Ma passion publique pour les extraordinaires phénomènes qui se produisent lors des transformations culinaires me conduit à recevoir de nombreux messages par courriel, et, souvent, on me pose des questions sur la cuisine. Parfois, mais parfois seulement, j'affiche ces questions sur le blog « gastronomie moléculaire » et je donne la réponse. Toutefois, pour une réponse que j'ai, il y a des millions de questions ouvertes.
Voilà notamment pourquoi nous n'avons aucune difficulté à nous réunir chaque mois depuis maintenant plus de plus de 17 ans, à l'Ecole supérieure de cuisine française, à Paris, pour nos séminaires de gastronomie moléculaire.
Dans chaque séminaire, nous considérons une question, une seulement, nous l'analysons, et nous faisons des expériences pour l'explorer. Les comptes rendus de ces séminaires sont donnés sur mon site http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/, notamment, et leur teneur est également donnée dans la revue La Cuisine collective.
Toutefois, nous sommes amenés à sélectionner très durement les questions que nous explorons au cours des séminaires, car certaines questions sont très « locales ». Pas inintéressantes, mais locales. Par là, je veux dire que leur étude risque de ne pas apporter grand-chose à notre connaissance, ou, du moins, de ne pas faire effondrer un très grand pan de la montagne de notre ignorance.
Par exemple, on me dit que la présence de feuilles de figuier dans une daube permet d'attendrir la viande. Est-ce vrai ?
Je n'en sais rien, et j'en doute.
Oui, le suc du figuier contient des enzymes protéolytiques, des protéases, qui attaquent les protéines de la viande, et attendrissent cette dernière. C'est d'ailleurs pour cette même raison que certaines populations enveloppent les viandes dans des feuilles de papaye, ces dernières libérant une enzyme protéolytique, une protéase, la papaïne.
Toutefois, les enzymes sont elles-mêmes des protéines, c'est-à-dire comme des fils repliés sur eux-mêmes. Or l'activité protéolytique des protéases, comme l'activité enzymatique des autres enzymes, dépend de ce repliement. Ce repliement très spécifique est perdu lors du chauffage, et c'est la raison pour laquelle je doute que des protéases puissent conserver leur action protéolytique lors d'une cuisson.
Bien sûr le mot « chauffage » n'a guère de sens, car sortir un poulet du congélateur, c'est déjà le chauffer. Il est donc essentiel de spécifier une température de chauffage. Dans une daube, si l'on atteint le frémissement, la température est d'au moins 80 degrés, une température à laquelle la majorité des enzymes sont dénaturées, perdant leur activité. Et voilà pourquoi je veux une action protéolytique des feuilles de figuier.
Bien sûr, il pourrait y avoir des actions d'autres sortes, en raison d'un contenu en composés phénoliques, par exemple. On peut tout imaginer, mais si l'on peut tout imaginer, pourquoi imaginer plutôt une action qu'une absence d'action ? Il y a une infinité d'actions possibles et une infinité d'actions impossibles.
Faut-il perdre du temps à aller explorer d'abord le très improbable ? C'est là une question de stratégie, et aussi de circonstances, et c'est seulement au cas où la précision culinaire qui m'est indiquée aurait une importance particulière que je crois devoir me résoudre à y passer du temps.
Pour les feuilles de figuier et les daubes, la précision n'a été donné qu'une fois, et je ne l'ai pas trouvé en dans les sources écrites. L'imagination humaine étant infinie, je crains devoir ne pas m'intéresser expérimentalement à cette question.
Et vous ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces
(un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de
cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)