jeudi 29 août 2013

Des questions à propos de daubes



Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me  conduit  à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois,  mais parfois seulement,  j'affiche ces  questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes. 

Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans,  à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer.  Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.

Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur  étude risque  de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.

Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?

Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui,  le suc du figuier  contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois,  les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité  protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes,  dépend de ce repliement. Ce repliement  très spécifique est perdu lors du chauffage,  et c'est la raison pour laquelle je doute  que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des  enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et   voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.

Bien sûr,  il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer,  mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action  ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.

Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et  c'est seulement  au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée  aurait une importance particulière que je crois  devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes,  la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains  devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 27 août 2013

Caramel...

Je reçois cette question :

Est-il possible de faire du caramel avec de l’aspartame pure, et, si cela est réalisable, par quel le procédé? Faut il employer un autre édulcorant ? 


Analysons : il est question de caramel, un produit bien réglementé, dans la mesure où c'est un additif, et, mieux, un additif de codes 150 a à d. 
Tous sont produits à partir du composé nommé saccharose, qui est quasi pur (plus de 99 %) dans le sucre de table blanc. 

Lors de la caramélisation, qui est une pyrolyse particulière, il y a dissociation de la molécules en glucose et fructose, élimination d'atomes d'hydrogène et d'oxygène sous la forme de molécules d'eau, puis réassociation en dianhydrides de fructose, qui se lient à des molécules de glucose pour faire des polymères, qui font la masse du caramel. Simultanément se forment de nombreux composés, qui donnent odeur, saveur, couleur, tel le 5-hydoxyméthylfurfural, très "caramel". 

Avec de l'aspartame ? L'aspartame est un composé très différent, qui peut être transformé par pyrolyse, mais qui ne fera jamais du caramel ! Il fera autre chose... et l'on serait bien avisé de ne pas goûter le résultat sans doute brun produit avant de s'être assuré de son innocuité ! De même pour la stévia, etc.

dimanche 25 août 2013

Pour ceux qui ont la chance de trouver des cornichons au marché, ou d'en cultiver

A propos de cornichons, il y a deux questions essentielles : la couleur verte, et le croquant.

Pour le croquant, on dit qu'on l'obtient si l'on met des feuilles de vigne ou de chêne avec les cornichons... mais je ne crois pas que des feuilles soient d'une quelconque utilité.
Il est vrai que les cornichons industriels restent bien fermes, parce qu'ils sont trempés dans du chlorure de calcium. Les ions calcium pontent les pectines des parois cellulaires, bloquant leur hydrolyse, et pontant les cellules (même phénomène que quand une eau calcaire fait des lentilles qui ne s'amollissent pas).
Si l'on n'a pas de chlorure de calcium, il reste la façon qui consiste à chauffer doucement les cornichons (entre la température ambiante et 70 °C, de sorte que l'on active des enzymes pectine méthylestérase des cornichons, lesquelles conduisent au même résultat que le trempage dans une solution (un peu amère, d'ailleurs) de chlorure de calcium. C'est en vertu de ce phénomène que des légumes cuits à basse température sont désastreusement durs.

Bref, il y a du bon dans la méthode qui consiste à faire bouillir du vinaigre, et à le verser sur les cornichons, à attendre. Puis, quand c'est refroidi, à recommencer. Autre méthode plus moderne, plus "cuisine moléculaire" : mettre les cornichons dans le vinaigre et chauffer très doucement, assez longuement.


Pour la couleur, j'ai exploré les dictons anciens, mais je crois que nos cuisiniers d'antan se bourraient de cuivre : ils utilisaient d'ailleurs des "bassines à reverdir", bassines en cuivre que l'acide acétique du vinaigre attaque. 
Certes, ils avaient des cornichons bien verts... mais la pratique n'est pas saine  ! Et, depuis 1902, les producteurs de cornichons au vinaigre (artisans ou industriels) n'ont plus le droit d'utiliser du sulfate de cuivre pour colorer en vert, comme ils le faisaient à la suite des cuisiniers domestiques avec leur bassines à reverdir. Il faut dire que le cuivre n'est pas sain, en doses un peu importantes (raison pour laquelle il n'est peut être pas judicieux de faire les confitures dans des bassines en cuivre).
Il existe un brevet, nommé Veri-green, qui fait usage de sels de zinc, pour garder les couleurs vertes des légumes verts.

