Pour ceux qui aiment les pommes de terre
jeudi 29 décembre 2011
La cuisine note à note
De la gastronomie moléculaire à ses applications :
la « cuisine moléculaire » (dépassée)
et la « cuisine note à note » (ne manquez pas la prochaine tendance culinaire mondiale!)
Hervé This
1. Le travail scientifique
En 1988 était officiellement créée la discipline scientifique qui a été nommée « gastronomie moléculaire » (on rappelle que le mot « gastronomie » désigne une « connaissance raisonnée », et non pas de la cuisine fine ; de la même façon, la gastronomie moléculaire ne désigne en aucun cas une façond e cuisiner !).
Son objet est : la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la production et de la consommation des aliments.
2. Une application en cuisine
A la même époque, nous introduisions la « cuisine moléculaire », dont la définition est :
« La production d'aliments (la cuisine, donc) par de « nouveaux » outils, ingrédients, méthodes ».
Dans cette définition, le terme « nouveau » désigne plus ou moins tout ce qui n'était pas dans les cuisines des cuisiniers français en 1980.
Par exemple : le siphon (pour faire des mousses), l'alginate de sodium (pour faire des perles à coeur liquide, des spaghettis de légumes, etc.) et les autres gélifiants (agar-agar, carraghénanes, etc.), l'azote liquide (pour la production de sorbets et de bien d'autres préparations), l'évaporateur rotatif, et, plus généralement, l'ensemble des matériels de laboratoire qui peuvent avoir une utilité technique ; un exemple de méthode nouvelle, enfin, la préparation du « chocolat chantilly », des beaumés, des gibbs, des nollet, des vauquelins, etc. (voir Cours de gastronomie moléculaire n°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?, Ed Quae/Belin)
Evidemment, tous ces outils, ingrédients, méthodes ne sont pas nouveau stricto sensu (bien des gélifiants « nouveaux » sont séculaires, en Asie, et utilisés par l'industrie alimentaire depuis longtemps, tandis que bien des outils sont traditionnels en chimie), mais le projet était de rénover l'activité technique culinaire.
Enfin, oui, la terminologie « cuisine moléculaire » est mal choisie, mais elle a été imposée conjoncturellement ; c'est une expression consacrée (elle est apparue dans le Robert et dans l'Encyclopedia Britannica), qui est de toute façon appelée à disparaître... en raison de la proposition suivante.
3. La prochaine tendance culinaire : la Cuisine Note à Note
La proposition suivante, bien plus enthousiasmante, est celle de la CUISINE NOTE A NOTE.
Elle est née en 1994 (publiée dans la revue Scientific American) alors que nous nous amusions à introduire des composés définis dans des aliments : du paraéthylphénol dans des vins ou dans des whiskys, du 1-octène-3-ol dans des plats, du limonène, de l'acide tartrique, etc.
La proposition initiale était d'améliorer des aliments... mais s'est introduit tout naturellement, en prolongement de la pratique précédente, l'idée de composer des aliments entièrement à partir de composés.
Autrement dit, la cuisine note à note ne fait plus usage de mélanges traditionnels de composés alimentaires (viandes, poissons, fruits, légumes), mais seulement de composés... tout comme la musique électroacoustique ne fait pas usage de trompettes, violons, etc. mais seulement d'ondes sonores pures que l'on combine.
Le cuisinier doit donc :
concevoir les formes des éléments constitutifs du mets
concevoir leurs couleurs
concevoir leur saveur
concevoir leur odeur (ante et rétronasale)
concevoir l'action trigéminale
concevoir les consistances
concevoir les températures
concevoir la constitution nutritionnelle
etc.
A ce jour, la faisabilité de cette cuisine nouvelle a été démontrée par plusieurs réalisations :
premier plat, présenté à la presse par Pierre Gagnaire à Hong Kong, en avril 2009
plat présenté à des rencontres scientifiques (JSTS) franco-japonaises à Strasbourg, en mai 2010
repas Note à Note par les chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris en octobre 2010
repas Note à Note servi le 26 janvier 2011, en lancement de l'Année internationale de la chimie, à l'UNESCO, Paris, par l'équipe de Potel&Chabot
cocktail Note à Note servi en avril 2011 à 500 nouveaux étoilés du Michelin + la presse à l'Espace Cardin, Paris
repas Note à Note servir en octobre 2011 par l'équipe de chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris.
La construction de cette cuisine pose de très nombreuses questions :
aménagement rural
économique
sensoriel
technique
artistique
politique
nutritionnel
toxicologique
etc.
Mais :
1. une crise de l'énergie s'annonce : il n'est pas certain que la cuisine traditionnelle (laquelle?) soit durable
2. les Anciens sont toujours battus par les Modernes, lesquels veulent des objets de leur génération
3. le craquage des produits de l'agriculture et de l'élevage existe déjà pour le lait et le pain ; pourquoi pas pour la carotte, la pomme, etc. ?
4. Les objections qui sont faites contre la cuisine note à note ont été le plus souvent faites pour la musique moderne... mais toutes les radios diffusent de la musique électronique
Autrement dit, n'en serions-nous pas à l'équivalent de 1947, quand Varèse et quelques autres lançaient la musique électronique ?
la « cuisine moléculaire » (dépassée)
et la « cuisine note à note » (ne manquez pas la prochaine tendance culinaire mondiale!)
Hervé This
1. Le travail scientifique
En 1988 était officiellement créée la discipline scientifique qui a été nommée « gastronomie moléculaire » (on rappelle que le mot « gastronomie » désigne une « connaissance raisonnée », et non pas de la cuisine fine ; de la même façon, la gastronomie moléculaire ne désigne en aucun cas une façond e cuisiner !).
Son objet est : la recherche des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors de la production et de la consommation des aliments.
2. Une application en cuisine
A la même époque, nous introduisions la « cuisine moléculaire », dont la définition est :
« La production d'aliments (la cuisine, donc) par de « nouveaux » outils, ingrédients, méthodes ».
Dans cette définition, le terme « nouveau » désigne plus ou moins tout ce qui n'était pas dans les cuisines des cuisiniers français en 1980.
Par exemple : le siphon (pour faire des mousses), l'alginate de sodium (pour faire des perles à coeur liquide, des spaghettis de légumes, etc.) et les autres gélifiants (agar-agar, carraghénanes, etc.), l'azote liquide (pour la production de sorbets et de bien d'autres préparations), l'évaporateur rotatif, et, plus généralement, l'ensemble des matériels de laboratoire qui peuvent avoir une utilité technique ; un exemple de méthode nouvelle, enfin, la préparation du « chocolat chantilly », des beaumés, des gibbs, des nollet, des vauquelins, etc. (voir Cours de gastronomie moléculaire n°1 : Science, technologie, technique (culinaires) : quelles relations ?, Ed Quae/Belin)
Evidemment, tous ces outils, ingrédients, méthodes ne sont pas nouveau stricto sensu (bien des gélifiants « nouveaux » sont séculaires, en Asie, et utilisés par l'industrie alimentaire depuis longtemps, tandis que bien des outils sont traditionnels en chimie), mais le projet était de rénover l'activité technique culinaire.
Enfin, oui, la terminologie « cuisine moléculaire » est mal choisie, mais elle a été imposée conjoncturellement ; c'est une expression consacrée (elle est apparue dans le Robert et dans l'Encyclopedia Britannica), qui est de toute façon appelée à disparaître... en raison de la proposition suivante.
3. La prochaine tendance culinaire : la Cuisine Note à Note
La proposition suivante, bien plus enthousiasmante, est celle de la CUISINE NOTE A NOTE.
Elle est née en 1994 (publiée dans la revue Scientific American) alors que nous nous amusions à introduire des composés définis dans des aliments : du paraéthylphénol dans des vins ou dans des whiskys, du 1-octène-3-ol dans des plats, du limonène, de l'acide tartrique, etc.
