Pierre Gilles de Gennes, Leçon
inaugurale au Collège de France, 1971 (Collège de France, Paris).
« Un autre type d’erreurs est
parfois induit par un désir systématique de simplicité. Certes, il
est vrai que, dans la plupart des cas, les lois fondamentales de la
nature s’expriment par un symbolisme remarquablement concis […]
Mais il y a tout de même des situations où cet axiome tombe en
défaut. Ainsi, toute une génération de physiciens a admis que
notre monde ne distinguait pas la droite de la gauche sans chercher
vraiment à vérifier cette proposition par des expériences
soigneuses, mais simplement parce que c’était la plus simple. Il a
fallu vingt ans, et l’analyse pénétrante de Yang et Lee, pour
remettre cette attitude en cause. Finalement, par ses lois physiques,
au niveau des interactions dites faibles, notre monde diffère de son
image dans un miroir : il est moins symétrique de nous ne le
pensions. Lui attribuer une symétrie plus élevée correspondait à
une certaine forme de confort intellectuel. […] Il nous faut donc
garder constamment à l’esprit le précepte de Galilée : « Ne
pas souhaiter que la nature s’adapte à ce que nous estimons être
le mieux ordonnée ». Pour nous théoriciens ces exemples sont
particulièrement importants : ils montrent avec quelle prudence
nous devons mener le dialogue avec nos collègues expérimentateurs.
C’est notre devoir de suggérer des expériences, mais c’est
aussi notre devoir de ne pas imposer nos modes de pensée. Pour ma
part, j’y vois un des aspects les plus difficils de notre métier.
Il y a donc une esthétique de la
simplicité qui nous guide et qui parfois nous égare ; mais il
faut reconnaître que cet égarement même n’est pas totalement
stérile ; même s’ils sont provisoirement inadaptés, les
modèles qui en résultent méritent de survivre et peuvent trouver
plus tard de nouveaux terrains d’application. En schématisant à
peine, on pourrait dire que l’art du théoricien en physique est de
savoir jusqu’où on peut aller trop loin en matière de
simplification. »
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