nous entoure est merveilleux. Souvenons-nous de l'automne : les feuilles qui étaient vertes sont devenues rouges, orange, jaune... En effet, les chlorophylles ont été dégradées, et ne sont restés dans les feuilles que les autres pigments, à savoir des caroténoïdes, qui, eux, donnent une couleur rouge, jaune, orange.
Il faut admirer les peintres d'avoir bien compris cela : quand ils peignent des végétaux, ils mêlent toujours une petite quantité de rouge, de jaune ou d'orange au vert, afin que la couleur totale rende bien la couleur des végétaux. Les peintres savent cela intuitivement, et explicitement pour certains : ils savent qu'il faut du rouge dans le vert pour donner la teinte exacte des végétaux qui nous entourent. Décidément il est bien difficile d'observer le monde s'en s'émerveiller : de la complexité du monde naturel, comme de l'intelligence des artistes !

mardi 14 mai 2013

Mercredi : J'ai lu/vu pour vous... : Le dernier numéro de l'Actualité chimique



L'Actualité chimique ? C'est la revue des chimistes français. Et son dernier numéro contient un dossier hors série sur l'enseignement. C'est un numéro important, parce que c'est le premier du nouveau rédacteur en chef, Rose-Agnès Jacquesy. Comment la revue évoluera-t-elle ?
Avant de ne pas répondre à cette question (je n'ai pas de boule de cristal), je propose d'examiner l'importance de la revue. L'Actualité chimique est une revue en français, le plus souvent, qui a pour objectif de souder la communauté des chimistes français. Chimistes ? Les techniciens, les technologues (ingénieurs, cadres de l'industrie), les scientifiques (que je nomme donc physico-chimistes, au terme de l'analyse que j'ai longuement développée dans ce blog et ailleurs ; d'ailleurs, au lieu de « scientifiques », je devrais dire « scientifiques quantitatifs »).
Souder une communauté, à quoi bon ? S'agit-il d'être nombreux pour faire du lobbying ? Pourquoi pas, car le public (auquel nous appartenons tous, moi compris ; je le rappelle : pas de condescendance) a peur de la chimie (sauf quand c'est de l'emploi : mauvaise foi constitutive de l'être humain), qui serait une activité « qui pète, qui pue, qui pollue ». Peut-on lui en faire reproche ? Je crois que non, car l'espèce humaine ne serait pas là aujourd'hui si elle n'avait pas été prudente ; or la prudence est de ne pas se lancer dans des aventures que l'on comprend mal. Sans connaissances sur la chimie, le public a raison de faire attention. Ce qui a pour corollaire que nos sociétés, très techniques, doivent assurer la formation de tous aux notions et concepts relatifs aux sciences, mais c'est une autre affaire, dont il sera parlé une autre fois.

Pour en revenir à la communauté des chimistes, il faut dire que le lobbying n'est pas le principal but. Ce but, c'est surtout de se retrouver entre personnes qui partagent le même enthousiasme pour une activité qu'ils ont appris à connaître. Personne n'est exclu, tout le monde est convié au grand banquet de la connaissance chimique (si l'on peut dire ;-) ). 
Rien de ce qui est humain ne doit nous échapper, pourrait-on dire en paraphrasant Térence ; pour les chimistes, c'est la totalité de l'activité chimique qui mérite d'être découverte... et c'est précisément cela que présente l'Actualité chimique. Les rubriques sont variées, et d'année en année, la qualité de la revue s'améliore, tous les rédacteurs en chefs successifs, toute l'équipe de rédaction, tous les membres du Comité éditorial s'évertuant à faire une revue de plus en plus lisible. Je vous invite à la découvrir !

lundi 13 mai 2013

Mardi 14 mai 2013 : La Connaissance par la lorgnette de la gourmandise : l'oeuf à 6X °C


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La gourmandise, moteur du monde ? Disons d'un certain monde aimable : les gourmands ne peuvent être méchants, puisqu'ils se préoccupent d'être heureux à table, en compagnie.
Le grand chantre de cette idée fut Jean Anthelme Brillat-Savarin, qui énonça cette juste maxime « La découverte d'un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d'une étoile »....