La proposition initiale était d'améliorer des aliments... mais s'est introduit tout naturellement, en prolongement de la pratique précédente, l'idée de composer des aliments entièrement à partir de composés.
Autrement dit, la cuisine note à note ne fait plus usage de mélanges traditionnels de composés alimentaires (viandes, poissons, fruits, légumes), mais seulement de composés... tout comme la musique électroacoustique ne fait pas usage de trompettes, violons, etc. mais seulement d'ondes sonores pures que l'on combine.
Le cuisinier doit donc :
concevoir les formes des éléments constitutifs du mets
concevoir leurs couleurs
concevoir leur saveur
concevoir leur odeur (ante et rétronasale)
concevoir l'action trigéminale
concevoir les consistances
concevoir les températures
concevoir la constitution nutritionnelle
etc.
A ce jour, la faisabilité de cette cuisine nouvelle a été démontrée par plusieurs réalisations :
premier plat, présenté à la presse par Pierre Gagnaire à Hong Kong, en avril 2009
plat présenté à des rencontres scientifiques (JSTS) franco-japonaises à Strasbourg, en mai 2010
repas Note à Note par les chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris en octobre 2010
repas Note à Note servi le 26 janvier 2011, en lancement de l'Année internationale de la chimie, à l'UNESCO, Paris, par l'équipe de Potel&Chabot
cocktail Note à Note servi en avril 2011 à 500 nouveaux étoilés du Michelin + la presse à l'Espace Cardin, Paris
repas Note à Note servir en octobre 2011 par l'équipe de chefs de l'Ecole du Cordon bleu Paris.
La construction de cette cuisine pose de très nombreuses questions :
aménagement rural
économique
sensoriel
technique
artistique
politique
nutritionnel
toxicologique
etc.
Mais :
1. une crise de l'énergie s'annonce : il n'est pas certain que la cuisine traditionnelle (laquelle?) soit durable
2. les Anciens sont toujours battus par les Modernes, lesquels veulent des objets de leur génération
3. le craquage des produits de l'agriculture et de l'élevage existe déjà pour le lait et le pain ; pourquoi pas pour la carotte, la pomme, etc. ?
4. Les objections qui sont faites contre la cuisine note à note ont été le plus souvent faites pour la musique moderne... mais toutes les radios diffusent de la musique électronique
Autrement dit, n'en serions-nous pas à l'équivalent de 1947, quand Varèse et quelques autres lançaient la musique électronique ?
Une nouvelle série de podcasts filmés
Sur le site du Nouvel Observateur, une nouvelle série de podcasts filmés :
http://www.dailymotion.com/video/k7DrCgyAUAKbUx2Egg7
http://www.dailymotion.com/video/k7DrCgyAUAKbUx2Egg7
Libellés :
causeries,
Cours de gastronomie moléculaire,
Nouvel Observateur,
podcasts
lundi 26 décembre 2011
Nous sommes des nains sur les épaules des géants
Un collègue me fait observer qu'il était un précurseur de la gastronomie moléculaire, et que cette discipline n'a pas de raison d'être, puisque des individus tels que lui faisaient déjà de la gastronomie moléculaire alors qu'ils faisaient de la science des aliments.
Oui mais...
Oui, son travail (une étude du gonflement des spaghettis) ferait aujourd'hui partie de la gastronomie moléculaire... mais il faut rappeler que nous n'avons pas créé la gastronomie moléculaire pour le plaisir :
1. C'est un fait que, dans les éditions même récentes du Food Chemistry, il n'y a quasiment rien sur la cuisson des viandes, et rien du tout sur la cuisson du vin... alors que les cuisinières et cuisiniers du monde entier cuisent quotidiennement des viandes, et utilisent du vin pour faire des sauces !
2. L'industrie alimentaire n'a subventionné que des études très particulières, dans les champs qui les intéressaient directement.
3. La gastronomie moléculaire se moque des applications (même si on peut se réjouir que la discipline ait des tas d'applications, évidemment), puisque c'est de la science, et non de la technologie
4. Jusqu'à la création de la gastronomie moléculaire, la science des aliments était essentiellement préoccupée de chimie des ingrédients alimentaires, et les mets (cassoulet, choucroute, béarnaise, mayonnaise, beurre blanc, ganache, coq au vin, spaghetti à la sauce tomate, bavarois... et autres) étaient négligés par la science.
C'est pour cette raison qu'il nous a semblé important d'identifier et de nommer un champ disciplinaire scientifique particulier : la gastronomie moléculaire.
Rappelons qu'il ne s'agit pas de cuisine, mais de science : l'exploration des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires et un peu plus.
Disons le en anglais :
Molecular Gastronomy is the scientific discipline looking for the mechanisms of phenomena occcuring during dish preparation and consumption
Pour en terminer avec les précurseurs : oui, il y en a eu, et, dès 1994, j'ai publié dans la revue Papilles un texte sur les précurseurs : Darcet, Lavoisier, Chevreul, Rumford, et bien d'autres.
Passons sur le passé, et concentrons-nous sur le futur : quels résultats scientifiques importants allons-nous produire, lors des études de la gastronomie moléculaire ?
Oui mais...
Oui, son travail (une étude du gonflement des spaghettis) ferait aujourd'hui partie de la gastronomie moléculaire... mais il faut rappeler que nous n'avons pas créé la gastronomie moléculaire pour le plaisir :
1. C'est un fait que, dans les éditions même récentes du Food Chemistry, il n'y a quasiment rien sur la cuisson des viandes, et rien du tout sur la cuisson du vin... alors que les cuisinières et cuisiniers du monde entier cuisent quotidiennement des viandes, et utilisent du vin pour faire des sauces !
2. L'industrie alimentaire n'a subventionné que des études très particulières, dans les champs qui les intéressaient directement.
3. La gastronomie moléculaire se moque des applications (même si on peut se réjouir que la discipline ait des tas d'applications, évidemment), puisque c'est de la science, et non de la technologie
4. Jusqu'à la création de la gastronomie moléculaire, la science des aliments était essentiellement préoccupée de chimie des ingrédients alimentaires, et les mets (cassoulet, choucroute, béarnaise, mayonnaise, beurre blanc, ganache, coq au vin, spaghetti à la sauce tomate, bavarois... et autres) étaient négligés par la science.
C'est pour cette raison qu'il nous a semblé important d'identifier et de nommer un champ disciplinaire scientifique particulier : la gastronomie moléculaire.
Rappelons qu'il ne s'agit pas de cuisine, mais de science : l'exploration des mécanismes des phénomènes qui surviennent lors des transformations culinaires et un peu plus.
Disons le en anglais :
Molecular Gastronomy is the scientific discipline looking for the mechanisms of phenomena occcuring during dish preparation and consumption
Pour en terminer avec les précurseurs : oui, il y en a eu, et, dès 1994, j'ai publié dans la revue Papilles un texte sur les précurseurs : Darcet, Lavoisier, Chevreul, Rumford, et bien d'autres.
Passons sur le passé, et concentrons-nous sur le futur : quels résultats scientifiques importants allons-nous produire, lors des études de la gastronomie moléculaire ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue :
Le terroir à toutes les sauces (un
traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de
recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que
nous construit la cuisine)
dimanche 25 décembre 2011
Le 16 janvier prochain
Chers Amis
le 16 janvier, de 16 à 18 heures, nous aurons notre première réunion du Groupe d'étude des précisions culinaires, à l'Ecole supérieure de cuisine française (28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris).
Le thème voté lors de la dernière réunion est :
"Quand on masse de la viande avec du beurre, la viande absorbe-t-elle la matière grasse, comme cela a été écrit dans des livres de cuisine? "
Au plaisir d'y retrouver ceux qui veulent et peuvent.
