Dans la catégorie des bonnes pratiques en science, il y a des données élémentaires, et l'une d'entre elles est qu'une mesure doit toujours être assortie d'une estimation de sa qualité.
Pour expliquer la chose, je propose de considérer l'exemple d'une balance de précision, que l'on utilise pour peser un objet, par exemple un principe actif pour la réalisation d'un médicament. Dans un tel cas, on comprend qu'il est hors de question de se tromper sur la mesure, car ces produits sont extraordinairement actifs, de sorte que la vie des patients en dépend.
Nous avons donc à peser correctement ce principe actif, et voilà pourquoi nous utilisons une balance de précision. Évidemment cette balance aura été contrôlée, car il serait dramatique d'utiliser une balance fausse. Contrôlée ? Cela signifie qu'un contrôleur sera venu avec un étalon, et qu'il aura comparé la masse connue de l'étalon avec la masse affichée par la balance. Cela se pratique en général une fois par an, car ces contrôles sont coûteux. De sorte que, puisque l'intervalle entre deux contrôles est très long et qu'il peut se passer mille choses pendant un an (la foudre qui dérègle la balance, un choc qui la fausse...), on aura intérêt à contrôler soi-même ses balances à intervalles bien plus cours (un jour, une semaine au maximum), notamment à l'aide d'étalons secondaires, que l'on aura préparé la façon suivante : on prend un objet inusable, par exemple un bout de métal ou de verre que l'on conserve précieusement dans un bocal, sur un coton ou sur un papier afin qu'il ne puisse pas s’abîmer, et, et on le confronte à l'étalon primaire, le jour où le technicien contrôleur vient contrôler les balances. Sur la boîte qui contiendra cet étalon secondaire, on note la masse déterminée, et chaque matin ou chaque semaine, on sort l'étalon secondaire, que l'on conserve à côté de la balance, et on le pèse, afin de s'assurer que la balance donne une valeur juste.
Soit donc une balance dont on connaît la fiabilité. On peut maintenant peser le principe actif. Je n'indique pas ici les bonnes pratique de la pesée... mais je signale qu'elles existent, et que peser ne se résume pas à simplement peser. Bref, on place l'objet à peser sur la balance et l'on obtient une valeur. Le problème des balances de précision, c'est qu'elles sont ... des balances de précision, à savoir des instruments extrêmement sensibles à leur environnement. Il y a les courants d'air d'inévitables, il y a le bruit électrique dans les circuits électroniques de la balance quand il s'agit d'une balance électronique, il y a les vibrations... Bref, il y a mille raisons d'être certain que la valeur donnée par la balance sera inexacte, et cela est une donnée du monde, inévitable. D'ailleurs, la balance affiche un certain nombre de chiffres significatifs, et comme la valeur exacte que l'on cherche n'a aucune raison de tomber exactement sur un des barreaux de l'échelle (en mathématiques, on dirait que la probabilité que cela survienne est nulle), on comprend que, au mieux, la valeur affichée ne peut pas être connue avec une précision qui soit meilleure que l'écart entre deux indications (graduations) de la balance.
Puisqu'il est inévitable que la valeur mesurée soit imprécise, la question est de savoir quelle est cette imprécision. Imaginons que l'on pèse trois fois le même objet sur la même balance et que l'on obtienne trois fois la même valeur. Alors on pourra considérer que l'écart entre les graduations de la balance est une estimation de l'incertitude que l'on a sur la valeur affichée. Mais avec les balances de précision, il en va généralement autrement, à savoir que trois mesures successives donnent trois valeurs légèrement différentes, auquel cas on calcule un écart type, c'est-à-dire une estimation de la répartition des valeurs que peut donner la balance. Mais cela est une autre histoire qu'il faudra raconter une autre fois.
Revenons donc à l'essence de la question : quand nous pesons un objet, nous devons donner une valeur et une estimation de la précision avec laquelle on connaît cettte valeur. Cette règle est absolument générale, en sciences de la nature. Pour toute expérience, pour toute mesure, nous devons afficher un résultat avec une estimation de sa qualité. Car, en réalité, on ne fait que très rarement des mesures pour des mesures, et l'on cherche surtout à comparer le résultat d'une mesure à un résultat d'une autre mesure ou bien à une valeur de référence.
Par exemple, si l'on mesure la température dans un four, la mesure de la température sera généralement comparée à la valeur voulue de la température, ou à la température de consigne. La question très générale est donc de comparer.
Commençons par le plus simple, c'est-à-dire la comparaison d'un résultat de mesure avec une valeur fixe. Par exemple, quand on fabrique des yaourt, si l'on affiche sur le pot une masse de 100 grammes, il est admis que la masse d'un yaourt particulier ne soit pas exactement égale à 100 grammes, mais qu'elle en diffère moins qu'une certaine quantité. Là, la question est simple, puisque l'écart doit être inférieur à la tolérance. Simple... en apparence, puisque la valeur mesurée n'est pas exactement connue ! Supposons que l'on ait mesuré 95 grammes avec une incertitude de 5 grammes. La masse exacte du yaourt pourrait être de 100 ou de 90 grammes. Si la tolérance est de 5 gramme, la masse de 100 grammes conviendrait, mais la masse de 90 grammes serait intolérable.
Maintenant, si nous voulons savoir si deux objets ont la même masse, on sera conduit à peser chacun des objets et à obtenir deux valeurs, deux résultats de mesure assortis chacun d'une incertitude, et voilà pourquoi on enseigne dans les Grandes Ecoles d'ingénieurs et dans les université les calculs statistiques, qui permettent d'estimer si deux mesures sont ou non significativement différentes. Je ne vais pas faire dans un billet de blog la théorie de cette affaire, mais j'espère avoir indiqué correctement pourquoi, finalement, une mesure sans une estimation de l'incertitude sur cette mesure ne vaut rien. En particulier pour la comparaison de deux mesures, des statistiques nécessitent l'estimation de cette incertitude, laquelle donne une indication de la répartition des mesures que l'on pourrait faire d'un objet.
Dans la vraie vie, dire que deux grandeurs sont différentes sous-entend toujours « significativement ». J'invite en conséquence tous les étudiants à se forger une espère de radar intellectuel qui les conduira à sursauter quand ils verront une valeur sans estimation de l'incertitude avec laquelle cette valeur est connue. Certes, parfois, dans des tables, dans des livres, dans des publications, on verra des données sans incertitudes. Si ces livres sont de bonne qualité, c'est que cette incertitude est exprimée par les chiffres qui sont affichés, et qui doivent donc tous être "significatifs". Un bon enseignement des sciences de la nature commence donc par une discussion de cette question : que sont des chiffres significatifs ? Que sont les règles d'affichage des données ?
Ces règles ne sont pas absolument intuitives, et elle doivent donc être apprises... et retenues pendant toute la scolarité… et après ! Rien de tout cela n'est difficile, mais cela demande un peu de soin, d'attention, et un entraînement progressif qui conduit à bien internaliser des réflexes, en vue de bonnes pratiques scientifiques ou technologiques.