Et c'est pourquoi je suis fier de vous parler des oeufs à 6X °C. De quoi s'agit-il ? D'une invention que j'ai faite il y a bien longtemps, quand je me préoccupais de comprendre pourquoi l'oeuf cuit. Et j'ai ainsi découvert que des oeufs cuits à 62 degrés ne sont pas identiques à des oeufs cuits à 63 degrés, ou à 64 degrés, ou à 65 degrés, ou à 66 degrés, ou à 67 degrés (un de mes chouchous), ou à 68 degrés (pas mal non plus), ou...
A chaque degré correspond un oeuf d'un type particulier, et comme les mathématiciens ont l'habitude de noter par la lettre x un nombre qui n'est pas spécifié, on désigne tous ces oeufs par 6X °C (le « °C » signifie évidemment « degrés Celsius »).

Comment sont ces oeufs ? Très particuliers, et tous différents. Le grand bonheur, c'est qu'ils commencent à être bien présents dans les restaurants, parce qu'ils ont des vertus gourmandes remarquables, que les cuisiniers commencent à apprivoiser. C'est comme si l'on avait inventé une nouvelle couleur et que les peintres de talent l'utilisaient pour faire des tableaux, merveilleux, non ?

Ce qui est encore mieux, c'est que chacun peut les faire chez soi : cela ne coûte... que l'oeuf.
Soit vous avez un lave-vaisselle, et vous pouvez cuire dans le lave-vaisselle (mettez les oeufs dans une poche plastique pour aliments, car la coquille poreuse laisserait passer le détergent), soit vous avez un four, dont vous pouvez régler la température, soit vous avec un circulateur, qui fixe la température de l'eau. Bien des solutions sont possibles... mais, en ce moment, je vous recommande un oeuf à 65 °C avec des asperges, et une sauce kientzheim. Une sauce kientzheim ? Ce sera une autre histoire, qui sera narrée une autre fois !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

dimanche 12 mai 2013

Lundi : Nous sommes ce que nous faisons, voici l'agenda pour cette semaine du 13 mai



D'abord, il s'agit d'entretenir la flamme, à savoir se préoccuper d'enseignement et d'attirer les jeunes à la technologie et à la science... parce que ces activités le valent bien. Il y aura donc des tournages de télévision, comme chaque semaine ; il y aura la finale du Concours des métiers, au Lycée hôtelier René Auffray, demain, mais, surtout, il y aura cette conférence, jeudi soir (18.00), à la Librairie Eyrolles, sur le Boulevard Saint Germain, à Paris (5e).
J'y montrerai de la gastronomie moléculaire, mais surtout l'évolution de la cuisine note à note. A ce propos, je suis très heureux de vous dire qu'un groupe de jeune chef talentueux (et étoilés) vient de me demander une formation, pour un jour prochain. Évidemment, ce sera une formation gratuite, et j'espère que beaucoup de professionnels les rejoindront (dans la limite des places). Cela se fera en dehors des heures du service, mais je crois savoir que l'un d'entre eux est mûr pour : (1) ouvrir bientôt un nouveau restaurant ; (2) y mettre de la cuisine note à note à la carte !
Bref, une semaine qui s'annonce intéressante. J'oubliais : en tâche de fond, en socle absolu, il y a le travail de laboratoire : expériences et calculs, puisque c'est cela, la science quantitative pour laquelle je suis missionné par l'État. Quel bonheur !

Vive le calcul différentiel et intégral

Je vous invite aujourd'hui à visionner http://www.universcience.tv/video-un-physico-chimiste-a-l-ile-aux-cygnes-5562.html

Dimanche 12 mai 2013: Les merveilleuses applications des sciences



La société IBM vient de diffuser un film d'animation, avec des images dont les pixels sont des images d'atomes individuels, déplacés un à un par un dispositif qu'ils ont mis au point. 

Des atomes déplacés un à un ! Évidemment, le système ne va pas aussi vite que le film ne le montre, mais la prouesse est réelle : c'est la conséquence de travaux effectués dans les dernières décennies, après que des scientifiques avaient mis au point un microscope capable de voir les atomes. De travaux qui semblaient alors ésotériques, très loin des applications possibles.

Prenons un peu de recul : ce genre de spectacle a toujours été mis en oeuvre par les scientifiques. Déjà Galilée montrait aux Princes de son temps les astres invisibles à l'oeil nu, grâce à la lunette qu'il avait construite. A la cour du roi de France, l'abbé Nollet propagea un choc électrique dans une rangée de gardes qui se tenaient par la main. Et ainsi de suite. 
Emerveillés par les phénomènes et également soucieux de faire partager leur enthousiasme, les gens des sciences quantitatives ont toujours eu à coeur de donner à leur entourage un avant-goût du monde merveilleux qu'ils entrevoyaient avant les autres.