Très bonne année à tous
le 16 janvier, de 16 à 18 heures, nous aurons notre première réunion du Groupe d'étude des précisions culinaires, à l'Ecole supérieure de cuisine française (28 bis rue de l'abbé Grégoire, 75006 Paris).
Le thème voté lors de la dernière réunion est :
"Quand on masse de la viande avec du beurre, la viande absorbe-t-elle la matière grasse, comme cela a été écrit dans des livres de cuisine? "
Au plaisir d'y retrouver ceux qui veulent et peuvent.
Très bonne année à tous
mercredi 21 décembre 2011
Les prochains cours
Les cours de gastronomie moléculaire parisiens ? les Cours 2011, sur le thème : "Explorer la cuisine. De l'expérience au calcul" sont en ligne sur http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire.
A noter que ces podcasts viennent de s'enrichir de podcasts audio.
A noter que ces podcasts viennent de s'enrichir de podcasts audio.
vendredi 16 décembre 2011
Nouveau : des podcasts audio !
N'hésitez pas à aller sur http://podcast.agroparistech.fr/users/gastronomiemoleculaire/weblog/ff0a1/Le_Bouillon.html
De nos amis des Pays de la Loire
Bonjour,
Nous avons le plaisir de vous informer que notre prochain atelier "SCIENCES & CUISINE" se tiendra le
Jeudi 19 Janvier 2012 de 16h15 à 18h15,
au CNAM à Nantes.
Cet atelier durera 2h00, au lieu des 2h30 habituelles, puisqu’il va se dérouler dans le cadre de la Journée de lancement du pôle régional « Sciences & Cuisine en Pays de la Loire » de la Fondation Science et Culture Alimentaire portée par l’Académie des Sciences, et dont le communiqué de presse vous a été précédemment transmis. En lien avec la thématique de la conférence grand public qui s’en suivra à 18h15 « L’alimentation et la cuisine dans les cultures italiennes et françaises : regards croisés », cet atelier portera sur les PASTAS et plus précisément sur la cuisson des pâtes.
Au programme :
Dans un premier temps, Jean-Louis DOUBLIER (INRA) nous présentera quelques généralités sur les pâtes, leur composition et le comportement de l’amidon à la cuisson. Magali WAGNER (Docteur en sciences des procédés et sciences des aliments) complètera cette présentation en expliquant l’impact de la fabrication des pâtes sur leur structuration et leur comportement à la cuisson, en insistant sur le rôle des protéines et les modalités de séchage. Ces exposés seront rythmés par plusieurs démonstrations.
Dans un deuxième temps, Daphné DESFOSSES, Chargée de mission R&D, abordera les problématiques industrielles rencontrées lors de l’utilisation de pâtes pour appertisation.
La capacité d'accueil étant limitée, pensez à RESERVER RAPIDEMENT votre place en envoyant un mail à contact@gmouest.fr
En espérant vous voir nombreux !
Cordialement,
L'équipe organisatrice :
Camille Bourgeois - PONAN
Ludivine Billy et Vincent Lafaye - FOOD DEVELOPMENT
Nous avons le plaisir de vous informer que notre prochain atelier "SCIENCES & CUISINE" se tiendra le
Jeudi 19 Janvier 2012 de 16h15 à 18h15,
au CNAM à Nantes.
Cet atelier durera 2h00, au lieu des 2h30 habituelles, puisqu’il va se dérouler dans le cadre de la Journée de lancement du pôle régional « Sciences & Cuisine en Pays de la Loire » de la Fondation Science et Culture Alimentaire portée par l’Académie des Sciences, et dont le communiqué de presse vous a été précédemment transmis. En lien avec la thématique de la conférence grand public qui s’en suivra à 18h15 « L’alimentation et la cuisine dans les cultures italiennes et françaises : regards croisés », cet atelier portera sur les PASTAS et plus précisément sur la cuisson des pâtes.
Au programme :
Dans un premier temps, Jean-Louis DOUBLIER (INRA) nous présentera quelques généralités sur les pâtes, leur composition et le comportement de l’amidon à la cuisson. Magali WAGNER (Docteur en sciences des procédés et sciences des aliments) complètera cette présentation en expliquant l’impact de la fabrication des pâtes sur leur structuration et leur comportement à la cuisson, en insistant sur le rôle des protéines et les modalités de séchage. Ces exposés seront rythmés par plusieurs démonstrations.
Dans un deuxième temps, Daphné DESFOSSES, Chargée de mission R&D, abordera les problématiques industrielles rencontrées lors de l’utilisation de pâtes pour appertisation.
La capacité d'accueil étant limitée, pensez à RESERVER RAPIDEMENT votre place en envoyant un mail à contact@gmouest.fr
En espérant vous voir nombreux !
Cordialement,
L'équipe organisatrice :
Camille Bourgeois - PONAN
Ludivine Billy et Vincent Lafaye - FOOD DEVELOPMENT
Libellés :
gastronomie moléculaire,
séminaire
jeudi 15 décembre 2011
dimanche 4 décembre 2011
La cuisine en "commandements"
Des commandements pour la cuisine, ancienne ou moderne
Et si l'on se demandait comment enseigner la cuisine ? J'ai proposé -et j'y crois qu'il est bon de le répéter- que la cuisine est du lien social, de l'art, et de la technique. Logiquement il faudrait donc enseigner (1) le lien social ; (2) l'art (culinaire) ; (3) la technique.
Le plus facile, c'est évidemment la technique. Dans ce champ, il y a d'abord des gestes, lesquels provoquent des transformations. Ces transformations sont parfois compliquées, mais je propose ici quelques idées simples pour mieux comprendre ce que l'on fait.
1. Le sel se dissout dans l'eau : pas seulement le sel, mais il faut ici considérer qu'il existe des composés qui se dissolvent dans l'eau, et des composés qui ne se dissolvent pas dans l'huile. Par exemple, de l'huile où l'on aurait mis du sel resterait non salée, même après des siècles ! D'ailleurs, l'huile protège le sel de l'eau... et quand j'écris huile, je pense à tous les corps gras, pas seulement à l'huile : le chocolat, le beurre, le foie gras...
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile : c'est l'idée opposée à la première, et qui s'assortit du fait que les composés qui se dissolvent dans l'huile ne se dissolvent pas dans l'eau. Par exemple, de nombreux composés odorants sont solubles dans l'huile (par exemple, les huiles essentielles) et très peu dans l'eau.
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau, et l'eau ne se dissout pas dans l'huile : là encore, quand on dit "huile", il faut penser aux corps "gras", comme l'huile ; et quand on dit "eau", il faut penser thé, café, jus de fruits, bouillons, vins, etc. Et il est généralement vrai que les composés sont plutôt solubles dans l'eau, ou bien plutôt solubles dans l'huile. Il est généralement vrai, aussi, que l'huile ne se dissout pas dans l'eau, ni l'eau dans l'huile... mais on peut, en revanche, disperser de l'eau dans l'huile ou de l'huile dans l'eau... et obtenir des émulsions (oui, une émulsion, c'est de l'huile dans l'eau, et non pas un système foisonné, pas une mousse).
4. L'eau bout à 100 °C. C'est juste, en gros. Certes, en haut d'une montagne, la température d'ébullition de l'eau est inférieure à 100°C, mais c'est quand même un cas spécial. Attention, toutefois : l'eau s'évapore à toute température, même à température ambiante, comme le prouvent les flaques qui disparaissent après la pluie... ou encore les aliments qui sèchent en surface, et croûtent.
5. Les aliments sont majoritairement faits d'eau... parce que nous-mêmes sommes faits d'eau. Les viandes, les légumes, les poissons, les fruits : ce sont des ensembles de "cellules", de petits sacs emplis d'eau (et de tout ce qu'il faut pour vivre). C'est d'ailleurs parce que nous sommes nous-mêmes faits majoritairement d'eau que nous avons besoin d'eau pour vivre : notre eau s'évapore en permanence!
