Des commandements pour la cuisine, ancienne ou moderne
Et si l'on se demandait comment enseigner la cuisine ? J'ai proposé -et j'y crois qu'il est bon de le répéter- que la cuisine est du lien social, de l'art, et de la technique. Logiquement il faudrait donc enseigner (1) le lien social ; (2) l'art (culinaire) ; (3) la technique.
Le plus facile, c'est évidemment la technique. Dans ce champ, il y a d'abord des gestes, lesquels provoquent des transformations. Ces transformations sont parfois compliquées, mais je propose ici quelques idées simples pour mieux comprendre ce que l'on fait.
1. Le sel se dissout dans l'eau : pas seulement le sel, mais il faut ici considérer qu'il existe des composés qui se dissolvent dans l'eau, et des composés qui ne se dissolvent pas dans l'huile. Par exemple, de l'huile où l'on aurait mis du sel resterait non salée, même après des siècles ! D'ailleurs, l'huile protège le sel de l'eau... et quand j'écris huile, je pense à tous les corps gras, pas seulement à l'huile : le chocolat, le beurre, le foie gras...
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile : c'est l'idée opposée à la première, et qui s'assortit du fait que les composés qui se dissolvent dans l'huile ne se dissolvent pas dans l'eau. Par exemple, de nombreux composés odorants sont solubles dans l'huile (par exemple, les huiles essentielles) et très peu dans l'eau.
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau, et l'eau ne se dissout pas dans l'huile : là encore, quand on dit "huile", il faut penser aux corps "gras", comme l'huile ; et quand on dit "eau", il faut penser thé, café, jus de fruits, bouillons, vins, etc. Et il est généralement vrai que les composés sont plutôt solubles dans l'eau, ou bien plutôt solubles dans l'huile. Il est généralement vrai, aussi, que l'huile ne se dissout pas dans l'eau, ni l'eau dans l'huile... mais on peut, en revanche, disperser de l'eau dans l'huile ou de l'huile dans l'eau... et obtenir des émulsions (oui, une émulsion, c'est de l'huile dans l'eau, et non pas un système foisonné, pas une mousse).
4. L'eau bout à 100 °C. C'est juste, en gros. Certes, en haut d'une montagne, la température d'ébullition de l'eau est inférieure à 100°C, mais c'est quand même un cas spécial. Attention, toutefois : l'eau s'évapore à toute température, même à température ambiante, comme le prouvent les flaques qui disparaissent après la pluie... ou encore les aliments qui sèchent en surface, et croûtent.
5. Les aliments sont majoritairement faits d'eau... parce que nous-mêmes sommes faits d'eau. Les viandes, les légumes, les poissons, les fruits : ce sont des ensembles de "cellules", de petits sacs emplis d'eau (et de tout ce qu'il faut pour vivre). C'est d'ailleurs parce que nous sommes nous-mêmes faits majoritairement d'eau que nous avons besoin d'eau pour vivre : notre eau s'évapore en permanence!
6. Les aliments sans liquide sont durs. Pensons au caramel, aux chips, où l'eau de l'intérieur des cellules de pomme de terre a été évaporée...
7. Certaines protéines coagulent : un blanc d'oeuf, c'est un bon prototype. Il est fait d'eau et de protéines ; quand on le chauffe, les protéines s'assemblent en un grand filet, et le blanc d'oeuf coagule (un gel se forme). A noter que les protéines de viande et de poisson font de même : pensons à une terrine, par exemple.
8. Le collagène se dissout dans l'eau à plus de 55 °C : les cellules des tissus animaux (viandes et poissons) sont gainées de "tissu collagénique", comme une sorte de peau. Cependant, dans l'eau à plus de 55°C, cette peau se désagrège, et les protéines qui la composent se dissolvent dans le liquide. C'est la raison pour laquelle, quand le "bouillon" refroidit, il prend en gelée : le collagène désagrégé est la gélatine !
9. Les aliments sont des "systèmes dispersés", encore nommés "systèmes colloïdaux", ou "colloïdes" : mousses, gels, émulsions, suspensions... Bien sûr, il y a aussi des solides purs (caramel durci), mais le plus souvent, une certaine "mollesse" est de bon aloi... sans quoi nous y laisserions les dents.
10. Certains réarrangements d'atomes (ce qui est couramment nommé "réactions chimiques") s'accompagnent de nouveaux goûts. Pensons au brunissement du rôti, par exemple !
11. Quand on voit une teinte blanche apparaître, pensons à une mousse ou à une émulsion : par exemple, quand on bat du blanc d'oeuf (c'est jaune et transparent) en neige, il blanchit (quand il est éclairé par de la lumière blanche). De même, quand on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf. C'est une façon de comprendre ce que l'on fait sans microscope. Par exemple, si le gazpacho rosit quand on fouette de l'huile, c'est parce que l'on disperse des gouttelettes d'huile et que l'on fait une émulsion.
12. Les liquides migrent par capillarité : l'encre monte immédiatement entre les poils d'un pinceau... et un liquide qui a du goût peut s'introduire aussitôt à coeur d'un filet de poisson. Un mécanisme à ne pas négliger !
13. Et il y a l'osmose : quand on met un cornichon dans un vinaigre très salé, il se ratatine ; inversement, des mirabelles dans l'eau pure gonflent jusqu'à éclater. Un phénomène constant, en cuisine.
Voilà, je crois que cela suffit... et je crois que cela fait une bonne base pour l'enseignement de CAP, non ?
Vive l'art culinaire!
dimanche 4 décembre 2011
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