Evidemment c'est aussi une façon de justifier leur activité en vue de récupérer des subsisdes pour se livrer à des travaux qui paraissent bien ésotérique. La relation entre la découverte scientifique et ses applications est omniprésente, et même les sciences quantitatives les plus pures résistent mal à la volonté de produire des applications. « Résistent mal » : s'agit-il vraiment de résister ? Ou simplement de partager un enthousiasme ? 

Allons, il n'est pas nécessaire de chercher inutilement à débrouiller l'écheveau des causes des actions humaines, car nous serions souvent bien en peine d'y parvenir. En revanche, il est tout à fait utile d'apprendre à s'émerveiller des résultats des sciences quantitatives, comme de leurs applications.


samedi 11 mai 2013

Aidez moi, s'il vous plaît !

Voici le message que je viens d'adresser à un cuisinier de talent :


Cher Monsieur
Dans la revue xxx, qui a publié vos recettes, j'ai trouvé votre travail très intéressant, mais je voulais vous signaler une erreur que vous faites : une émulsion n'est pas une mousse.
Dans beaucoup de cas, vous écrivez que vous "émulsionnez", mais en réalité vous « foisonnez », ce qui signifie que vous produisez une mousse, en introduisant des bulles d'air. C'est à cette fin que les siphons sont utilisés. Je le répète : les siphons, qui mettent du gaz dans un liquide, font des mousses, et pas des émulsions. 
 
Une émulsion, en revanche, c'est ce que l'on obtient quand on disperse de la matière grasse dans une solution aqueuse, par exemple quand on fait une mayonnaise. Rien à voir, donc.

D'ailleurs, le mot « écume », et sa traduction espagnole espumas, sont également un peu discutables, car la définition d'une écume, c'est une mousse obtenue par agitation d'eau où l'on a dispersé des impuretés !

Je sais bien que vous n'êtes pas seul à utiliser les mots émulsion et écume à tort, mais je ne désespère pas de voir la cuisine française grandir encore, en nommant correctement les préparations souvent merveilleuses qu'elle produit. De même que le menuisier y gagne à bien distinguer le marteau et le tournevis, la cuisine y gagnerait à bien distinguer les émulsions et les mousses.

Merci de m'aider à faire valoir ce point de vue, et encore mes félicitations pour votre travail. 


Appel à tous mes amis : aidez moi à faire valoir ce point de vue !  

Samedi 11 mai 2013: Vive les sciences quantitatives ! : Les beautés du calcul


Samedi 11 mai 2013: Vive les sciences quantitatives ! : Les beautés du calcul
La vulgarisation scientifique est évidemment essentielle : il s'agit de partager avec la communauté tout entière les résultats des sciences quantitiatives, de souder la communauté humaine autour du projet extraordinaire des sciences de la nature, de la Connaissance !
Toutefois ma longue pratique de la vulgarisation (ah, ce merveilleux journal qu'est Pour la Science ! Ah, cette merveilleuse émission de télévision que fut un temps Archimède, sur Arte ! ah...) m'a montré une limite de l'entreprise : dans les articles, films, podcasts, etc. on montre des phénomènes, des expérimentations, mais jamais on ne montre les calculs. Pis encore, je me souviens d'un livre célèbre de vulgarisation par Stephen Hawkings, où ce cosmologiste racontait que son éditeur lui avait formellement déconseillé de mettre des équations dans le livre, sous peine qu'il ne se vende pas. Telle est l'idée générale, dans le monde des sciences de la nature, des sciences quantitatives, comme dans le monde de la vulgarisation scientifique.
Pourtant les sciences quantitatives ont cela de particulier qu'il s'agit de tout « nombrer », comme le disait Francis Bacon, un des pères de la science moderne, de tout mesurer... Et c'est parce que Galilée procéda ainsi qu'il introduisit une véritable science du mouvement, après des sciences de baratin philosophique. Oui, il faut dire que c'est parce que les sciences quantitatives font usage constant du calcul qu'elles évitent des théories fumeuses. Le calcul, c'est la composante essentielle des sciences quantitative, leur particularité... Il ne s'agit pas de faire des mathématiques, qui sont une activité de découverte des structures mathématiques. Non, il s'agit d'utiliser les outils des mathématiciens, et d'autres que l'on peut introduire en cas de besoin, afin de décrire les phénomènes, de chercher des lois... Cette utilisation impose des compétences... « Impose » ? Non, le mot est mal chosi, car on devrait dire au contraire que la nécessité de calculer donne la merveilleuse possibilité d'obtenir des compétences nouvelles, de calcul ; la nécessité de calculer nous conduit à apprendre. N'est-ce pas merveilleux ?
Oui, merveilleux... mais le plus remarquable, c'est que le calcul, au fond, est quelque chose de très simple... à condition de s'entraîner : plus on en fait, mieux on en fait ! Progresivement, on apprend à découvrir un monde abstrait, merveilleux, qui s'ajoute à celui des phénomènes, qui se superpose en quelque sorte. Autrement dit, les gens des sciences quantitatives vivent dans deux mondes : le monde matériel connu, et le monde immatériel du calcul.
Je disais que la vulgarisation avait des limites, à savoir que, jusqu'à présent, elle a cherché à éviter de montrer ce monde merveilleux, mais chaque génération peut se charger des tâches de son époque : je propose que les vulgarisateurs de talent du XXI e siècle s'emparent de cette nouvelle tâche, et qu'ils apprennent progressivement à montrer à tous les beautés merveilleuses du calcul.