6. Les aliments sans liquide sont durs. Pensons au caramel, aux chips, où l'eau de l'intérieur des cellules de pomme de terre a été évaporée...
7. Certaines protéines coagulent : un blanc d'oeuf, c'est un bon prototype. Il est fait d'eau et de protéines ; quand on le chauffe, les protéines s'assemblent en un grand filet, et le blanc d'oeuf coagule (un gel se forme). A noter que les protéines de viande et de poisson font de même : pensons à une terrine, par exemple.
8. Le collagène se dissout dans l'eau à plus de 55 °C : les cellules des tissus animaux (viandes et poissons) sont gainées de "tissu collagénique", comme une sorte de peau. Cependant, dans l'eau à plus de 55°C, cette peau se désagrège, et les protéines qui la composent se dissolvent dans le liquide. C'est la raison pour laquelle, quand le "bouillon" refroidit, il prend en gelée : le collagène désagrégé est la gélatine !
9. Les aliments sont des "systèmes dispersés", encore nommés "systèmes colloïdaux", ou "colloïdes" : mousses, gels, émulsions, suspensions... Bien sûr, il y a aussi des solides purs (caramel durci), mais le plus souvent, une certaine "mollesse" est de bon aloi... sans quoi nous y laisserions les dents.
10. Certains réarrangements d'atomes (ce qui est couramment nommé "réactions chimiques") s'accompagnent de nouveaux goûts. Pensons au brunissement du rôti, par exemple !
11. Quand on voit une teinte blanche apparaître, pensons à une mousse ou à une émulsion : par exemple, quand on bat du blanc d'oeuf (c'est jaune et transparent) en neige, il blanchit (quand il est éclairé par de la lumière blanche). De même, quand on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf. C'est une façon de comprendre ce que l'on fait sans microscope. Par exemple, si le gazpacho rosit quand on fouette de l'huile, c'est parce que l'on disperse des gouttelettes d'huile et que l'on fait une émulsion.
12. Les liquides migrent par capillarité : l'encre monte immédiatement entre les poils d'un pinceau... et un liquide qui a du goût peut s'introduire aussitôt à coeur d'un filet de poisson. Un mécanisme à ne pas négliger !
13. Et il y a l'osmose : quand on met un cornichon dans un vinaigre très salé, il se ratatine ; inversement, des mirabelles dans l'eau pure gonflent jusqu'à éclater. Un phénomène constant, en cuisine.
Voilà, je crois que cela suffit... et je crois que cela fait une bonne base pour l'enseignement de CAP, non ?
Vive l'art culinaire!
Et si l'on se demandait comment enseigner la cuisine ? J'ai proposé -et j'y crois qu'il est bon de le répéter- que la cuisine est du lien social, de l'art, et de la technique. Logiquement il faudrait donc enseigner (1) le lien social ; (2) l'art (culinaire) ; (3) la technique.
Le plus facile, c'est évidemment la technique. Dans ce champ, il y a d'abord des gestes, lesquels provoquent des transformations. Ces transformations sont parfois compliquées, mais je propose ici quelques idées simples pour mieux comprendre ce que l'on fait.
1. Le sel se dissout dans l'eau : pas seulement le sel, mais il faut ici considérer qu'il existe des composés qui se dissolvent dans l'eau, et des composés qui ne se dissolvent pas dans l'huile. Par exemple, de l'huile où l'on aurait mis du sel resterait non salée, même après des siècles ! D'ailleurs, l'huile protège le sel de l'eau... et quand j'écris huile, je pense à tous les corps gras, pas seulement à l'huile : le chocolat, le beurre, le foie gras...
2. Le sel ne se dissout pas dans l'huile : c'est l'idée opposée à la première, et qui s'assortit du fait que les composés qui se dissolvent dans l'huile ne se dissolvent pas dans l'eau. Par exemple, de nombreux composés odorants sont solubles dans l'huile (par exemple, les huiles essentielles) et très peu dans l'eau.
3. L'huile ne se dissout pas dans l'eau, et l'eau ne se dissout pas dans l'huile : là encore, quand on dit "huile", il faut penser aux corps "gras", comme l'huile ; et quand on dit "eau", il faut penser thé, café, jus de fruits, bouillons, vins, etc. Et il est généralement vrai que les composés sont plutôt solubles dans l'eau, ou bien plutôt solubles dans l'huile. Il est généralement vrai, aussi, que l'huile ne se dissout pas dans l'eau, ni l'eau dans l'huile... mais on peut, en revanche, disperser de l'eau dans l'huile ou de l'huile dans l'eau... et obtenir des émulsions (oui, une émulsion, c'est de l'huile dans l'eau, et non pas un système foisonné, pas une mousse).
4. L'eau bout à 100 °C. C'est juste, en gros. Certes, en haut d'une montagne, la température d'ébullition de l'eau est inférieure à 100°C, mais c'est quand même un cas spécial. Attention, toutefois : l'eau s'évapore à toute température, même à température ambiante, comme le prouvent les flaques qui disparaissent après la pluie... ou encore les aliments qui sèchent en surface, et croûtent.
5. Les aliments sont majoritairement faits d'eau... parce que nous-mêmes sommes faits d'eau. Les viandes, les légumes, les poissons, les fruits : ce sont des ensembles de "cellules", de petits sacs emplis d'eau (et de tout ce qu'il faut pour vivre). C'est d'ailleurs parce que nous sommes nous-mêmes faits majoritairement d'eau que nous avons besoin d'eau pour vivre : notre eau s'évapore en permanence!
6. Les aliments sans liquide sont durs. Pensons au caramel, aux chips, où l'eau de l'intérieur des cellules de pomme de terre a été évaporée...
7. Certaines protéines coagulent : un blanc d'oeuf, c'est un bon prototype. Il est fait d'eau et de protéines ; quand on le chauffe, les protéines s'assemblent en un grand filet, et le blanc d'oeuf coagule (un gel se forme). A noter que les protéines de viande et de poisson font de même : pensons à une terrine, par exemple.
8. Le collagène se dissout dans l'eau à plus de 55 °C : les cellules des tissus animaux (viandes et poissons) sont gainées de "tissu collagénique", comme une sorte de peau. Cependant, dans l'eau à plus de 55°C, cette peau se désagrège, et les protéines qui la composent se dissolvent dans le liquide. C'est la raison pour laquelle, quand le "bouillon" refroidit, il prend en gelée : le collagène désagrégé est la gélatine !
9. Les aliments sont des "systèmes dispersés", encore nommés "systèmes colloïdaux", ou "colloïdes" : mousses, gels, émulsions, suspensions... Bien sûr, il y a aussi des solides purs (caramel durci), mais le plus souvent, une certaine "mollesse" est de bon aloi... sans quoi nous y laisserions les dents.
10. Certains réarrangements d'atomes (ce qui est couramment nommé "réactions chimiques") s'accompagnent de nouveaux goûts. Pensons au brunissement du rôti, par exemple !
11. Quand on voit une teinte blanche apparaître, pensons à une mousse ou à une émulsion : par exemple, quand on bat du blanc d'oeuf (c'est jaune et transparent) en neige, il blanchit (quand il est éclairé par de la lumière blanche). De même, quand on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf. C'est une façon de comprendre ce que l'on fait sans microscope. Par exemple, si le gazpacho rosit quand on fouette de l'huile, c'est parce que l'on disperse des gouttelettes d'huile et que l'on fait une émulsion.
12. Les liquides migrent par capillarité : l'encre monte immédiatement entre les poils d'un pinceau... et un liquide qui a du goût peut s'introduire aussitôt à coeur d'un filet de poisson. Un mécanisme à ne pas négliger !
