Le monde culinaire ne cesse d'écumer
les bouillons de viande. Que ce soit en France, au Japon, au Qatar,
en Australie, j'ai vu des cuisiniers professionnnels, dans les
cuisines des restaurants, munis d'une louche et écumant les
bouillons, pendant de très longs moments. Il y a de quoi s'étonner :
on place de la viande dans de l'eau, on chauffe et l'on voit
apparaître à la surface une légère écume. De quoi est elle
constituée ? Personnes ne le sait à ce jour. Evidemment on a
des hypothèses : on suppose que des protéines libérées par
la viande (par exemple les albumines sériques) et agitées par les
turbulences de l'eau viennent emprisonner des bulles d'air,
lesquelles font une écume. Mais cela reste à vérifier. Le travail
n'est pas difficile : il suffirait d'effectuer une analyse par
électrophorèse sur gel, comme les biologistes (et les
physico-chimistes, bien sûr, puisque la biologie moderne est en
réalité de la physico-chimie appliquée à cet objet particulier
qu'est le vivant) savent le faire depuis longtemps.
Toutefois la question que je pose ici
est plus pratique : est-il utile d'écumer ? Les cuisiniers
interrogés répondent que oui... puisqu'ils le font. Questionnés
sur l'intérêt de la pratique, ils répondent que les bouillons
sont ainsi plus clairs. Mais là encore, il y a lieu de
s'interroger : puisque l'on clarifie les bouillons en fin de
préparation, faut-il passer du temps, beaucoup de temps, à écumer
en cours de préparation ? Faut il passer de longs moments, des
dizaines de minutes, voire des heures, debout, armé d'une louche, à
retirer les « impuretés » à la surface de l'eau ?
Lors d'un séminaire de gastronomie
moléculaire, nous avons donc comparés deux bouillons identiques
(même eau, même casserole, même feu, même viande), qui ont été
écumés ou non. Dans nos expériences, les bouillons bouillaient, ce
qui, il faut l'avouer, n'est pas une pratique recommandée pour la
confection des bouillons : les chefs conseillent de ne porter
l'eau qu'au frémissement. Toutefois, avec l'ébullition, nous étions
certains que la température était identique dans les deux
casseroles : 100 degrés.
Pendant une heure et demie, nous avons
écumé très soigneusement l'un des deux deux bouillons, tandis que
nous laissions l'autre bouillon boullir tranquillement. Le résultat ?
Le bouillon écumé a été plus clair que le bouillon non écumé...
mais à peine. D'autre part, le goût des deux bouillons était tout
à fait semblable : un « test triangulaire » n'a
montré aucune différence.
De sorte que la question demeure :
faut-il écumer les bouillons ?
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