Vendredi 10 mai 2013 : Des questions : l'écumage des bouillons


Le monde culinaire ne cesse d'écumer les bouillons de viande. Que ce soit en France, au Japon, au Qatar, en Australie, j'ai vu des cuisiniers professionnnels, dans les cuisines des restaurants, munis d'une louche et écumant les bouillons, pendant de très longs moments. Il y a de quoi s'étonner : on place de la viande dans de l'eau, on chauffe et l'on voit apparaître à la surface une légère écume. De quoi est elle constituée ? Personnes ne le sait à ce jour. Evidemment on a des hypothèses : on suppose que des protéines libérées par la viande (par exemple les albumines sériques) et agitées par les turbulences de l'eau viennent emprisonner des bulles d'air, lesquelles font une écume. Mais cela reste à vérifier. Le travail n'est pas difficile : il suffirait d'effectuer une analyse par électrophorèse sur gel, comme les biologistes (et les physico-chimistes, bien sûr, puisque la biologie moderne est en réalité de la physico-chimie appliquée à cet objet particulier qu'est le vivant) savent le faire depuis longtemps.
Toutefois la question que je pose ici est plus pratique : est-il utile d'écumer ? Les cuisiniers interrogés répondent que oui... puisqu'ils le font. Questionnés sur l'intérêt de la pratique, ils répondent que les bouillons sont ainsi plus clairs. Mais là encore, il y a lieu de s'interroger : puisque l'on clarifie les bouillons en fin de préparation, faut-il passer du temps, beaucoup de temps, à écumer en cours de préparation  ? Faut il passer de longs moments, des dizaines de minutes, voire des heures, debout, armé d'une louche, à retirer les « impuretés » à la surface de l'eau ?
Lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons donc comparés deux bouillons identiques (même eau, même casserole, même feu, même viande), qui ont été écumés ou non. Dans nos expériences, les bouillons bouillaient, ce qui, il faut l'avouer, n'est pas une pratique recommandée pour la confection des bouillons : les chefs conseillent de ne porter l'eau qu'au frémissement. Toutefois, avec l'ébullition, nous étions certains que la température était identique dans les deux casseroles : 100 degrés.
Pendant une heure et demie, nous avons écumé très soigneusement l'un des deux deux bouillons, tandis que nous laissions l'autre bouillon boullir tranquillement. Le résultat ? Le bouillon écumé a été plus clair que le bouillon non écumé... mais à peine. D'autre part, le goût des deux bouillons était tout à fait semblable : un « test triangulaire » n'a montré aucune différence.
De sorte que la question demeure : faut-il écumer les bouillons ?

vendredi 10 mai 2013

Jeudi 9 mai 2013: La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde : peser