13. Et il y a l'osmose : quand on met un cornichon dans un vinaigre très salé, il se ratatine ; inversement, des mirabelles dans l'eau pure gonflent jusqu'à éclater. Un phénomène constant, en cuisine.
Voilà, je crois que cela suffit... et je crois que cela fait une bonne base pour l'enseignement de CAP, non ?
Vive l'art culinaire!
Les commandements de la Cuisine note à note
Après la cuisine moléculaire, la cuisine note à note, dont voici les 7 commandements
J'ai écrit ailleurs que la cuisine moléculaire était quasi achevée : répétons qu'il s'agissait d'une indispensable modernisation technique de la cuisine, laquelle est en bonne voie. Bien sûr, la cuisine moléculaire reste très en vogue, et elle ne fait d'ailleurs que débuter dans certains pays du monde, mais pour les vrais créateurs, il faut quelque chose de bien plus neuf qu'une tendance qui a maintenant plus de 20 ans !
Ce plus neuf, c'est la "cuisine note à note", que nous pouvons considérer en quelques "commandements", après avoir rappelé que cette cuisine se construit à partir de composés, tout comme la musique moderne se fait par agencement d'ondes sonores pures, ou bien encore les couleurs par mélange bien dosé de bleu, jaune, rouge (les couleurs élémentaires à partir desquelles on peut faire toutes les couleurs possibles, y compris celles que les peintres classiques ne pouvaient pas obtenir par des mélanges de pigments).
Bref, à partir de composés, il faut... composer le plat. Pour chaque commandement, je donne des exemples, mais ils sont simplets, et je suis sûr que les véritables artistes culinaires trouveront bien mieux que moi :
1. Les parties tu agenceras : un mets est un ensemble de plusieurs parties (par exemple, dans le fameux saumon à l'oseille, il y a la pièce de saumon, et la sauce à l'oseille). La question se pose alors : qu'agencer, et comment le faire ?
Ici, je propose de ne pas oublier tout ce que la cuisine classique a appris, à savoir qu'il faut des contrastes. D'abord, il faut agencer des “morceaux” qui ont des consistances différentes : par exemple, un morceau dur à côté d'un morceau mou, ou au-dessus, ou au-dessous. C'est cela, agencer des parties. Soyons encore plus précis : par exemple, une mousse gélifiée au-dessus d'un “verre” (comme celui que l'on obtient quand on coule un sirop très chaud sur du marbre.
Attention, la consistance n'est pas la seule caractéristique qu'il faille agencer : pensons aussi à a agencer des parties de différentes couleurs (du jaune à côté de l'orange), des parties de différentes saveurs (du salé à côté d'acide), des parties de différentes odeurs (une odeur de zeste de citron entre une partie à l'odeur d'orange, et une partie à l'odeur de pamplemousse), des parties de différentes températures (une quenelle glacée dans un consommé froid)...
2. Les formes tu définiras : chacune des parties devra avoir une forme particulière. Ici, on ne "subit plus la forme du poulet... puisqu'il n'y a plus de poulet, ni la forme de la carotte, puisqu'il n'y a plus la forme de la carotte. Il faut donner des formes, les décider... et les bons cuisiniers note à note choisiront de façon que la forme soit appropriée à la sensation qu'ils veulent donner.
Par exemple, pourquoi ne pas commencer par reprendre des idées familières parce que classiques ? Une raviole, c'est souvent deux disques, avec une masse centrale, pour faire comme une soucoupe volante, mais un pain, c'est parfois un cylindre, parfois un hémisphère, etc. Evidemment, on peut faire bien plus sexy : une pyramide dans un cube transparent, une sphère contenant un cube. Pour l'instant, seuls nos amis pâtissiers font cela... mais pourquoi pas les charcutiers, le cuisiniers, le boulangers ?
3. Les couleurs tu choisiras : c'est bien beau d'avoir déterminé des formes, de les avoir agencées... Toutefois des morceaux doivent avoir une couleur, et, si possible, une couleur attrayante, qui ait du sens. Donner du sens, c'est difficile, et il faudrait une chronique tout entière pour discuter la question. En revanche, donner de la couleur, c'est facile : il existe des tas de pigments, soit extraits des produits végétaux (les chlorophylles sont des pigments bleus ou verts ; les caroténoïdes sont des pigments jaunes, orange, rouges ; les anthocyanines sont les pigments des fruits rouges et noirs, et ils changent de couleur avec l'acidité... de quoi s'amuser un peu ; les bétalaïnes sont les pigments des betteraves...), soit des produits animaux (acide carminique de la cochenille, etc.), soit encore de synthèse. Signalons à ce propos que les composés naturels ne sont pas plus "sains" que les autres : c'est la structure moléculaire, d'une part, et la dose d'autre part, mais aussi l'environnement moléculaire, qui font que les composés seront ou non inoffensifs. Tiens, un exemple : les caroténoïdes sont des explosifs, à l'état pur!
Ici, n'ayons pas trop peur... car la cuisine utilise depuis longtemps des “verts d'épinard”, ou des “oranges de carotte”, dont l'extraction est simple : on broie des végétaux verts (respectivement des carottes), on passe le broyat dans un linge, on le chauffe doucement, et l'on récupère la matière verte (respectivement orange) qui flotte sur le liquide.
4. Les saveurs tu décideras : les composés sapides sont innombrables, et ce sont le plus souvent des composés solubles dans l'eau. Parfois ce sont des molécules (le saccharose, ou sucre de table ; l'acide glycirrhizique de la réglisse ; l'éthanol, etc.), parfois ce sont des composés ioniques (le chlorure de sodium, ou sel ; le bicarbonate de sodium...), et, en tout cas, il y a bien plus que les quatre saveurs usuelles (sucré, salé, acide, amer) !
Ici, je propose une comparaison, pour bien comprendre. En cuisine classique, les cuisiniers savent le goût du poulet, du navet, du beurre... et, connaissant ces gouts élémentaires, ils savent comment les assembler. De même, quelqu'un qui parle connaît le sens des mots pour faire des phrases.
En matière de cuisine note à note, les cuisiniers, aujourd'hui, ne savent pas les “mots” : ils ne connaissent pas toutes les saveurs des acides aminés, des divers sucres et édulcorants, etc. Il leur faudra “apprendre les mots pour faire des phrases”, c'est-à-dire faire des essais, goûter... Savons-nous bien la saveur des divers ions qui sont dans les eaux ? Procurons-nous les, et goûtons-les ! De même pour les divers sucres et édulcorants. Je recommande particulièrement le glucose atomisé, qui est du glucose pur... que je mets dans la plupart des sauces que je fais pour ma famille... J'adore ce goûte extraordinaire... mais il est vrai que je ne suis pas cuisinier !
5. Les odeurs tu composeras : cette fois, la pratique est un peu plus difficile, parce que les composés odorants sont très puissants quand ils sont à l'état pur : pensons aux huiles essentielles! Par conséquent, il faudra apprendre à utiliser de très petites quantités de ces composés, ce que l'on peut faire en les dissolvant dans de l'huile, par exemple, ou bien en utilisant des huiles où la dissolution a été déjà faite par un fabricant. C'est le cas de certaines huiles qui donnent l'odeur de truffe... et où l'on a dissout une dizaine de composés différents.
Des pistes pour commencer : le limonène, qui fait la note particulière du zeste de citron ; le sotolon, qui fait la note du vin jaune, de la noix, du curry ; le 1-octen-3-ol, qui a une merveilleuse odeur de sous-bois ; la vanilline... que tout le monde connaît déja!
6. Tu auras décidé de la fraîcheur ou du piquant : ces sensations dites “trigéminales” sont différentes des odeurs et des saveurs, et ce sont des composés spécifiques qui les donnent, tels la pipérine du poivre, la capsaïcine du piment, le menthol de la menthe, l'eugénol du clou de girofle. Ici, il faut ajouter que certains composés sont à la fois sapides (qui ont du goût), odorants, et à action trigéminale (pensons à l'éthanol – alcool éthylique, par exemple : la vodka, c'est 40 pour cent de cet alcool dans de l'eau aussi pure que possible).