Mais, au fait, pourquoi vouloir des cornichons bien verts, faire croire qu'ils sont frais alors qu'ils sont conservés ?









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 24 août 2013

Du bon usage de la crème

Couramment, les cuisiniers  ajoutent de la crème à un liquide, puis font réduire. Pourquoi ?

La pratique a de quoi choquer : quel belle odeur, au dessus de la casserole ! Pour le physico-chimiste, qui voit le monde microscopique avec les yeux de l’esprit, c’est du gâchis : pensons à toutes ces belles molécules odorantes qui sont perdues, et finissent dans les hottes aspirantes, au mieux dans les cuisines. Ne vaudrait-il pas mieux qu’elles finissent dans les assiettes ?

La crème est une de ses meilleures armes, pour y parvenir. Oui, la crème, car elle contient de la matière grasse et de l’eau. L’eau dissout les molécules sapides, et la matière grasse dissout les molécules odorantes. Autrement dit, tout ce qui accompagne la crème, lors d’une cuisson où elle est présente, a des chances de rester piégé, à condition qu’il y ait un couvercle.

Considérons le cas des champignons, par exemple. La cuisson classique, dite en cassolette, est d’une remarquable intelligence empirique, car, quand on chauffe à couvert des champignons,  du champagne, de la crème, sel et poivre, alors les champignons libèrent des molécules odorantes qui vont se dissoudre dans la matière grasse de la crème ; ils libèrent aussi des molécules sapides, qui, elles, vont se dissoudre dans la « phase aqueuse » faite par le mélange du champagne et de l’eau de la crème. Bref, tout ce qui sort des champignons  est retenu… à condition que l’on n’ait pas chauffé et que l’on ait ajouté un couvercle !

Oui, un couvercle, contre lequel les vapeurs viennent se refroidir, et, se recondensant, remettre dans le liquide les molécules qui auraient été éliminées par l’évaporation.

D’où la règle très importante à ajouter pour ce type de cuisson : il faut cuire dans la crème, sous un couvercle.


Le hic, c’est la réduction ! Oui, parce que, alors, l’eau de la préparation est évaporée. Or l’évaporation de l’eau entraîne avec la vapeur les molécules odorantes. C’est même un procédé ancien de la parfumerie que l’extraction des huiles essentielles à la vapeur d’eau. Si on veut faire chic, on peut dire « hydrodistillation », mais c’est la même chose (évidemment, on recondense les vapeurs, pour récupérer une huile essentielle qui flotte sur l’eau recondensée).
Alors, comment faire pour avoir une sauce liée, quand on veut crémer ?
Cela paraît tout à fait évident : puisque la réduction fait partir les molécules odorantes, une première solution consiste à distiller, disons simplement à récupérer les vapeurs de la réduction, puis à remettre dans la casserole la partie « huile » qui a été récupérée : ce sont des odeurs à l’état pur !
Pas pratique pour les petites quantités. Alors je  propose l’analyse suivante : la réduction permet d’éviter qu’il y ait trop d’eau dans la préparation, ce qui force à réduire. Or la crème apporte de l’eau au jus ou au produit initial, ce qui force à réduire.
Pourquoi ne pas réduire la crème par avance, doucement, en grande quantité, comme on fait pour le beurre clarifié, afin d’obtenir un produit concentré en matière grasse de la crème, que l’on ajouterait au produit ou au jus. Un couvercle, un petit chauffage qui n’élimine pas l’eau, et le tour serait alors joué !

Enfin, pourquoi ne pas imaginer que les cuisiniers réclament aux fabricants des crèmes déjà réduites, qu’il suffirait d’ajouter aux préparations, afin d’éviter les réductions ?





Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 23 août 2013

Vendredi : le jour des questions… à propos du grainage des blancs en neige




Lors du battage des blancs en neige, il arrive parfois que de petits grains blancs opaques apparaissent : c'est le grainage.
Pourquoi ce phénomène ?
Je n'en sais rien, et je n'ai pas trouvé d'explication dans des publications scientifiques. Ce qui semble apparaître, lors des expériences, c'est que ce grainage survient quand la vitesse de battage est très rapide. D'autre part, des expériences ont montré, dans notre laboratoire, que le grainage pourrait être réversible, que les grains finissent par disparaître spontanément, à condition d'attendre assez longtemps. De plus, lors des expérience que j'ai effectuées il y a plusieurs dizaines d'années sur le battage des blancs en neige, j'ai observé que des blancs battus, redescendus, battus à nouveau, et ainsi de suite, finissaient par ne plus grainer. Comment interpréter ce phénomène ?
Je répète que je ne sais pas, mais c'est un bon départ que de considérer que le blanc d'œuf est fait d'environ 90 pour cent d'eau et de 10 pour cent de protéines. D'autre part, des idées simples de physique nous permettent de penser que, si des structures visibles apparaissent, c'est que leur diamètre est supérieur à la longueur d'onde de la lumière, ce qui signifie que les agrégats formés par les protéines ont un diamètre supérieur  à 400-800 nanomètres. Lors du battage, on sait que les protéines sont dénaturées (« déroulées », puisque les protéines sont comme de petites pelotes). Ce déroulement a divers degrés, et l'on peut envisager qu'il soit insuffisant pour induire une coagulation, mais suffisant pour former ces agrégats. Si le grainage est réversible, c'est vraisemblablement que les forces entre les protéines ne sont pas des forces très fortes, et qu'elles ne sont notamment pas des « ponts disulfures », lesquels assurent la coagulation des blancs.
Mais il faut surtout considérer que le mystère demeure, et je compte sur des énergies fraîches pour explorer le phénomène.

lundi 19 août 2013

Des questions et des réponses à propos de petits choux

La question Comment des choux gonflent-ils ?
La réponse : Un chou, c’est généralement une structure qui contient des bulles d’air (un peu ou beaucoup, selon la recette), de sorte que ces bulles d’air gonflent, lorsque la température augmente à coeur (deux informations : le gonflement est la dilatation thermique, comme celle des rails de chemin de fer en été, raison pour laquelle on laisse un espace entre deux rails successifs ; d’autre part, la température dans un chou augmente de la température ambiante à moins de 100°C, car la présence d’eau limite l’échauffement ; s’il fait 180°C sur la partie externe de la croute, il ne fait que 100°C sur la partie interne de la croûte). D’autre part, quand l’eau de la partie inférieure des choux est portée à plus de 100°C (la plaque de cuisson est quasi à la température de consigne du four), l’eau s’évapore dans la partie inférieure des choux. Or 1 g d’eau fait 1 L de vapeur : il faut donc une petite évaporation pour faire beaucoup de volume, sous la forme de vapeur d’eau, qui forme des bulles qui sont emprisonnées dans le chou, d’où le gonflement. Soit cette vapeur s’ajoute aux bulles d’air, soit elle forme des bulles de vapeur seule... qui dégonflent d’ailleurs au refroidissement, d’où l’intérêt de faire une coque croustillante suffisamment solide, pour éviter l’aplatissement.

La question : Pour des choux, est-ce que le beurre joue un rôle dans le gonflement ? Peut on remplacer le beurre par l’huile ?  
La réponse : Le beurre est fondu à la température de 55°C, de sorte que, sans avoir fait correctement les expériences de comparaison, j’aurais tendance à penser qu’il n’y a pas de différence de gonflement entre des choux au beurre et des choux à l’huile... à condition de comparer des choses comparables : ne pas oublier qu’il peut y avoir jusqu’à 16 % d’eau dans le beurre, et que cette eau s’ajoute à celle de la pâte.

La question : Savez vous pourquoi les choux sortent filandreux ? Comment avoir des choux bien creux a l’intérieur.
La réponse : Je n’ai pas étudié cette question, mais il me semble qu’il faut beaucoup de vapeur pour faire un chou creux ; c’est peut être une question de température de cuisson ? Ou de contact avec la plaque ?

La question Comment doit on cuire un choux ?
La réponse : Comme on veut : des techniques différentes donneront des résultats différents. Or un résultat n’est ni bon ni mauvais en soi : le critère, c’est ce que l’on souhaite obtenir. Définissons l’objectif, le but, et l’on pourra ensuite déterminer le chemin qui y mène.

Intéressant article

Puis je recommander :

How reliable is the hard–soft acid–base principle? An assessment from numerical simulations of electron transfer energies Carlos Cardenas and Paul W. Ayers, Phys. Chem. Chem. Phys., 2013, 15, 13959


Bonne lecture !