La semaine dernière, j'ai vanté les beautés du lavage des verreries. Cette semaine, je voudrais expliquer pourquoi le je me passionne pour les pesées.
Evidemment, on pourrait craindre quelques pisse vinaigres qui iraient critiquer cette enthousiasme pour les petites choses... mais comment produire des connaissances de bonne qualité si les données de base sont fautives ? Dans un laboratoire de physico-chimie, la pesée est une opération de base, au sens qu'elle détermine les grandes envolées théoriques que l'on pourra faire ensuite. Sans précisions dans les dosages, on ne fait rien de bon.
Peser est-il une opération réellement passionnante ? Oui, pour qui sait voir la beauté de la chose. Par exemple, quand on pèse avec une balance électronique moderne, on a parfois le sentiment que nous savons faire des choses bien plus avancées que nos prédécesseurs... et nous nous trompons : les anciennes balances utilisées par les pères de la chimie moderne étaient d'une précision remarquable, et si leurs mécanismes semblent antédiluviens, ils permettent toutefois d'aboutir à des déterminations remarquablement précises !
Or quand on utilise des instruments de mesure précis, le monde se complique merveilleusement : la moindre poussière qui tombe, le moindre courant d'air, la moindre différence de température, la moindre vibration sont à l'origine d'erreurs, de variations, de fluctuations... Il faut alors dépenser des trésors d'ingéniosité pour lutter contre les oeuvres du diable, lequel est caché derrière chaque geste expérimental.
Car il faut répéter que ces mesures sont la bases des élaborations théoriques ultérieures. Faut-il alors aimer la pesée pour ce qu'elle permettra de faire ? Je crois que ce serait une erreur que de ne pas apprendre à aimer la pesée pour ce qu'elle est. Ce qu'elle est, la détermination d'une masse. Une masse ? Pendant que nous passons du temps à peser, prenons un moment pour réfléchir à ce qu'est une masse : on aboutira peut-être à ce principe d'équivalence, bien reconnu par Albert Einstein, qui assimile la masse pesante à la masse inerte, celle qui apparaît lors des études du mouvement. Il y a là une assimilation aussi extraordinaire que celle du nombre pi qui apparaît quand on calcule le périmètre du cercle, et celui qui survient quand on détermine la surface du disque limité par ledit cercle. Pourquoi ces deux nombres sont-ils identiques ? Pourquoi la masse pesante serait-elle la masse inerte ?
C'est parce que la simple pesée conduit à de telles questions que la pesée est une opération merveilleuse !

Prochain séminaire de gastronomie moléculaire : le 23 mai, à 16 heures.

Chers Amis

Attention au changement de date, pour notre prochain séminaire de gastronomie moléculaire : il aura lieu non pas le lundi, mais le jeudi (23 mai). Nous explorerons l'importance du matériau qui fait les moules à kougelhopfs (la question est identifique pour la brioche, le cake, etc.).
Au plaisir de vous y retrouver, à 16 h, à l'ESCF (28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris).



Vive la physico-chimie !  (voir http://hervethis.blogspot.fr/2013/02/quest-ce-que-la-chimie-suite.html)

jeudi 9 mai 2013

Reçu de nos amis new yorkais

...où le séminaire de gastronomie moléculaire se nomme "experimental cuisine collective" :


Hello all,
 
  
Our May ECC meeting will take place on Monday, May 20, from 4 to 6 p.m. in the Chemistry Department at NYU, room 1003 (31 Washington Place, between Washington Square Park and Greene Street). You will need a photo ID to enter the building.    
 
Our speaker will be Jonathan Russell-Anelli, Senior Lecture and Senior Extension Associate in the College of Agriculture and Life Sciences at Cornell University. In his talk, Food, Soil, and Sustainable Urban Design, he will discuss soil - this integral component of the terrestrial ecosystem - in context of our food system and urban sustainability. We will pay initial attention to a number of principle soil concepts and their relation to plant production to lay the ground work for a larger presentation on vegetable production, urban agriculture and urban soils. Discussion is invited throughout with particular emphasis on examination of vegetable production and (urban) soil management. Time permitting we intend to introduce some simple field test to assess soils and your hands will get dirty. So come prepared!
  
A visit to the new NYU urban farm lab will follow, for those interested.  

For more complete description and bio, click here.   
  
Jonathan Russell-Anelli is a Senior Lecture and Senior Extension Associate in the College of Agriculture and Life Sciences at Cornell University. His research and extension responsibilities are focused on the nature and properties of soils with particular interests of urban soil, urban agriculture/community gardening, soil contamination and soil management practices. He works throughout NYS and NYC examining the spatial distribution and variability of soil characteristics in the urban environment. His major project areas includes investigations of contaminant distribution in relation to soil processes, land use and land management in a variety of urban centers in the Northeast, the Mid-Atlantic, the Mid-West and Eastern Europe.
 
Please RSVP at ecc052013.eventbrite.com. A link is also posted on our website. If you RSVP and can no longer make it, please let me know right away so that your seat can be released---thank you! 

