Depuis que je suis entré en cuisine, je ne cesse de m'étonner de toutes les bonnes odeurs dans la pièce. Un physicochimiste sait qu'il s'agit de molécules odorantes, qui sont évaporées, entraînées par la vapeur d'eau. Qu'importe le mécanisme, pour l'instant : il faut surtout considérer que tous les composés odorants qui ne sont plus dans la casserole… ne sont plus dans la casserole : ils sont perdus, ce qui peut contenter le cuisinier, mais ne fait pas l'affaire de ses convives!
Pourquoi ne pas récupérer ces composés ? Il y a plusieurs décennies, j'avais proposé que nous mettions au point des casseroles équipées de systèmes de recondensation, ce qui permettrait, surtout pour des cuissons très longues, de récupérer de l'eau et ce que l'on pourrait nommer des « huiles essentielles de cuisine », car le procédé s'apparente à la production d'huiles essentielles, souvent faites par entraînement à la vapeur d'eau.
Les fabricants de casserole n'ont héla pas produit les systèmes dont je rêvais, et dont seuls des chimistes bénéficient aujourd'hui avec leurs équipements de laboratoire. Et les autres ?
Tout n'est pas perdu quand on sait, d'une part, que la cuisson à base température donne des résultats souvent bien meilleurs que les cuissons turbulentes dans un bouillon mal conduit, et, d'autre part, que les composés odorants sont souvent solubles dans les matières grasses.
Pour simplifier, on peut effectivement classer les composés en deux sortes : ceux qui sont solubles dans l'eau, et ceux qui sont solubles dans ce que l'on nomme l'huile (la matière grasse à l'état fondu, quelle que soit sa nature). Bien sûr, il y en a d'autres, mais, pour ce qui concerne la cuisine, ils sont sans doute minoritaires. Ajoutons que souvent les composés odorants sont hydrophobes, alors que les composés sapides sont hydrophiles.
Soit donc une casserole où un mets cuit : coq au vin, un ragoût, une daube, un braisé, etc. Comment retenir ou récupérer les composés odorants, sachant que les composés sapides iront se dissoudre dans l’eau ? Le couvercle est d'invention ancienne, et il n'est pas toujours inefficace, au moins quand l'ébullition n'est pas tumultueuse. On avait d'ailleurs inventé des couvercles à rebord, apparentés à ceux des braisières, où l'on pouvait déposer de l'eau froide ou un torchon mouillé, afin de recondenser les vapeurs odorantes.
C'est une première solution, mais il y en a au moins une autre, qui consiste à faire un chapeau d'huile : il s'agit cette fois de faire flotter à la surface du liquide, une couche d'huile où les composés odorants iront se dissoudre. On aurait ainsi des bocaux d'huiles parfumées : l'huile de cuisson du coq au vin, l'huile de cuisson de la poule au vin jaune... Et ces huiles pourraient ensuite être introduites dans les mets, notamment par émulsion, en fin de cuisson. De la sorte, rien ne se perd, et tout se crée.
On notera que ce type de cuisson s'apparente à la cuisson en émulsion, comme quand on chauffe une matière dans la crème, composée d'eau et de matière grasse. Cette fois, les composés sapides se dissolvent dans l'eau de la crème tandis que les composés odorants se dissolvent dans la phase grasse.
On objecterait que les matières grasses animales ne sont pas bonnes pour la santé ? Ce serait sans compter cette publication fracassante de la rentrée, produite par l'industrie alimentaire américains, qui reconnaît que l'épidémie d'obésité aux États-Unis est sans doute due à une volonté fautive d'éradiquer les graisses saturées, ce qui a conduit au remplacement de ces dernières par les sucres. Il faut s'attendre à un retour en… grâce du beurre, de la crème, du lard, au moins pour ce qui concerne la communication alimentaire, car, du côté des vrais Gourmands, on n'a jamais cessé de se priver des bonnes choses.
mardi 29 novembre 2016
Cuire en chapeau d'huile
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