7. La consistance tu considéreras... avec beaucoup d'attention. Certains journalistes ont reproché à la cuisine moléculaire d'être "molle", oubliant que les "péligot" de glucose ou de fructose (on fait des caramels à partir de glucose, ou bien de fructose) sont aussi durs que du caramel. Ici, il faudra absolument régler, pour chaque partie, la question de la consistance. Cependant, puisque les tissus végétaux et animaux sont des gels (par définition : un liquide dans un solide), cela ne devrait pas être une question bien difficile : il nous suffit de faire des gels. Il n'est pas nécessaire, dans cette entreprise particulière, que les morceaux soient de consistance unie (un gel de gélatine, par exemple), et l'on obtiendra des sensations en bouche spécifiques si l'on structure les différentes consistances élémentaires que l'on produit : pensons au surimi, obtenu par filage de protéines de poisson et n'oublions pas, surtout, que des systèmes techniques simples peuvent arriver à des résultats compliqués en termes de consistance, tel que tresser des spaghettis (essayez donc : vous me direz des nouvelles de la merveilleuse sensation en bouche), produire des crackers en forme de ballon creux... alors que leur peau est percée (essayez donc de gonfler un ballon percé!)...
Bon appétit, pour ce merveilleux XXIe siècle où nous somes : rappelons-nous que la bonne cuisine note à note sera bonne, et qu'elle ne remplacera pas la cuisine plus ancienne, mais s'ajoutera, tout comme Debussy s'est ajouté à Mozart !
J'ai écrit ailleurs que la cuisine moléculaire était quasi achevée : répétons qu'il s'agissait d'une indispensable modernisation technique de la cuisine, laquelle est en bonne voie. Bien sûr, la cuisine moléculaire reste très en vogue, et elle ne fait d'ailleurs que débuter dans certains pays du monde, mais pour les vrais créateurs, il faut quelque chose de bien plus neuf qu'une tendance qui a maintenant plus de 20 ans !
Ce plus neuf, c'est la "cuisine note à note", que nous pouvons considérer en quelques "commandements", après avoir rappelé que cette cuisine se construit à partir de composés, tout comme la musique moderne se fait par agencement d'ondes sonores pures, ou bien encore les couleurs par mélange bien dosé de bleu, jaune, rouge (les couleurs élémentaires à partir desquelles on peut faire toutes les couleurs possibles, y compris celles que les peintres classiques ne pouvaient pas obtenir par des mélanges de pigments).
Bref, à partir de composés, il faut... composer le plat. Pour chaque commandement, je donne des exemples, mais ils sont simplets, et je suis sûr que les véritables artistes culinaires trouveront bien mieux que moi :
1. Les parties tu agenceras : un mets est un ensemble de plusieurs parties (par exemple, dans le fameux saumon à l'oseille, il y a la pièce de saumon, et la sauce à l'oseille). La question se pose alors : qu'agencer, et comment le faire ?
Ici, je propose de ne pas oublier tout ce que la cuisine classique a appris, à savoir qu'il faut des contrastes. D'abord, il faut agencer des “morceaux” qui ont des consistances différentes : par exemple, un morceau dur à côté d'un morceau mou, ou au-dessus, ou au-dessous. C'est cela, agencer des parties. Soyons encore plus précis : par exemple, une mousse gélifiée au-dessus d'un “verre” (comme celui que l'on obtient quand on coule un sirop très chaud sur du marbre.
Attention, la consistance n'est pas la seule caractéristique qu'il faille agencer : pensons aussi à a agencer des parties de différentes couleurs (du jaune à côté de l'orange), des parties de différentes saveurs (du salé à côté d'acide), des parties de différentes odeurs (une odeur de zeste de citron entre une partie à l'odeur d'orange, et une partie à l'odeur de pamplemousse), des parties de différentes températures (une quenelle glacée dans un consommé froid)...
2. Les formes tu définiras : chacune des parties devra avoir une forme particulière. Ici, on ne "subit plus la forme du poulet... puisqu'il n'y a plus de poulet, ni la forme de la carotte, puisqu'il n'y a plus la forme de la carotte. Il faut donner des formes, les décider... et les bons cuisiniers note à note choisiront de façon que la forme soit appropriée à la sensation qu'ils veulent donner.
Par exemple, pourquoi ne pas commencer par reprendre des idées familières parce que classiques ? Une raviole, c'est souvent deux disques, avec une masse centrale, pour faire comme une soucoupe volante, mais un pain, c'est parfois un cylindre, parfois un hémisphère, etc. Evidemment, on peut faire bien plus sexy : une pyramide dans un cube transparent, une sphère contenant un cube. Pour l'instant, seuls nos amis pâtissiers font cela... mais pourquoi pas les charcutiers, le cuisiniers, le boulangers ?
3. Les couleurs tu choisiras : c'est bien beau d'avoir déterminé des formes, de les avoir agencées... Toutefois des morceaux doivent avoir une couleur, et, si possible, une couleur attrayante, qui ait du sens. Donner du sens, c'est difficile, et il faudrait une chronique tout entière pour discuter la question. En revanche, donner de la couleur, c'est facile : il existe des tas de pigments, soit extraits des produits végétaux (les chlorophylles sont des pigments bleus ou verts ; les caroténoïdes sont des pigments jaunes, orange, rouges ; les anthocyanines sont les pigments des fruits rouges et noirs, et ils changent de couleur avec l'acidité... de quoi s'amuser un peu ; les bétalaïnes sont les pigments des betteraves...), soit des produits animaux (acide carminique de la cochenille, etc.), soit encore de synthèse. Signalons à ce propos que les composés naturels ne sont pas plus "sains" que les autres : c'est la structure moléculaire, d'une part, et la dose d'autre part, mais aussi l'environnement moléculaire, qui font que les composés seront ou non inoffensifs. Tiens, un exemple : les caroténoïdes sont des explosifs, à l'état pur!
Ici, n'ayons pas trop peur... car la cuisine utilise depuis longtemps des “verts d'épinard”, ou des “oranges de carotte”, dont l'extraction est simple : on broie des végétaux verts (respectivement des carottes), on passe le broyat dans un linge, on le chauffe doucement, et l'on récupère la matière verte (respectivement orange) qui flotte sur le liquide.
4. Les saveurs tu décideras : les composés sapides sont innombrables, et ce sont le plus souvent des composés solubles dans l'eau. Parfois ce sont des molécules (le saccharose, ou sucre de table ; l'acide glycirrhizique de la réglisse ; l'éthanol, etc.), parfois ce sont des composés ioniques (le chlorure de sodium, ou sel ; le bicarbonate de sodium...), et, en tout cas, il y a bien plus que les quatre saveurs usuelles (sucré, salé, acide, amer) !
Ici, je propose une comparaison, pour bien comprendre. En cuisine classique, les cuisiniers savent le goût du poulet, du navet, du beurre... et, connaissant ces gouts élémentaires, ils savent comment les assembler. De même, quelqu'un qui parle connaît le sens des mots pour faire des phrases.
En matière de cuisine note à note, les cuisiniers, aujourd'hui, ne savent pas les “mots” : ils ne connaissent pas toutes les saveurs des acides aminés, des divers sucres et édulcorants, etc. Il leur faudra “apprendre les mots pour faire des phrases”, c'est-à-dire faire des essais, goûter... Savons-nous bien la saveur des divers ions qui sont dans les eaux ? Procurons-nous les, et goûtons-les ! De même pour les divers sucres et édulcorants. Je recommande particulièrement le glucose atomisé, qui est du glucose pur... que je mets dans la plupart des sauces que je fais pour ma famille... J'adore ce goûte extraordinaire... mais il est vrai que je ne suis pas cuisinier !
5. Les odeurs tu composeras : cette fois, la pratique est un peu plus difficile, parce que les composés odorants sont très puissants quand ils sont à l'état pur : pensons aux huiles essentielles! Par conséquent, il faudra apprendre à utiliser de très petites quantités de ces composés, ce que l'on peut faire en les dissolvant dans de l'huile, par exemple, ou bien en utilisant des huiles où la dissolution a été déjà faite par un fabricant. C'est le cas de certaines huiles qui donnent l'odeur de truffe... et où l'on a dissout une dizaine de composés différents.
Des pistes pour commencer : le limonène, qui fait la note particulière du zeste de citron ; le sotolon, qui fait la note du vin jaune, de la noix, du curry ; le 1-octen-3-ol, qui a une merveilleuse odeur de sous-bois ; la vanilline... que tout le monde connaît déja!
6. Tu auras décidé de la fraîcheur ou du piquant : ces sensations dites “trigéminales” sont différentes des odeurs et des saveurs, et ce sont des composés spécifiques qui les donnent, tels la pipérine du poivre, la capsaïcine du piment, le menthol de la menthe, l'eugénol du clou de girofle. Ici, il faut ajouter que certains composés sont à la fois sapides (qui ont du goût), odorants, et à action trigéminale (pensons à l'éthanol – alcool éthylique, par exemple : la vodka, c'est 40 pour cent de cet alcool dans de l'eau aussi pure que possible).
7. La consistance tu considéreras... avec beaucoup d'attention. Certains journalistes ont reproché à la cuisine moléculaire d'être "molle", oubliant que les "péligot" de glucose ou de fructose (on fait des caramels à partir de glucose, ou bien de fructose) sont aussi durs que du caramel. Ici, il faudra absolument régler, pour chaque partie, la question de la consistance. Cependant, puisque les tissus végétaux et animaux sont des gels (par définition : un liquide dans un solide), cela ne devrait pas être une question bien difficile : il nous suffit de faire des gels. Il n'est pas nécessaire, dans cette entreprise particulière, que les morceaux soient de consistance unie (un gel de gélatine, par exemple), et l'on obtiendra des sensations en bouche spécifiques si l'on structure les différentes consistances élémentaires que l'on produit : pensons au surimi, obtenu par filage de protéines de poisson et n'oublions pas, surtout, que des systèmes techniques simples peuvent arriver à des résultats compliqués en termes de consistance, tel que tresser des spaghettis (essayez donc : vous me direz des nouvelles de la merveilleuse sensation en bouche), produire des crackers en forme de ballon creux... alors que leur peau est percée (essayez donc de gonfler un ballon percé!)...
Bon appétit, pour ce merveilleux XXIe siècle où nous somes : rappelons-nous que la bonne cuisine note à note sera bonne, et qu'elle ne remplacera pas la cuisine plus ancienne, mais s'ajoutera, tout comme Debussy s'est ajouté à Mozart !
La cuisine moléculaire : c'est quoi, au juste ?
Outils, ingrédients, méthodes : qu’appelle-t-on cuisine moléculaire et gastronomie moléculaire ?
La cuisine moléculaire a dix ans. Oui, certains cuisiniers en font depuis plus longtemps, puisque la gastronomie moléculaire a été introduite en 1988 (elle a donc plus de 20 ans), et que les idées qui ont présidé à ces activités datent du début des années 1980 (comptons : là, ça fait 30 ans). Toutefois il est également juste que j'ai introduit l'expression "cuisine moléculaire" a été introduite à Paris, en 1999, alors que je recevais mon ami Heston Blumenthal (chef anglais). Il me disait être heureux de faire de la gastronomie moléculaire... et je lui répondais que non, il ne faisait pas de gastronomie moléculaire, puisque seuls les scientifiques font de la gastronomie moléculaire. Pour ne pas abattre son enthousiasme, je décidais alors de nommer "cuisine moléculaire" la forme de cuisine moderne qui faisait l'application de la gastronomie moléculaire.
En deux commandements donc :
1. Si tu explores les mécanismes des phénomènes qui se déroulent lors des transformations culinaires, tu fais de la gastronomie moléculaire (de la science), mais évidemment, tu ne produis pas à manger, tu ne cuisines pas, tu ne fais donc pas de cuisine moléculaire.
2. Si tu cuisine et si tu appliques les résultats de la science nommée gastronomie moléculaire, si tu participes à ce grand mouvement de rénovation des techniques culinaires, alors tu fais de la cuisine moléculaire.
Il faut ajouter que EVIDEMMENT, ce serait une erreur de dire que toute la cuisine est de la cuisine moléculaire, sous prétexte qu'il y a des molécules dans tous les aliments, fruits, légumes, viandes ou poisson !
Oui, évidemment, il y a des molécules dans tous les aliments, mais il aurait fallu être drôlement malhonnête pour donner un nouveau nom à la cuisine. La cuisine, c'est la cuisine.
Plus positivement, l'expression "cuisine moléculaire" est une expression qui se comprend en bloc, et, d'ailleurs, ce serait une faute de français que de dire que la cuisine puisse être moléculaire. Il pourrait à la rigueur y avoir la "cuisine des molécules" (nous verrons cela une autre fois), mais "cuisine moléculaire" dans le sens que l'on cuisine des molécules serait la même faute de français que quand on dit (hélas!) "cortège présidentiel" : un cortège n'est présidentiel, en bon français, que quand il est lui-même le président ; si c'est le cortège qui accompagne le président, alors on doit dire (en bon français) "cortège du président".
Les principales caractéristiques de la cuisine moléculaire
Passons sur ces questions, et arrivons à la cuisine moléculaire, pour la préciser.. alors que, nous le verrons plus loin, elle commence à disparaître.
L'idée essentielle de la "cuisine moléculaire", c'était que, au début des années 1980, les techniques culinaires étaient ancestrales, très désuètes, un peu comme si l'on avait roulé en char à boeufs à l'époque des fusées. Une plaque électrique, si elle n'est pas à l'induction, ou une plaque à gaz gaspillent jusqu'à 80 pour cent de l'énergie consommée. Autrement dit, s'il fallait 10 centrales nucléaires pour fournir l'énergie à la cuisine française, il faudrait admettre que 8 sont inutiles !
Bref, la question était de rénover les ustensiles culinaires, et, tant que nous y étions avec mon vieil ami Nicholas Kurti, nous avions aussi l'ambition de rénover les ingrédients et les méthodes.
D'où les trois commandements de la cuisine moléculaire :
1. Si tu utilises des outils qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- le siphon, permet de faire des mousses en un clin d'oeil... alors que les fouets imposent un battage de plusieurs minutes : un progrès, non ?
- les filtres à verre fritté... permettent des filtrations plus rapides et plus efficaces que les linges pliés en quatre dans les chinois : ces systèmes sont des filtres dont les pores sont parfaitement contrôlés ; on y met un bouillon trouble, on fait le vide... et hop, le bouillon qui traverse le filtre est clair ! Pas de blanc d'oeuf battu, pas de « clarification » !
- l'évaporateur rotatif (plus à la page) : cette fois, il s'agit de distiller à la température ambiante, sous vide, et de récupérer les plus belles fractions odorantes des ingrédients alimentaires, des fraises, du café, des herbes...
2. Si tu utilises des ingrédients qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- l'agar-agar ou l'alginate de sodium, ou encore les divers carraghénanes : à l'aide de ces gélifiants, la gamme de la gélatine (des pieds de veau) et des pectines (des fruits) s'étend considérablement, avec des consistances particulières, des tenues à la température, des possibilités nouvelles ; par exemple, avec des alginates, on peut faire des perles à coeur liquide, comme des oeufs de saumon.