All my best,


Anne 

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Anne E. McBride
Director, Experimental Cuisine Collective 

ABOUT THE EXPERIMENTAL CUISINE COLLECTIVE
The Experimental Cuisine Collective is a working group that assembles scholars, scientists, chefs, writers, journalists, performance artists, and food enthusiasts. We launched in April 2007, as a result of the collaboration of Kent Kirshenbaum of the chemistry department and Amy Bentley of the nutrition, food studies, and public health department at New York University with Chef Will Goldfarb of WillPowder. Our overall aim is to develop a broad-based and rigorous academic approach that employs techniques and approaches from both the humanities and sciences to examine the properties, boundaries, and conventions of food.

Visit the ECC online at www.experimentalcuisine.com. 

mardi 7 mai 2013

Mercredi : J'ai lu/vu pour vous... : le dernier numéro de l'AFIS


J'ai lu/vu pour vous... : le dernier numéro de l'AFIS
L'AFIS, de quoi s'agit-il ? De l'Association française pour l'information scientifique, laquelle association publie une revue intitulée Science... & pseudo-sciences. L'assocation a évidemment un site http://www.pseudo-sciences.org/ que je vous invite à consulter.
Le dernier numéro a le sommaire suivant :

304 - avril 2013

Sommaire

Éditorial p. 1
Regards sur la science p. 2
Du côté de la science p. 9

Dossier - Science et raison : où est l’héritage des Lumières ?

- Ne pas éteindre la lumière du futur (Jean-Marie Lehn) p. 13
- La raison au risque de la pensée magique (Nayla Farouki) p. 22
- La critique de la modernité derrière le rejet de la science (Jean Bricmont) p. 29
- Sur le rejet moderne de la science (Hubert Krivine) p. 34
- Menaces "post-modernes" sur la science (Marcel Kuntz) p. 38
- La science et le constructivisme social, l’exemple de la psychanalyse (Massimo Pigliucci) p. 44
- Un boulanger citoyen ferait-il du meilleur pain ? (Jean-Paul Krivine) p. 47
- La gauche est gagnée par un conservatisme de principe (André Comte-Sponville) p. 48
- Peut-on encore être scientifique et de gauche ? (Jean de Kervasdoué) p. 50
- Peurs ou intérêt général : les dangers de la "démocratie participative" (Gérald Bronner et Etienne Géhin) p. 57
- À propos des "documentaires scientifiques" : la lumière jaillit-elle dans les salles obscures ? (François Garçon) p. 60
- Certains préfèrent les microbes à l’eau de Javel (Bernard Meunier) p. 69
- Force et difficultés de l’argumentation rationnelle (Jean Bricmont) p. 74

Un monde fou, fou, fou... (Brigitte Axelrad) p. 78
Livres et revues p. 83
Dialogue avec nos lecteurs p. 92

L'héritage des lumières ? Comment ne serais-je pas intéressé a priori par la question, moi qui ne fait que penser que les Lumières ne sont pas terminées, et que, au contraire, nous devons nous évertuer à les prolonger durablement, l'intolérance étant encore largement aussi présente que du temps de De nis Diderot ! Moi qui ne cesse de rappeler le Sapere Aude (aie le courage de penser par toi-même qui était l'étendard du mouvement philosophique des Lumières).

Dans ce numéro passionnant, des articles passionnants, même s'ils sont inégaux. Jean-Marie Lehn est égal à lui-même, dans son texte enthousiaste pour les sciences quantitatives.
Nayla Farouki explique très bien que la « pensée magique » est à l'origine de bien des maux, ce que j'expliquais dans mon livre Cours de gastronomie moléculaire N°2 : les précisions culinaires (éditions Quae/Belin).
Jean Bricmont analyse très bien la question de la modernité, et Hubert Krivine et Marcel Kuentz en reprennent le flambeau.
Le texte de Jean-Paul Krivine est très bien vu, et il me rappelle les remarques de Robbe-Grillet sur la littérature qui aurait été « communiste » (impossible!), dans son excellent livre sur le nouveau roman, aux éditions de Minuit.
Deux textes terribles, sur la politique et la science quantitative, sont ensuite proposés : peut-on ENCORE (!) être scientifique et de gauche ? La question fait mal, tant elle est bien posée. En substance, le texte dit que, contrairement à ce qu'une certaine (une certaine seulement) pensée de gauche prétend, tout ne se vaut pas ! Les sciences quantitatives ne sont pas solubles dans les autres connaissances, ce que je dis autrement en répétant que les sciences quantitatives sont singulières, en ce qu'elles imposent le nombre comme guide absolu : je vous promets pour bientôt un texte sur les beautés du calcul.
Pardon aux autres auteurs, je me fais long, et ne peux commenter tous les articles très bien faits de cet excellent numéro, que je vous invite à lire.

