mardi 21 juillet 2015

La cuisine moléculaire : en plein essor !

Retour de discussion avec des amis.

Je leur  disais que je cherche  à faire "mourir" la cuisine moléculaire (pas la gastronomie moléculaire, en revanche), afin de faire grandir la "cuisine note à note", bien plus intéressante.
Mes amis me disent : "Non, la cuisine moléculaire ne meurt pas ; elle est en plein essor... et c'est tant mieux".

A la réflexion, oui, la cuisine moléculaire est en plein essor... et la preuve en est que les chefs -même ceux  qui sont "réfractaires"- ont tous des siphons. Tous utilisent maintenant les divers gélifiants, et si tous n'ont pas encore de l'azote liquide, si tous n'ont pas des évaporateurs rotatifs, de plus en plus cuisent à basse température.
Bref, même les chefs qui ne "font pas de cuisine moléculaire" en font, en réalité.

Je rappelle des faits : la définition de la "cuisine moléculaire", c'est "cuisiner avec des matériels modernes", c'est-à-dire des matériels que n'avait pas Paul Bocuse en 1976, quand il écrivit la cuisine du marché.

Il faut donc être soit ignorant (cela n'est pas grave : on peut sortir de son ignorance), soit malhonnête (là, c'est plus grave : et je ne sais pas s'il y a une issue), soit idiot (je ne fais jamais à mes interlocuteurs l'injure de penser qu'ils sont bêtes)  pour penser ou dire que la cuisine moléculaire puisse être une nuisance : à nouveau, je le redis, il s'agit de faciliter le travail des cuisiniers.
Bien sûr, il y a beaucoup de désinformation, à propos de la cuisine moléculaire, mais ne doit-on pas conserver la définition de celui qui l'a donnée (moi) ?

Enfin, oui, je voudrais que la cuisine note à note se développe encore plus qu'elle ne le fait, et je suis impatient, raison pour laquelle je voudrais faire mourir la cuisine moléculaire... mais je suppose que ceux qui sont réfractaires à la cuisine moléculaire ne seront pas vraiment enchantés de la suite, la cuisine note à note.

Enfin, oui, comme le dit mon ami Pierre Gagnaire, pas besoin de tuer la cuisine moléculaire pour faire advenir la cuisine note à note. Laissons la première vivre, avec des artistes produisant de belles oeuvres, pendant que d'autres développeront la secondes.


















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 20 juillet 2015

Le 4 juillet 2015, à Strasbourg

Mon ami Jean-Marie Lehn  m'a fait l'honneur de me convier à présenter des travaux le 4 juillet à Strasbourg, et voici le résultat : http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=13476&voir=oui

samedi 18 juillet 2015

Pour des oeufs brouillés parfaits

http://hervethis.blogspot.fr/2015/07/les-oeufs-brouilles-du-petit-dejeuner.html



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

lundi 6 juillet 2015

Huiles et graisses

On entend mille choses, à propos des graisses  : 

- l'huile, ce serait mieux que le beurre ou la crème "pour la santé"

- les graisses végétales, ce serait mal (ou bien) dans le chocolat

- les matières grasses hydrogénées, ce serait très  mauvais

- et ainsi de suite. 

Je déplore que beaucoup de mes interlocuteurs qui font ainsi des déclarations à l'emporte pièce ne savent pas de quoi ils parlent, d'un point de vue physico-chimique. Manifestement, quelques données de base sont nécessaires pour se faire une idée. 


Commençons non pas par la chimie, ni par la physique, mais par la nutrition. Ce sera vite fait : je n'y connais rien, de sorte que je ne suis pas habilité à en parler ! 


Alors passons à la politique : on nous dit qu'on peut mettre des graisses végétales dans le chocolat, afin de régulariser les cours du cacao.
Pourquoi pas, mais le chocolat doit d'abord être et rester du chocolat, donc une matière dans la composition de laquelle ne viennent  pas d'autres corps gras que le beurre de cacao.
C'est là une question de loyauté. Et j'ai déjà déploré dans des billets cette possibilité donnée aux fabricants d'ajouter de la matière grasse végétale (quelle qu'elle soit)  en petite quantité au beurre de cacao.
Plus exactement, alors que le produit ainsi obtenu ne diffère probablement pas du chocolat (le mot que je conserve pour désigner le produit sans ajout de matières grasses autres que du beurre de cacao), je propose qu'on ait deux noms différents pour désigner les produits différents, sous peine de tromperie. Ce n'est pas la règle qui a été retenue,  mais il n'est pas impossible de changer la règle actuelle, en vue d'une plus grande loyauté. 

A propos d'huile de palme, aussi, il y a des débats : la question semble être politique, mais là, je n'y connais rien, et c'est en dehors de mon champ scientifique, de sorte que je ne dois  rien en dire. Et que je n'en dis rien.



La toxicologie, maintenant ? Il y a la question des matières grasses, et de leurs impuretés... Là, des explications de chimie sont nécessaires. Nous considérerons d'abord une huile, puis une matière plus complexe. 

