Toutefois les sciences de la nature ont des applications d'au moins deux types : techniques, et pédagogique. Les inventions relèvent semble-t-il (je deviens prudent, avec l'âge) du champ technique.
Je m'aperçois, ainsi, que j'ai oublié de nommer une vieille invention, souvent décrite et enseignée aux cuisiniers : les "gels d'huile", ou "huiles gélifiées". Evidemment, avec de tels noms, c'est peu engageant, car qui voudrait manger de l'huile ? Notre mauvaise foi gourmande veut travestir la chose (alors que le chocolat, c'est en gros 50 pour cent de matière grasse et 50 pour cent de sucre, sans que cela gêne personne), et c'est facile : il suffit de donner un plus beau nom. Un "chevreul", puisqu'il est question de matière grasse et que le chimiste français Michel Eugène Chevreul découvrit la structure des triglycérides ? Le nom a été précédemment donné à des mets qui mettent en oeuvre la transposition du "contraste simultané" en cuisine. Un de gennes, puisque Pierre-Gilles de Gennes explora la physique de la matière molle, et notamment des gels ? Le nom a déjà été donné à des perles d'alginate. Alors pourquoi pas des "graham", puisque Thomas Graham introduisit le mot "colloïde" en 1861 ?
Au fait, comment les préparer ?
Il suffit de repenser aux "gibbs", que j'avais proposés il y a des décennies : ce sont des émulsions piégées dans des gels chimiques, que l'on obtient de la façon suivante : à de l'eau, on ajoute un composé tensioactif (par exemple, des protéines), puis on émulsionne de l'huile, ce qui produit une émulsion ; on chauffe, afin de coaguler les protéines, et l'on obtient les gibbs, du nom du physico-chimiste américain Josiah Willard Gibbs.
Peu appétissant ? Imaginez que vous infusiez de la vanille dans l'eau, que vous la sucriez, et que votre huile soit une belle huile d'olive vierge : si vous produisez le met dans une jolie tasse, avec un objet un peu croustillant, bien doré, vous aurez un dessert remarquable. Ou si vous émulsionnez du chocolat fondu dans un blanc d'oeuf, avant de cuire votre émulsion, vous aurez un gibbs de chocolat délicieux (à servir chaud). Bref, plein de possibilités : je passe les gibbs au fromage, au fois gras, au beurre noisette...
Passons maintenant aux graham : c'est tout simple, puisqu'il s'agit de faire sécher les gibbs : si l'eau s'évapore, le réseau reste intouché, et l'huile demeure. Finalement, on récupère une huile dans un solide, un gel d'huile, un "graham".
Quel goût lui donner ? Celui du chocolat ? Du foie gras ? De l'huile d'olive ? Du beurre noisette ? La question est artistique, de sorte que c'est aux artistes (les cuisiniers) de répondre !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue :
Le terroir à toutes les sauces (un
traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de
recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que
nous construit la cuisine)
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