Mardi : La Connaissance par la lorgnette de la gourmandise : peut-on rattraper une sauce hollandaise qui a tourné ?


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Mardi : La Connaissance par la lorgnette de la gourmandise : peut-on rattraper une sauce hollandaise qui a tourné ? 

 
La réponse est oui !

Après cette bonne nouvelle, examinons mieux la question et la réponse qui est ainsi péremptoirement donnée. La sauce hollandaise, tout d'abord, est de ces velours qui sont des justifications absolues de la gourmandise.

Elle se prépare classiquement de la façon suivante : dans une casserole, on place de l'échalote émincée, du vinaigre, et l'on fait bouillir, de sorte que l'échalote cuise pendant que certains composés du vinaigre s'évaporent. On arrête la « réduction » quand il ne reste que des morceaux d'échalote un peu humide du résidu du vinaigre cuit. Puis on ajoute une cuillerée à soupe d'eau, des jaunes d'oeufs, et l'on chauffe doucement, en émulsionnant du beurre. « Emulsionner » ? Il ne s'agit pas de foisonner, mais de disperser la matière grasse sous forme de microscopiques gouttelettes dans le liquide apporté par la cuillerée d'eau, le reste de vinaigre et les jaunes d'oeufs. Et, lors de cette émulsion accompagnée d'une cuisson, l'épaississement de la sauce découle à la fois de l'émulsification et de la coagulation des protéines.

Parfois, la sauce tourne, grumelle, et des livres de cuisine indiquent que l'on peut rattraper la sauce tournée en lui ajoutant une cuillerée d'eau froide. Est-ce un bon conseil ?
Lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons testé l'indication, en faisant tourner volontairement une hollandaise, puis en ajoutant une cuillerée d'eau froide. Rien ne s'est passé... mais après une seconde cuillerée, la sauce a repris sa consistance !
Enhardis, nous avons ainsi fait tourner et rattrapé 4 fois de suite la même sauce ! Et mieux, la dernière fois, nous avons cuit la sauce jusqu'à voir le beurre brunir... mais la sauce s'est rétablie, quand nous avons ajouté de l'eau froide.
Voici donc une excellente nouvelle : les sauces hollandaises sont quasi inratables, puisqu'on peut les rattraper quand elles tournent !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Encore de la cuisine note à note

Ce matin, je reçois l'annonce de la diffusion de séquences filmées par la télévision des Yvelines, à propos de la cuisine note à note :

www.youtube.com/watch?v=64V6T8V9BAU

bon visionnage ! 

dimanche 5 mai 2013

voici l'agenda pour cette semaine où une bonne partie de la France est en vacances


Lundi 6 mai : Nous sommes ce que nous faisons, voici l'agenda pour cette semaine où une bonne partie de la France est en vacances
Cette semaine sera étrange, puisque deux jours fériés mettront en « vacances » ceux qui ont refusé de partir en vacances ! Ou ceux dont les vacances viennent de s'achever.
Vacances ? Le mot est terrible, puisqu'il a l'étymologie de « vacuité »... et bien souvent, j'entends des interlocuteurs me dire qu'ils vont se « vider la tête ». Et si le projet était plutôt de la remplir ?
Je propose la réflexion suivante : de même que nous meublons un appartement pour « communiquer avec nous-mêmes », le choix de nos activités est un dialogue interne. Je propose d'éviter, par exemple, la vulgarité de la lucarne à décerveler, la poussière du monde de nombreux vendeurs de papier, le remplissage inutile du temps libre avec des romans à trois sous, vite et mal écrits (mais couronnés par la pléthore de « prix littéraires » qu'il faut bien attribuer, quand même).
Pour quoi faire ? Pour nous embellir l'esprit de choses merveilleuses, de productions artistiques, littéraires, documentaires de bonne facture. Tiens, je relis Aristophane : quelle audace dans la critique politique, dans l'analyse des moeurs, dans la mise en scène.
Mais je m'égare, car, le lundi, c'est de la semaine qui vient qu'il me faut parler. La semaine qui vient ? Au laboratoire, nous continuons nos études, parce que la recherche scientifique est merveilleuse (une antienne, de ma part), et aussi parce que, pour « trouver », il faut chercher !
Je vous propose de bien penser que les aliments sont des systèmes physico-chimiques qui échangent des « composés bioactifs » avec leur environnement.
Des « systèmes physico-chimiques » ? Il y a d'abord « systèmes » : le mot désigne une organisation. Physico-chimique ? Oui, une organisation (physique) de « composés » (d'où le mot « chimique »).
Des composés « bioactifs » ? Le mot indique ces composés peuvent interagir avec l'organisme : l'aliment libère des nutriments, mais aussi des composés qui donnent de la couleur, de la saveur, de l'odeur, du piquant, du frais... Bref, des composés qui ont la capacité de stimuler les récepteurs de l'organisme.
Toute la semaine, c'est cela, et encore cela, et toujours cela, que notre petit Groupe de gastronomie moléculaire s'évertuera à explorer, dans l'espoir d'une découverte scientifique. Quel bonheur !

