Séminaire
de gastronomie moléculaire
du
Centre
International de Gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra
19
juin 2017
Centre
Jean Ferrandi (Chambre de commerce de Paris)
Thème :
Discussion
autour de la cuisine note à note
Dans
ce compte rendu :
1-
introduction : ce que sont ces séminaires
2-
points divers
3-
choix du thème du prochain séminaire
4-
travaux du mois
5-
acclimatation « note à note »
|
1-
Introduction :
Les séminaires parisiens de gastronomie moléculaire (il en existe à Nantes1, Arbois2, Cuba, etc.) sont des rencontres ouvertes à tous, organisées dans le cadre d'une convention entre l'International Centre for Molecular Gastronomy AgroParisTech-Inra (http://www.agroparistech.fr/-Centre-international-de-.html) et le Centre Grégoire Ferrandi de la Chambre de commerce de Paris.
Ils
sont animés par Hervé This.
Toute
personne qui le souhaite peut venir discuter
et tester expérimentalement des « précisions culinaires »3.
Les
séminaires de gastronomie moléculaire ont aussi une fonction de
formation (notamment continuée), et, depuis octobre 2013, à la
demande des participants, les séminaires doivent aussi contribuer à
l'acclimatation de la « cuisine note à note »
(http://www.agroparistech.fr/-Les-explorations-de-la-cuisine-.html).
Le plus souvent, les séminaires de gastronomie moléculaire ont lieu le 3e lundi du mois (sauf juillet et août), de 16 à 18 heures, à l'École supérieure de cuisine française de la Chambre de commerce de Paris (merci à nos amis de l'ESCF, et tout particulièrement à Bruno de Monte, le directeur du Centre Ferrandi, et Olivier Denizard, qui nous accueillent), 28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris (amphithéâtre du 4e étage).
L'entrée
est libre, mais il est préférable de s'inscrire par courriel à
icmg@agroparistech.fr.
En outre, en raison du plan vigipirate, il
faut se munir d'un laisser passer que l'on obtient sur demande à
l'adresse email précédente, et se munir d'une pièce d'identité.
Chacun
peut venir quand il veut/peut, à n'importe quel moment, et quitter
le séminaire à n'importe quel moment aussi.
2-
Points divers
○
Le
8e
International Workshop on Molecular Gastronomy s'est tenu à Paris,
du 30 mai au 2 juin 2017. Il réunissait des participants de plus de
15 nationalités. Des
actes seront publiés par l'International Journal of Molecular
Gastronomy.
○
La
finale
du Cinquième
Concours international de cuisine note à note
s'est
tenue à AgroParisTech, le 2 juin 2017.
Les prix ont été décernés
à Dao Nguyen et Pasquale Altomonte, pour la catégorie « chefs »,
et à Shayne Curtin pour la catégorie étudiants.
Lors de la finale, Michael
Pontif a présenté les produits Iqemusu, et le chef Andrea Camastra,
du restaurant Senses (Varsovie, Pologne) a présenté les travaux
récents et les plats note à note servis dans son restaurant.
○
Le
thème du Sixième
Concours international de cuisine note à note
est annoncé :
« But
the crackling is superb » (« Les
merveilleux croustillants
et croquants »).
○ De
Nicole Dufois :
« Suivant
le protocole précédent, j'ai mieux réussi les pommes soufflées ;
je crois que mes échecs précédents découlaient ce que j'avais
lavé les rondelles, et que je les avais mal essuyées.
D'autre
part, j'ai trouvé l'appareil à pommes de terre chatouillard sur
internet : il est en inox et coûte 9,90 euros (plus 2,50 euros
de frais de port) sur le site Deco-fruit.
Sur
l'image ci dessus, la couleur très foncée correspond à une pomme
de terre vitelotte. La couleur jaune foncée est faite à partir de
Rosabelle.
3-
Choix du thème du prochain séminaire :
Plusieurs
thèmes sont en réserve :
-
dans un rôtissage, a-t-on un meilleur résultat quand on approche ou
quand on éloigne la pièce ?