3. Si tu utilises des méthodes qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- le chocolat chantilly : autrement dit, pourquoi utiliser des oeufs pour les mousses au chocolat... alors que le chocolat chantilly est une preuve simple (sur Youtube, vous verrez une petite fille de six ans qui en fait la démonstration) du fait que ces oeufs sont inutiles. Inutiles ? C'est donc du gâchis d'en utiliser. Et, puisque j'y pense : avez-vous déjà essayé le foie gras chantilly ? Le fromage chantilly ? Le beurre noisette chantilly ? Attention, pour ceux qui ne se sont pas lancés : il ne s'agit pas d'utiliser de la crème pour faire une chantilly à laquelle on mêlerait du chocolat, du fromage, etc.
Tout simple, non?
J'en arrive maintenant à la bonne nouvelle : la cuisine moléculaire est en train de disparaître... parce que les cuisiniers se sont presque tous modernisés. Fours à micro-ondes, plaques à induction, siphons, gélifiants autres que la gélatine, etc. Nous y sommes... au point que des cuisiniers qui utilisent azote liquide et siphons me disent ne pas faire de cuisine moléculaire !
La cuisine moléculaire meurt tranquillement : vive la cuisine "note à note"... mais cela est une autre histoire.
En attendant, la gastronomie moléculaire ne meurt pas, elle, puisque c'est de la science, qui se développe dans le monde entier, mais dans les laboratoires, pas dans les cuisines ! Et, par principe, une science ne peut pas mourir !
La cuisine moléculaire a dix ans. Oui, certains cuisiniers en font depuis plus longtemps, puisque la gastronomie moléculaire a été introduite en 1988 (elle a donc plus de 20 ans), et que les idées qui ont présidé à ces activités datent du début des années 1980 (comptons : là, ça fait 30 ans). Toutefois il est également juste que j'ai introduit l'expression "cuisine moléculaire" a été introduite à Paris, en 1999, alors que je recevais mon ami Heston Blumenthal (chef anglais). Il me disait être heureux de faire de la gastronomie moléculaire... et je lui répondais que non, il ne faisait pas de gastronomie moléculaire, puisque seuls les scientifiques font de la gastronomie moléculaire. Pour ne pas abattre son enthousiasme, je décidais alors de nommer "cuisine moléculaire" la forme de cuisine moderne qui faisait l'application de la gastronomie moléculaire.
En deux commandements donc :
1. Si tu explores les mécanismes des phénomènes qui se déroulent lors des transformations culinaires, tu fais de la gastronomie moléculaire (de la science), mais évidemment, tu ne produis pas à manger, tu ne cuisines pas, tu ne fais donc pas de cuisine moléculaire.
2. Si tu cuisine et si tu appliques les résultats de la science nommée gastronomie moléculaire, si tu participes à ce grand mouvement de rénovation des techniques culinaires, alors tu fais de la cuisine moléculaire.
Il faut ajouter que EVIDEMMENT, ce serait une erreur de dire que toute la cuisine est de la cuisine moléculaire, sous prétexte qu'il y a des molécules dans tous les aliments, fruits, légumes, viandes ou poisson !
Oui, évidemment, il y a des molécules dans tous les aliments, mais il aurait fallu être drôlement malhonnête pour donner un nouveau nom à la cuisine. La cuisine, c'est la cuisine.
Plus positivement, l'expression "cuisine moléculaire" est une expression qui se comprend en bloc, et, d'ailleurs, ce serait une faute de français que de dire que la cuisine puisse être moléculaire. Il pourrait à la rigueur y avoir la "cuisine des molécules" (nous verrons cela une autre fois), mais "cuisine moléculaire" dans le sens que l'on cuisine des molécules serait la même faute de français que quand on dit (hélas!) "cortège présidentiel" : un cortège n'est présidentiel, en bon français, que quand il est lui-même le président ; si c'est le cortège qui accompagne le président, alors on doit dire (en bon français) "cortège du président".
Les principales caractéristiques de la cuisine moléculaire
Passons sur ces questions, et arrivons à la cuisine moléculaire, pour la préciser.. alors que, nous le verrons plus loin, elle commence à disparaître.
L'idée essentielle de la "cuisine moléculaire", c'était que, au début des années 1980, les techniques culinaires étaient ancestrales, très désuètes, un peu comme si l'on avait roulé en char à boeufs à l'époque des fusées. Une plaque électrique, si elle n'est pas à l'induction, ou une plaque à gaz gaspillent jusqu'à 80 pour cent de l'énergie consommée. Autrement dit, s'il fallait 10 centrales nucléaires pour fournir l'énergie à la cuisine française, il faudrait admettre que 8 sont inutiles !
Bref, la question était de rénover les ustensiles culinaires, et, tant que nous y étions avec mon vieil ami Nicholas Kurti, nous avions aussi l'ambition de rénover les ingrédients et les méthodes.
D'où les trois commandements de la cuisine moléculaire :
1. Si tu utilises des outils qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- le siphon, permet de faire des mousses en un clin d'oeil... alors que les fouets imposent un battage de plusieurs minutes : un progrès, non ?
- les filtres à verre fritté... permettent des filtrations plus rapides et plus efficaces que les linges pliés en quatre dans les chinois : ces systèmes sont des filtres dont les pores sont parfaitement contrôlés ; on y met un bouillon trouble, on fait le vide... et hop, le bouillon qui traverse le filtre est clair ! Pas de blanc d'oeuf battu, pas de « clarification » !
- l'évaporateur rotatif (plus à la page) : cette fois, il s'agit de distiller à la température ambiante, sous vide, et de récupérer les plus belles fractions odorantes des ingrédients alimentaires, des fraises, du café, des herbes...
2. Si tu utilises des ingrédients qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- l'agar-agar ou l'alginate de sodium, ou encore les divers carraghénanes : à l'aide de ces gélifiants, la gamme de la gélatine (des pieds de veau) et des pectines (des fruits) s'étend considérablement, avec des consistances particulières, des tenues à la température, des possibilités nouvelles ; par exemple, avec des alginates, on peut faire des perles à coeur liquide, comme des oeufs de saumon.
3. Si tu utilises des méthodes qui n'étaient pas dans la cuisine de Paul Bocuse en 1976 (date de la publication de La cuisine du marché), tu fais de la cuisine moléculaire.
Par exemple :
- le chocolat chantilly : autrement dit, pourquoi utiliser des oeufs pour les mousses au chocolat... alors que le chocolat chantilly est une preuve simple (sur Youtube, vous verrez une petite fille de six ans qui en fait la démonstration) du fait que ces oeufs sont inutiles. Inutiles ? C'est donc du gâchis d'en utiliser. Et, puisque j'y pense : avez-vous déjà essayé le foie gras chantilly ? Le fromage chantilly ? Le beurre noisette chantilly ? Attention, pour ceux qui ne se sont pas lancés : il ne s'agit pas d'utiliser de la crème pour faire une chantilly à laquelle on mêlerait du chocolat, du fromage, etc.
Tout simple, non?
J'en arrive maintenant à la bonne nouvelle : la cuisine moléculaire est en train de disparaître... parce que les cuisiniers se sont presque tous modernisés. Fours à micro-ondes, plaques à induction, siphons, gélifiants autres que la gélatine, etc. Nous y sommes... au point que des cuisiniers qui utilisent azote liquide et siphons me disent ne pas faire de cuisine moléculaire !
La cuisine moléculaire meurt tranquillement : vive la cuisine "note à note"... mais cela est une autre histoire.
En attendant, la gastronomie moléculaire ne meurt pas, elle, puisque c'est de la science, qui se développe dans le monde entier, mais dans les laboratoires, pas dans les cuisines ! Et, par principe, une science ne peut pas mourir !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue :
Le terroir à toutes les sauces (un
traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de
recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que
nous construit la cuisine)
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