lundi 13 mars 2017

Confusion chez les levures

Je lis sur la toile  :
"Quand un consommateur achète une bouteille de vin à 200 euros, s'il savait que ce dernier a peut-être été micro-oxygéné, extrêmement soufré ou mélangé à des levures chimiques, le boirait-il ?"

Puis un commentateur parle de levures indigènes, sélectionnées, signalant la dénomination de "levures chimiques", dont beaucoup ne savent pas ce dont il s'agit. Le même bloggeur indique qu'on ne fait pas du vin avec des "levures chimiques", ce qui est également juste.



Mais tout cela est bien compliqué, et je me propose d'expliquer plus en détail.
D'abord, celui ou celle qui achète une bouteille à 200 euros a vraiment les moyens. Tant mieux.

Doit-il craindre la micro-oxygénation ? Le mot "micro-oxygénation" peut faire peur à des non chimistes... mais il s'agit seulement d'apporter de l'oxygène en très petites quantités. Dans le temps, la porosité des tonneaux faisait la chose, mais de façon mal contrôlée. Micro-oxygéner, c'est donc faire mieux.
De ce point de vue, le vrai amateur de vin doit se réjouir que les vins ne soient plus des piquettes comme naguère, et jadis.

Extrêmement soufré ? Au contraire, on temps vers des réduction de soufre ! Je me souviens du temps où l'on méchait les tonneaux avec des mèches de soufre, et là, on avait de quoi avoir mal au crâne. J'ai même des recettes de cuisine où l'on mettait des fruits dans des bocaux que l'on méchait au soufre : je n'ose imaginer les quantités de soufre pharamineuses ! Donc, là encore, il y a un progrès, et non, mille fois non, les vins d'aujourd'hui ne sont pas "extrêmement soufrés", au contraire.

Mélangés à des levures "chimiques" : là, on confond tout, au secours ! Ignorance, ignorance, ignorance !
J'explique : les levures sont des micro-organismes (cela signifie des êtres vivants très petits), réduits à une seule cellule vivante. Pour ceux qui ont oublié leur cours de sciences naturelles, je rappelle que, quand on met de la "levure de boulanger" dans de l'eau et que l'on regarde au microscope, on voit donc des espèces de sacs, et ces sacs sont vivantes : quand leur environnement leur convient (de quoi boire, de quoi manger, de quoi respirer, une température convenable), ils grossissent, puis se divisent en deux êtres identiques à l'être original.
Ces levures ne sont pas seulement chez le boulanger, mais partout autour de nous, dans l'air, sur la peau des raisins... Partout !
Du coup, dans les vins, ces micro-organismes -et d'autres- assurent la fermentation, transformant les sucres en gaz  et en alcool éthylique. Lors de la fermentation, les tonneaux dégagent des quantités considérables de ce gaz qu'est le dioxyde de carbone.

Quand les levures viennent de l'environnement, de n'importe où, donc, elles sont "indigènes", ou "sauvages". Oui, sauvages comme les champignons des bois comparés aux champignons domestiques, cultivés, que sont les champignons de Paris ou les pleurotes.
Mais on peut aussi cultiver des levures : c'est ce que font les boulangers, par exemple, ou bien les sociétés qui vendent des levures aux boulangers. Dans les deux cas, les levures sont domestiquées, et, évidemment, on sélectionne les meilleurs. Tout comme nos pommes sont domestiquées, et bien meilleures que les pommes sauvages, qui sont de petits fruits extrêmement amers et astringents. Tout comme les porcs, qui ont un goût moins puissant que les sangliers. Tout comme les carottes, qui sont de grosses racines orange, et non pas de petits crayons fibreux à peine sucrés tels que sont les carottes sauvages (à ne pas confondre avec la cigüe).

Bref, on peut faire du vin en fermentant le jus de raisin avec des levures indigènes, sauvages, ou bien en ajoutant des levures sélectionnées, cultivées, domestiques. Evidemment la fermentation n'est pas exactement la même, mais on a des résultats plus réguliers avec les levures domestiques.

Et les "levures chimiques" ? La terminologie "levure chimique" est très fautive, et c'est une sorte de malhonnêteté d'une certaine industrie alimentaire, qui a mis au point des mélanges de poudres qui, en présence d'eau et de chaleur, se décompose en libérant du gaz (encore le dioxyde de carbone).
Ces "poudres levantes" doivent être nommées "poudres levantes". Elles n'ont aucun intérêt dans le vin, parce qu'elles sont bien incapables de faire fermenter le vin, de transformer le sucre en jus de raisin.
Mais ce ne sont pas des levures, puisque ce sont des poudres (comme le sel, par exemple), et qu'aucune levure n'est donc chimique.

Donc notre amateur de vin qui est capable de payer 200 euros une bouteille n'a rien à craindre... sauf son ignorance. Mieux, même, si les gens qui ont les moyens de payer 200 euros une bouteille sont assez bête pour ne pas boire ce vin parce qu'il est micro-oxygéné ou parce qu'ils craignent le soufre, tant mieux : la demande diminuant, le prix du vin baissera, et il finira à notre portée.

Note finale : j'ai dit que les levures n'étaient pas chimiques, et c'est vrai, mais j'espère pas pour longtemps. Je rêve du temps pas si lointain où les chimistes auront appris à assembler des molécules pour fabriquer des cellules vivantes ! Cela a pour nom la biologie synthétique, et ce sera donc merveilleux de voir la vie créée entièrement à partir de molécules, inertes.

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