-
la
crème ferait tourner la mayonnaise
-
la
salle
-
le
rôle des os dans les bouillons : apportent-ils quelque chose,
ou bien sont-ils nuisibles ?
-
les crêpes sont-elles différentes quand on met du sel dans la
pâte ?
-
on dit que l'on ne peut faire ni mayonnaise ni blancs en neige à
partir d'oeufs congelés (en
revanche, du blanc en brique mis au congélateur permet d'obtenir
des blancs en neige)
- recettes de cuisine pratique, par les Dames Patronnesses de l’Oeuvre du Vêtement de Grammont, Grammont, sans date, p. 36 : « Ne laissez jamais rebouillir une sauce dans laquelle vous avez mis du vin ou des liqueurs » ; quel serait l'effet ?
- quand on coupe les carottes en biseau, ont-elles vraiment plus de goût qu'en rondelles ?
- à propos de frites : on dit que l'huile d'olive pénètre moins dans les frites.
- du cuivre attendrirait les poulpes ?
- l'ail bleuirait quand on le place sur des tomates que l'on fait sécher au four ; ou bien de l'ail frais après la cuisson, laissé 15 min ; sur l'aluminium, l'ail bleuirait.
- le lait chauffé à la casserole et au micro-onde aurait un goût différent
- le fromage râpé empêcherait la crème fraîche de trancher (Menus et recettes de famille, Valentine de Bruyère et Anne Delange, éditions P. Horay, 1967)
- les oignons ciselés ont-ils un goût différent d'oignons émincés ?
- le feuilletage inversé a-t-il des propriétés plus stables que celles du feuilletage direct ? Gonfle-t-il davantage ?
-
la cuisson des viandes est-elle différente au four : dans une
cocotte, dans un tajine, dans un romertopf ?
-
la pâte à choux est-elle différente quand elle est utilisée le
jour même ou le lendemain ? (influence sur le gonflement)
-le
goût des hollandaises est-il le même avec casserole intérieur inox
et intérieur étain
-
comparer la pâte levée cuite départ à froid ou départ à chaud ;
idem pour les tartes
-
on dit que la viande se contracte au réfrigérateur ; est ce
vrai ?
- l'arrosage du
poulet : par de l'eau, par de l'huile ; différences de
croustillances ?
- les noyaux de datte
accélérerait la cuisson des tajines
-
1877 :
Jourdain Lecointe, Le
cuisinier des cuisiniers,
p. 104, une sauce étonnante : « sauce anglaise pour légumes
et poisson : faites fondre du beurre au bain-marie dans le suc
exprimé d’un citron, ajoutez-y sel, poivre, muscade, demi-verre
d’eau ; laisser bouillonner un quart d’heure et servez chaud ».
-
les
changements de couleur de la rhubarbe en cours de cuisson.
Le
thèmes retenu est : la peau du poulet est-elle plus
croustillante quand elle est salée ? Et quand on a ajouté
de la farine ?
|
4-
Le thème du mois :
Ne disposant pas de rhubarbe,
l'étude de ses changements de couleur est reportée, et l'on profite
de la présence de Michael Pontif pour discuter de cuisine note à
note
5-
L'acclimatation de la cuisine note à note
Michael Pontif, qui a créé
la Société Iqemusu, qui vend des composés odorants purs, en
solution dans l'huile ou dans l'éthanol, présente quelques
produits, dans le nouveau conditionnement. Les participants du
séminaires discutent l'argumentation qu'il met en avant.
La question de l'huile où les
composés sont dissous est discutée : l'huile est une huile bio
désodorisée, c'est-à-dire traitée par de la vapeur d'eau, afin
d'entraîner les composés odorants de l'huile. De la sorte, la
pureté de l'odeur de chaque produit est plus nette. Bien sûr, un
rancissement de l'huile est possible, mais les flacons sont teintés,
ce qui limite le phénomène.
Puis on discute la question de
la concentration à laquelle les composés odorants sont présents
dans l'huile. A ce jour, les dosages sont déterminés en
collaboration avec le chef Andrea Camastra, du Restaurant Senses, à
Varsovie (Pologue).
