Comment s'y prendre pour décrire la cuisine ? Cette dernière est si variée qu'il nous faut un ordre. Et, évidemment, il vaut mieux commencer par ce qui est le plus "iimportant".
Pour
savoir quels ingrédients culinaires sont les plus populaires (oui, je me mets évidemment dans le peuple !), il
suffit d'aller dans un endroit populaire, tel un supermarché.
Dirigeons-nous vers le rayon des fruits et légumes, puisqu'il s'en
trouve toujours un (d'ailleurs, ces rayons s'imposent de plus en
plus, comme ceux de la boucherie, de la poissonnerie et de la
boulangerie), et observons. A toutes les époques de l'année, on y
trouve des carottes, de pommes de terre, des navets, des choux, des
oignons, de l'ail, des citrons, des bananes, des pommes, des oranges,
des avocats, des kiwis, des salades, du persil. Je ne cherche pas à
juger si la présence de ces ingrédients est ou non légitime ;
je ne cherche pas à connaître les raisons éventuellement
capitalistiques de la présence de ces ingrédients, mais
l'observation précédente conduit à penser que la cuisine française
part principalement de ces ingrédients (en supposant que les plats
préparés ne l'emportent pas aujourd'hui).
Le
plus utilisé de tous ces ingrédients ? C'est ans doute le moins cher :
la pomme de terre. Mais vient bientôt la carotte. Nous avons déjà
considéré la cuisson de la frite, et nous pourrons examiner, dans
un autre billet, la cuisson de l'oignon, qui a un statut un peu
particulier, mais, dans l'ordre, nous devons considérer la cuisson
des carottes.
Signalons
d'abord que les carottes, qui sont des racines, dans la terre, sont
sans cesse menacées par des animaux, gros ou petits, qui veulent les
manger. Les carottes se sont donc protégées par une peau, qui peut
être dure, difficilement attaquable, ou qui contient des composés
toxiques pour les agresseurs. C'est ainsi que nombre de produits
végétaux contiennent à leur surface des pesticides parfaitement
naturels... et pas sélectifs : pas dirigés seulement contre
les agresseurs non humains, mais contre tous ! Voilà pourquoi
nous aurons bien raison de ratisser les carottes et d'éliminer la
couche superficielle possiblement toxique.
Reste
maintenant que la carotte peut être dure, ce qui a conduit
l'humanité à la cuire, notamment en vue de l'attendrir. A ceux qui
croient naïvement qu'il y eut un âge d'or de l'alimentation avant
nous, on rappellera quand même que la grande difficulté de
l'humanité, à part les famines, était de ne plus avoir de dents,
de sorte que la cuisson qui attendrissait les légumes durs était un
véritable atout. Cela se mesure, et ce n'est pas un discours
poétique.
Et
c'est un fait que la cuisson attendrit les carottes. Pourquoi ?
Les
carottes sont faits de petits sacs jointifs, les cellules végétales,
cimentées par la paroi végétale, qui est faite essentiellement de
celluloses, d'hémicelluloses et de pectines. La cellulose, c'est une
matière dont les molécules sont très inertes chimiquement aux
températures de la cuisine. La preuve, c'est que notre tee shirt en
coton, fait de cellulose, ne se dissout pas dans les machines à
laver (l'eau y est si chaude qu'on peut cuire un œuf, de la viande,
du poisson...), même après de nombreux lavages.
Autrement dit, si
la cuisson attendrit les carottes, ce n'est sans doute pas la
cellulose qui est en cause, et, d'ailleurs, ce n'est pas elle qui est
en causse, mais plutôt les pectines, sortes de fils enroulés autour
des molécules de cellulose. Quand on cuit des végétaux,
notamment des carottes, les pectines sont dégradées par une
réaction nommée élimination bêta : les molécules de pectine
sont coupées en petits morceaux, ce qui libère dans le liquide de
cuisson un sucre nommé « acide galacturonique ».
Cela,
c'est au premier ordre seulement, car les pectines sont faites de
bien d'autres sucres que l'acide galacturonique : rhamnose,
glucose, etc. Mais au premier ordre, les pectines sont des
enchaînements de fragments analogues à l'acide galacturonique (on
dit des résidus d'acide galacturonique), et, en tous cas, il y a
beaucoup d'acide galacturonique libérés par l'élimination bêta.
Et c'est ainsi que les cellules de carotte, désolidarisées en raison de la dégradation partielle des pectines, se
séparent les unes des autres, formant une purée molle, le ciment
entre les briques étant dégradé. Même avec de mauvaises dents, on
peut alors bénéficier ce tous les composés (nutriments) présents
dans les sucres.
La cuisson, acte parfaitement artificiel, a donc
transformé la carotte crue immangeable par nos ancêtres en purée
de carotte consommable même quand nous sommes âgés. Il y a eu une
transformation molécules, des « réactions chimiques »,
et le cuisinier, sans en connaître l'explication moléculaire, a
opéré une telle transformation, pour notre plus grand bonheur
nutritif.
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