Les huiles sont des matières, parfois jaunes, qui sont liquides à la température ambiante. Si l'on avait un microscope très puissant, on la verrait faite d'objets qui bougent en tous sens : des molécules. Ces molécules ont une construction particulière : elles sont comme des peignes à trois dents, et, mieux, avec trois dents souples, au point qu'elles peuvent  se mettre dans toutes les directions autour du manche. Les molécules de l'huile sont nommées "triglycérides", parce que le "manche", s'il était isolé, serait un composé nommé glycérol (le nom que les chimistes donnent à la "glycérine"), et qu'il y a trois dents. 

Et les acides gras, me direz-vous ? Si l'on ne dit pas n'importe quoi, il n'y en a pas dans l'huile. Oui, j'insiste : lorsque des "dents" isolées, qui sont alors des acides gras, réagissent avec un manche isolé, qui est donc du glycérol, pour former des triglycérides, des atomes sont échangés, perdus, etc., de sorte que le glycérol n'est plus du glycérol, et les acides gras ne sont plus  des acides gras. Finalement l'huile est faite, donc, de molécules de triglycérides. 

Et il y a beaucoup de sortes de molécules de triglycérides, parce qu'il y a de nombreuses sortes de "dents". Plus exactement, pour du lait, où de la matière grasse (qui fait ensuite le beurre) est dispersée dans l'eau, sous la forme de gouttelettes microscopiques, il y a 400 sortes de dents.
De sorte que le nombre de différents triglycérides est considérable. Partons en effet d'une molécule de glycérol, et faisons la réagir avec un acide gras : il y a 400 possibilités. Puis faisons réagir l'ensemble avec un autre acide gras : pour chacun des 400 résultats initiaux, il y a 400 possibilités, soit au total 400 fois 400, soit 160 000 possibilités. Et avec le troisièmc acide gras, cela fait donc des millions de molécules différentes. 

Pourquoi cela est-il intéressant ? Parce que les divers  acides gras déterminent le comportement physique des matières grasses. En gros, à une température fixe (par exemple la température ambiante), les grosses molécules bougent plus lentement que les petites.
Or quand les molécules ne peuvent pas bouger, elles restent sur place et forment un solide. De ce fait, les divers triglycérides, s'ils étaient purs, auraient des températures de fusion différentes. Pour les triglycérides du beurre, par exemple, les plus  fusibles fondent dès - 10 °C, et les moins fusibles  fondent à 50 °C. Dans le beurre de cacao, les moins fusibles fondent à 37 °C... comme le prouve l'expérience qui consiste à placer un carré de chocolat dans la bouche. 

Et ainsi, pour chaque  matière grasse, il y a un comportement de fusion différent... mais il y a une constante : aux  températures inférieures à la température de fusion des triglycérides les plus fusibles d'une matière grasse, cette dernière est à l'état solide ; aux températures supérieures à la température de fusion des triglycérides les moins fusibles, la matière grasse est entièrement liquide (l'huile à la température ambiante). 

Et aux températures intermédiaires ? Et bien, là, une partie est liquide, et elle est le plus souvent piégée dans la partie solide. Oui, dans une motte de beurre placée à une température comprise entre -10 °C et + 50 °C, il y a de la matière grasse liquide dans ce qui paraît solide. 

D'ailleurs, c'est une expérimentation amusante que d'ajouter de l'huile à du chocolat fondu, et à refroidir ensuite ; ou, inversement, à ajouter du beurre  de cacao à de l'huile (d'accord, c'est pareil ;-), mais on n'oublie pas qu'à côté de la dénotation, il y a  la connotation) : on change ainsi le comportement de fusion. 

Commençons par dire que le chocolat est fait environ pour moitié de matière grasse (le beurre de cacao, donc) et de sucre. Et pensons à un coulant au  chocolat, gâteau  avec un coeur qui coule quand on ouvre le gâteau. Comment le faire ? Il faut faire une sorte de mousse au chocolat additionnée de farine, et placer, au centre, un "noyau" fait de chocolat rendu plus  fusible par l'ajout de matière grasse liquide à la température du service. On n'oublie pas, évidemment, de congeler ce noyau  pour le manipuler. Lors de la cuisson, il fond, et, quand on coupe le gâteau, dans l'assiette, le chocolat fondu en sort. 

Et par la même technique, on change le degré de fusion des matières grasses, on mélange du beurre avec de l'huile, de l'huile de palme avec de la matière grasse laitière, du beurre de cacao avec de la matière grasse  de fois gras, que sais-je ? 

Tiens, j'ai évoqué l'huile de palme, qui fait débat. Qu'en penser ? D'un point de vue chimique, elle est faite de triglycérides, comme le beurre, comme l'huile, comme le beurre de cacao. Après, il y a -semble-t-il, car en réalité, je n'y connais rien- des questions politiques, environnementales, mais on comprend bien que ce n'est pas à un physico-chimiste d'en parler. Pour moi, un triglycéride est un triglycéride... Chaque matière grasse a son comportement de fusion particulier, son intérêt nutritionnel particulier...

Reprenons les questions initiales. L'huile d'olive "meilleure" que les autres ? Cela n'a jamais été établi correctement, et ce n'est sans doute pas vrai. Il faut de tout, en quantités variées... et faire de l'exercice, pour se donner des chances de rester en bonne santé... si l'on ne fume pas, boit pas, etc.  

Les matières grasses végétales dans le chocolat ? