Pourquoi le lait déborde-t-il quand il bout ?
Un correspondant me soumet une hypothèse assortie de mots de plus de trois syllabes, ce qui incite toujours à la prudence : les gouttelettes de matière grasse du lait subiraient une coalescence de sorte qu'elles formeraient une peau qui ferait déborder.
Gouttelettes ? Coalescence ? Peau ? Et alors ? C'est à la fois incompréhensible... et faux.
Ici, analysons calmement, et plus justement. Nous introduirons le mot "coalescence", mais surtout pour expliquer ce que c'est, car, en réalité, nous pourrions nous en passer pour donner l'explication réclamée.
Le lait, au premier ordre, c'est surtout de l'eau, puis de la matière grasse et des protéines. L'eau, c'est l'eau, de sorte qu'il est naturel que le lait se mette à bouillir quand il est chauffé : c'est l'eau du lait qui, chauffée par le fond de la casserole à la température de 100 degrés, se met à bouillir.
On observera qu'un gramme d'eau liquide fait environ un litre de vapeur. La formation des bulles, au fond de la casserole, s'accompagne donc du soulèvement de l'eau liquide, quand les bulles se forment. Mais comme elles se détachent du fond, montent vers la surface et éclatent en arrive vers la surface, elles rendent l'eau turbulente.
La matière grasse, maintenant. Oui, le lait contient de la matière grasse sous la forme de petites structures bien visibles à l'aide d'un microscope. Dans ces structures, une partie de la graisse est solide et une partie est liquide, quand la température n'est pas trop élevée : pensons que cette graisse est celle qui, concentrée, fait le beurre.
Mais à la température d'ébullition du lait, toute la graisse est fondue, et elle se trouve donc sous la forme de gouttelettes, moins denses que l'eau, de sorte qu'elles peuvent se trouver préférentiellement dans la partie supérieure du lait, comme pour une couche d'huile sur de l'eau.
Pour autant, cette couche ne peut en aucun cas être responsable du débordement du lait : faites donc l'expérience de faire bouillir de l'eau avec de l'huile, et vous verrez que les bulles de vapeur formées au fond de la casserole montent vers la surface, et viennent traverser la couche d'huile, afin de s'échapper.
Il faut donc que le lait déborde à cause de ses protéines. Car il y a des protéines de plusieurs sortes, dans le lait, mais notamment des protéines qui peuvent coaguler, formant la peau du lait.
La peau du lait ? Comme quand un blanc d'oeuf (fait de protéines dans l'eau) se met à cuire. Cela produit un "gel", et l'on sait que ce gel n'est pas perméable à la vapeur : quand on cuit un oeuf dans un four à micro-ondes, il y a des projections partout quand la vapeur formée à coeur ne parvient pas à s'échapper, et fait exploser le blanc coagulé.
Oui, cette fois, nous tenons notre explication : les bulles de vapeur ne peuvent pas traverser la peau, de sorte qu'elles la soulève. Le lait "monte", puis quand la peau atteint le sommet de la casserole, ce qui était dessous peut sortir... hélas par dessus les parois... et le lait déborde.
On le voit, c'est la considération ordonnée des phénomènes, par ordre de grandeur, qui conduit à leur saine analyse. Ici, d'ailleurs, le premier ordre suffisait, et il n'y avait pas besoin d'entrer dans des détails pour interpréter les phénomènes.
Surtout, une fois de plus, nous avons eu raison de nous méfier des mots de plus de trois syllabes, qui cachent souvent une ignorance. J'ai des tas d'exemples de tels cas. Par exemple, quand des protéines jaunissent, au contact de l'acide nitrique, on incrimine la "réaction xanthoprotéiques". Xanthoprotéique ? Il y a xanthos, jaune, et protéines. Autrement dit, on n'explique rien, et l'on dit que les protéines jaunissent parce que les protéines jaunissent. Un autre exemple : le choc thermique, qui n'existe souvent pas quand on l'invoque... et donc j'ai fait un autre billet.
D'où une proposition : ne pourrions-nous pas commencer une collection de tels mots afin que nos amis puissent être alertés chaque fois qu'ils les rencontrent ? Cela rendrait service.
samedi 13 mai 2017
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