A. Camastra a adjoint un
laboratoire à son restaurant. Y travaillent quatre personnes, qui
mettent au point les plats note à note qui sont servis dans le
restaurant (https://sensesrestaurant.pl/en) :
le chef, un microbiologiste, un assistant cuisinier formé à
l'université de Varsovie, un technicien. Les plats mis au point sont
servis le soir même. Le menu est fixe, mais il y a des variations,
selon les nouveaux produits. A noter le tournage de vidéos et la
prise de photographies qui seront bientôt en ligne.
La vente se fait en ligne sur
le site www.iqemusu.com,
encore en construction, notamment pour la prise de commande. A noter
qu'une distribution sera bientôt assurée en Europe du sud-est par
le chef Sasa Hasic.
On discute de la
« naturalité » des produits : les composés
odorants sont tous d'origine naturelle, et l'huile est bio.
Les participants du séminaire
discutent de l'intérêt de donner des recettes. Cela est prévu.
Pour l'instant, ce sont des fiches techniques qui sont ajoutées au
site.
A ce propos, on signale que
des fiches techniques pour la cuisine note à note sont sur le site
https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/cuisine-note-a-note/des-produits
Elles sont classées en vue de
construire les mets :
- formes
- consistances
- couleurs
- odeurs
- saveurs
- autres (trigéminal, etc.)
On observera que cette partie
de site est en construction, et que des informations pourraient
utilement être ajoutées sur propositions à icmg@agroparistech.fr
Lors du séminaire, on discute
notamment la question des relations entre l'odeur et le goût. Pour
bien comprendre cela, il faut distinguer l'odeur que l'on sent quand
on hume, en mettant un produit sous le nez (c'est la voie
orthonasale), et l'odeur qui est incluse dans le goût et que l'on
perçoit par la voie « rétronasale » : lors de la
mastication, l'aliment libère des molécules odorantes (les mêmes
que celles que l'on sent par le nez, par la voie orthonasale), qui
montent par les fosses rétronasales (la communication entre la
bouche et le nez, à l'arrière de la bouche, et dont on perçoit
l'existence quand on « boit la tasse) et stimulent le nez.
Autrement dit, goûter un
aliment, c'est aussi le sentir par l'arrière du nez, de sorte qu'un
aliment construit note à note doit contenir des composés odorants.
Lors du séminaire, il est
proposé, pour mieux comprendre ces relations, de sentir les composés
odorants en solution, mais aussi de les goûter en mettant un peu de
ces solutions sur de petites lamelles de pain.
Plus généralement, on
gagnera à bien comprendre et à bien utiliser les mots du goût. On
donne ici un article publié il y a quelque temps :
Goût, saveur, odeur,
arôme ?
Hervé
This
Le
29 avril 2009 s’est tenue à l’Académie
d’agriculture de France
une séance publique où les mots du goût ont été discutés. A
l’origine de cette rencontre, deux observations et une idée.
La
première observation : lors de journées plénières du club
ECRIN « Arômes
et formulation », des collègues pourtant spécialistes des
« arômes » ou de l’analyse sensorielle ont désigné
par le même mot « arôme » des objets différents.
Pour certains, il s’agissait de l’odeur perçue par la voie
rétronasale, qui relie le nez à l’arrière de la bouche ;
pour d’autres, il s’agissait de la sensation donnée par les
molécules odorantes ; pour d’autres encore, le terme
désignait un mélange de sensations données par les récepteurs
olfactifs et par les récepteurs des papilles, sur la langue et
dans la bouche ; pour d’autres encore… Quelle confusion !
La
seconde observation : nombre d’articles, notamment dans le
Journal
of Agricultural and Food Chemistry,
une des revues importantes dans le champ de la « chimie des
aliments et du goût », étudient les saveurs en conservant
le point de vue de la théorie des quatre saveursi…
alors que l’on sait cette théorie fausse depuis des décennies :
l’acide glycirrhiziqueii,
l’éthanol, le bicarbonate de sodium, l’acide glutamiqueiii…
ne sont ni salés, ni sucrés, ni acides, ni amers ;
l’aspartame n’a pas la même saveur que le saccharoseiv,
et les cellules qui réagissent au benzoate de dénatorium (un
composé « amer ») ne réagissent pas à d’autres
composés pourtant également considérés comme amersv.
Au
total, il y a donc beaucoup de confusion, notamment parce que les
termes sont insuffisants. Or le père de la chimie moderne,
Antoine-Laurent de Lavoisier, a bien mis en avant une idée
importante dans l’introduction de son Traité
élémentaire de chimievi :
«L'impossibilité
d'isoler la nomenclature de la science, et la science de la
nomenclature, tient à ce que toute science physique est
nécessairement fondée sur trois choses : la série des faits qui
constituent la science, les idées qui les rappellent, les mots
qui les expriment (...) Comme ce sont les mots qui conservent les
idées, et qui les transmettent, il en résulte qu'on ne peut
perfectionner les langues sans perfectionner la science, ni la
science sans le langage. »
La « chimie des aliments et du goût » doit donc
assainir sa terminologie pour progresser.
Les
molécules odorantes
Évidemment,
en matière sensorielle, ce sont les récepteurs qui doivent
imposer les motsvii,
et c’est la raison pour laquelle beaucoup de science est à
faire. Depuis longtemps, on sait que le nez comporte des
récepteurs olfactifsviii,
qui peuvent se lier, directement ou indirectement, à des
molécules présentes dans l’air. Directement, par un mécanisme
clé-serrure, ou indirectement, puisque l’on a découvert des
olfactory
binding proteins,
auxquelles des molécules se lient avant de se lier aux
récepteursix.
Quel
que soit le détail de la stimulation des récepteurs, on perçoit
une « odeur », et cela justifie que les molécules qui
suscitent une odeur soient dites « odorantes ». Pas
« aromatiques », toutefois, puisque l’arôme est
l’odeur d’une plante aromatique, dite encore aromate !
De ce fait, il faut sans doute corriger nos pratiques… et nos
législations, puisqu’elles nomment très abusivement arômes
des choses qui n’en sont pas, que l’on parle des odeurs ou
bien des produits obtenus soit par assemblage de composés
(synthétisés ou extraits de matières végétales ou animales).
Insistons, d’ailleurs, pour refuser à tous ces produits, qu’ils
contiennent ou non des composés de synthèse, le qualificatif de
« naturel » : n’est naturel que ce qui n’a
pas fait l’objet de transformation par l’être humain. Ces
« compositions odoriférantes », ou ces « extraits
odoriférants » ne sont pas naturels, et c’est tromper le
consommateur que de le lui laisser croire. Experts, n’oublions
pas que la base d’un commerce sain, ce sont des produits
« loyaux, marchands et francs » !
La
saveur, les sensations trigéminales
La
question de la saveur semble plus simple, à cela près que l’on
vient de découvrir, en plus des récepteurs des papilles,
auxquelles se lient des molécules qui peuvent se dissoudre dans
la salive, des récepteurs qui captent les acides gras insaturés
à longue chaînex.
La découverte est tout à fait remarquable, parce qu’elle
s’accompagne de la mise en évidence de toute une chaîne
physiologique qui pourrait faire conclure qu’il existe une
saveur particulière des acides gras insaturés à longue chaîne.
Cette découverte impose-t-elle l’introduction d’un terme
nouveau, sachant que, contrairement aux autres molécules sapides
que nous reconnaissons plus classiquement, il n’y a pas de
saveur reconnaissable comme les autres ?
D’autre
part, comment nommer le sens correspondant à la perception des
saveurs ? On parle encore parfois de « gustation »,
mais la gustation devrait être la perception du goût… or nous
parlons ici de saveurs. On
devrait donc
parler de « sapiction », par exemplexi ,
et
de papilles sapictives.
D’autres
molécules ont des récepteurs qui ne sont ni olfactifs, ni
sapictives, mais associés à une voie nerveuse spécifique, le
nerf trijumeau. C’est ainsi que nous percevons les
piquantsxii,
les
fraisxiii…
D’ailleurs, il faut indiquer que les molécules peuvent stimuler
les récepteurs de plusieurs façons. Par exemple, le menthol sent
la menthe, certes, mais il suscite aussi la sensation de
fraîcheur. L’éthanol a une odeur, mais pas seulement, etc. Et
l'on observera que j'ai parlé des piquants, et non du piquant,
car la sensation donnée par la capsaïcine, surtout dans le nez,
n'a rien à voir avec la sensation donnée par la pipérine, sur
la langue.
D’ailleurs,
nous avons omis d’évoquer l’astringence, qui a fautivement
été considérée comme une saveur, pendant longtemps, et qui
correspond à une sensation d’assèchement de la bouche,
notamment quand des protéines salivaires se lient à des composés
phénoliques, tels ceux qui sont présents dans certains vins et
qui sont souvent, abusivement, nommés taninsxiv.
Le
goût, dans tout cela ? C’est un fait de langage classique
de dire que, quand on mange un aliment, on sent son goût. Le goût
est donc la sensation synthétique que nous avons quand nous
mangonsxv,
et ce goût résulte donc de la stimulation de tous les récepteurs
à la fois : olfactifs, sapictifs, trigéminaux… mais aussi
des récepteurs mécaniques, qui nous donnent la sensation de la
consistance, des récepteurs thermiques, etc. Perçoit-on un
« goût de banane » quand on boit un vin ? Ce
goût résulte à la fois des sensations olfactives, sapictives,
trigéminales, etc.
A
bas la flaveur
Faut-il
parler de « flaveur », comme cela a été proposéxvi ?
Une norme ISO (fautive,
comme on va le voir)
la définit comme « l’ensemble complexe des sensations
olfactives, gustatives et trigéminales perçues au cours de la
dégustation »… mais j'invite
tous mes amis à combattre cette la
norme ISO. Ne définit-elle pas la couleur comme « la
sensation produite par la stimulation de la rétine par des ondes
lumineuses de longueur d’onde variables » ? Quoi, des
longueurs d’onde variables ? Ce serait une belle
découverte, si la lumière, en se propageant, pouvait changer de
longueur d’onde ! D’ailleurs, les incohérences abondent,
dans cette norme, puisque, par exemple, les « saveurs
élémentaires » seraient des saveurs « reconnues »,
ou que l’on nommerait « renforçateur de flaveur (ou de
goût) les substances intensifiant la flaveur de certains produits
sans posséder cette flaveur ». Ici, les deux
mots « flaveur » et « goût » sont
confondus ! Achevons avec la définition de « transparent »,
qui évoque, comme il y a plusieurs siècles, des « rayons
lumineux » !
Faut-il
vraiment supporter ces définitions idiotes ? Et devons-nous
admettre le terme de « flaveur » ? Je crois que
non, et voici les raisons. D’une part, il faut savoir que le mot
« flavour » existe en langue anglaise, où il désigne…
la sensation synthétique… qu’est donc le goûtxvii.
Pas besoin d’invoquer la flaveur, par conséquent, pour désigner
ce qui a déjà un nom en langue française. Faut-il réserver le
nom de « flaveur » à l’ensemble des « sensations
olfactives, gustatives et trigéminales » ? Il faut
savoir que cet ensemble de sensations n’est d’abord pas
perceptible, puisque l’on ne saurait les séparer des sensations
de consistance ou de chaleur, d’une part. D’autre part, cette
« flaveur » ne serait pas mesurable, puisqu’elle
serait la résultante de stimulations de récepteurs différents.
Je
propose de penser que quelque chose qui n’est ni mesurable ni
perceptible n’existe pas ! Il faut donc abattre le mot
« flaveur », le bannir de notre vocabulaire technique
ou courant.
Un
débat à organiser
Au
total, puisque je sais que les collègues sont des personnes
intelligentes auxquelles il est tout à fait maladroit de vouloir
imposer une solution, je crois qu’il n’est pas inutile de
poser la question des avantages et des inconvénients, afin que
nous décidions collectivement.
La
position qui consiste à penser que la flaveur existe, tout
d’abord, et que c’est la somme de la saveur, de l’odeur, des
sensations trigéminales, conduit à admettre que le goût serait
la sensation donnée par les papilles. Le mot « saveur »
est alors éliminé, alors que c’est un mot de la langue
française. L’avantage est que le mot « goût » est
alors cohérent avec « récepteurs gustatifs », pour
parler des papilles (mais ceux-ci sont encore mal connus :
pensons aux acides gras insaturés à longue chaîne). En
revanche, l’inconvénient de cette position, c’est que l’on
élimine un mot classique, qui a sa place, pour introduire un mot
inconnu, sauf de spécialistes. D’autre part, la flaveur
désignerait alors quelque chose qui n’est ni mesurable, ni
perceptible, dans toute sa pureté.
Évidemment,
si l’on adopte maintenant la position qui stipule que le goût
est la sensation synthétique, il y a l’inconvénient que les
récepteurs des papilles doivent être nommés « sapictifs »,
ce qui est un mot nouveau, mais on retrouve alors dans
« sapictif » le mot « saveur », qui est
bien attesté pour désigner la sensation donnée par les
papilles. De surcroît, on reste proche de la langue classique et
de la langue populaire.
D’autre
part, faut-il utiliser le mot « arôme » pour désigner
les odeurs, et utiliser l’expression « composé d’arôme »
pour désigner les molécules odorantes ? Il n’y a pas
d’avantage à cette solution, mais il y a beaucoup
d’inconvénients,
comme on l’a vu déjà. Ajoutons seulement que, dans la
discussion précédente à ce propos, d’autre part, on a omis de
signaler le qualificatif « aromatique » qui serait
alors donné aux molécules odorantes viendrait heurter le
qualificatif « aromatique » donné par les chimistes
au benzène et à ses cousins. Ajoutons aussi que l’emploi du
mot « arôme » pour le vin est… faible, puisque le
nom de l’odeur du vin est le « bouquet ». Et
signalons enfin qu’il n’existe pas d’inconvénient à
utiliser le mot « odorant », et non « aromatique »,
pour désigner les molécules qui stimulent les récepteurs
olfactifs… avec en outre une cohérence avec le monde
anglo-saxon, qui utilisent aujourd’hui, dans les publications
scientifiques, le terme « odorant »,
parlant de odorant
molecules ,
ou simplement d’odorants.
Reste
la question des « arômes » des sociétés qui font
des extraits ou des compositions de molécules susceptibles de
donner du goût aux produits alimentaires. Je ne crois pas utile
de revenir sur l’emploi du terme « naturel », qui me
semble tout à fait condamnable, notamment parce que l’on nomme
« artificiel » (définition du dictionnaire) ce qui a
fait l’objet d’une préparation par l’être humain. Or ces
produits sont des préparations, et, de ce fait, ils ne sont
certainement pas naturels, qu’ils contiennent exclusivement des
composés extraits, ou bien qu’ils incluent des composés de
synthèse.
Certes,
le mot « arôme » correspond à une réglementation…
mais je propose de changer les réglementations qui doivent
l’être ! De surcroît, il y a la confusion de noms entre
le produit, d’une part, et la sensation, d’autre part.
Confusion, donc possibilité de tromperie… et le public ne s’y
trompe pas, à critiquer l’emploi de ces « arômes »,
supportant à peine ceux qui sont dits « naturels ».
Quelle
terminologie employer ? L’anglais distingue la flavour, qui
est le goût, et les flavourings, qui sont ces compositions et
extraits. Au fait, pourquoi ne pas faire aussi la distinction ?
Introduire un nom nouveau et le proposer aux législateurs ?
Ce n’est pas bien difficile, si la volonté est présente, de ne
pas tromper. Je propose « compositions gustatives »,
et « extraits gustatifs ». Pourquoi pas « compositions
odoriférantes » et « extraits odoriférants » ?