Vive la technologie et les techniques !


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Vive la technologie et les techniques : 

 
Il y a des moments remarquables, que je souhaite à tous ceux qui sont engagés dans la technologie et la techniques, notamment ceux où l'utilisation d'une idée théorique conduit à une prévision... validée par l'expérience ! Je n'en ai pas fait état ailleurs, parce que le moi est haïssable, mais la volonté d'expliquer pourquoi la technologie et les techniques sont merveilleuses (quand elles sont bien faites) me pousse à raconter la genèse du « chocolat chantilly ».
L'histoire est la suivante : en 1992, j'avais imaginé de reproduire une sauce mayonnaise, en remplaçant l'huile par du chocolat fondu. L'idée est « évidente », puisque le chocolat est fait de matière grasse et de sucre : quand on le fond, il « fait huile ».
J'avais fait une erreur, non pas dans l'expérience, qui consiste simplement à émulsionner du chocolat fondu dans de l'eau (ou tout autre liquide fait majoritairement d'eau : jus d'orange, café, thé...), mais dans la dénomination : à l'époque, j'avais nommé cela une « mayonnaise au chocolat », ce qui n'était pas juste, puisqu'une mayonnaise au chocolat aurait été une mayonnaise (jaune d'oeuf, vinaigre, huile), à laquelle on aurait ajouté du chocolat. D'ailleurs, un peu plus tard, je me suis également trompé quand j'ai nommé cela une « mayonnaise de chocolat » : c'est une faute courante que de vouloir se raccrocher à de l'ancien. Il vaut bien mieux nommer cela autrement, d'où le nom de xxx.
Quelque temps après, analysant la crème chantilly, j'ai observé qu'on l'obtenait à partir d'eau, de matière grasse laitière et d'air : du coup, l'idée était évidente, de remplacer la matière grasse laitière par du chocolat. Dans une casserole, on met 200 grammes d'eau, 225 grammes de chocolat à croquer, on chauffe pour obtenir l'émulsion, puis on fouette en refroidissant.
Cela ferait-il comme une crème Chantilly ? L'un des plus grands pâtissiers français paria contre moi une caisse de champagne que cela ne fonctionnerait pas : il a eu depuis la mémoire qui a flanché, mais je me souviens parfaitement que le pari a eu lieu alors que j'étais rue de Rennes, avec à la main l'ancêtre d'un téléphone portable que l'on nommait un bibop.

Bref, piqué au vif, le lendemain matin, vers 6 heures, j'ai pris une casserole, d'eau, du chocolat (comme quoi il faut toujours avoir du chocolat avec soi)... et le chocolat Chantilly apparut du premier coup !

Passons sur les questions d'égo : le mot « je » a été utilisé beaucoup trop de fois, dans les lignes qui précèdent. Ce que nous pouvons observer, surtout, c'est qu'un raisonnement théorique sain conduit à une action matérielle quasi infaillible ! Mieux encore : si l'expérience avait raté, un esprit bien fait aurait eu la joie de voir la théorie réfutée, et il aurait pu, par du travail, s'attacher à améliorer la théorie : dans les deux cas, on est gagnant, n'est-ce pas ?

Et voilà pourquoi Diderot (Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius intitulé De l’Homme, 1774, in Oeuvres complètes, t2, p. 349, Garnier, Paris, 1875) disait : « La méditation est si douce et l’expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente ». 




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)