Parce que, on le sait, nombre de molécules ne stimulent pas
seulement les récepteurs olfactifs. Évidemment, au passage, on
bannirait le mot « naturel »… et je crois que notre
pays y gagnerait.
|
Prochain
séminaire :
Attention:
le prochain séminaire se tiendra le lundi
18
septembre
2017
à 16h00 à l'Ecole supérieure de cuisine de la Chambre de
Commerce de Paris (centre Jean Ferrandi, 28 bis rue de l'abbé
Grégoire, 75006 Paris).
Attention :
il devient indispensable de se munir d'un laisser passer et d'une
carte d'identité. Personne ne sera admis sans ces documents
|
3
On rappelle que l'on nomme « précisions culinaires »
des apports techniques qui ne sont pas des « définitions ».
Cette catégorie regroupe ainsi : trucs, astuces, tours de
main, dictons, on dit, proverbes, maximes... Voir Les
précisions culinaires,
éditions Quae/Belin, Paris, 2012.
i
Naissance et obscolescence du concept de quatre qualities en
gestation, Annick Faurion, Journ. D’Agric. Et de Bota. Appl., vol
XXXV, 1988, 1-19
ii
Belitz and Grosch, Food Chemistry, Springer
Verlag, Heidelberg, p. 412.
iii
An amino-acid taste
receptor, Greg Nelson, Jayaram Chandrashekar, Mark A. Hoon, Luxin
Feng, Grace Zhao, Nicholas J. P. Ryba, Charles Zuker, Nature, vol
416, 14 mars 2002, pp 199-202.
iv
Faurion
A. et Mac Leod P., Sweet
taste receptor mechanisms, Progress
in Sensory Physiology, vol 8.
v
Alejandro
Caicedo and Stephen D. Roper, Taste receptor cells that discriminate
between bitter stimuli, Science, vol 291, 23 february 2001,
1557-1560.
vi
A. L. de Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, Cuchet, Paris,
1793.
vii
A. Uziel, J. G.
Smadja, A. Faurion, Physiologie
du goût, Encycl.
Med. Chir. (Paris, France), Otorhino-laryngologie, 2-1987, 20490
C10.
viii
K. Raming, J. Krieger, J. Strotmann, I. Boekhoff,
S. Kubick, C. Baumstark, H. Breer, Cloning
and expression of odorant receptors,
Nature, 28 janvier 1993, 361, 353-356.
ix
.
Briand, Loiec; Eloit, Corinne;
Nespoulous, Claude; Bezirard, Valerie; Huet, Jean-Claude; Henry,
Celine; Blon, Florence; Trotier, Didier; Pernollet, Jean-Claude ,
Evidence of an odorant binding protein in the human olfactory
mucus : location, structural characterization, and
odorant-binding properties, Biochimie et Structure des Proteines
Unite de Recherches INRA 477, Jouy-en-Josas, Fr. Biochemistry
(2002), 41(23), 7241-7252. CODEN: BICHAW
ISSN: 0006-2960. Journal written in English. CAN 137:105377
AN 2002:360381 CAPLUS
Isabelle
Niot, Jean-Pierre Montmayeur, Philippe Besnard, CD36,
un sérieux jalon
sur la piste du goût du gras, M/S n°
4, vol. 22, avril 2006.
xi
Hervé This, Casseroles et éprouvettes, Pour la Science, Paris,
2003.
xii
Pourquoi le piment brûle, Bernard Calvino, Marie Conrat. Pour la
Science, N0366, avril 2008, pp. 54-61
xiv
Binding
of selected phenolic compound to proteins, Harshadari M Rawel,
Karina Meidtner, Jürgen Kroll, J. Agric. Food Chem., 14 april 2005,
DOI 10.1021/jf0480290 5021-8561 (04)08029-X
xv
A brief history of electronic nose, Julian W.
Gardner, Philip N. Bartlett, Sensors and Actuators B, 18-19 (1994,
211-20.
xvi
A. Pierson and J. Le Magnen, Etude quantitative du
processus de régulation des réponses alimentaires chez l'homme,
Physiology & Behavior, Volume 4, Issue 1, January 1969, Pages
61-67.
xvii
Julie A Mennella, Gary K Beauchamp, Early flavor
experiences : when do they start ? Nutrition Today, vol
29, N°5, Sept/oct 1994, 25-31.
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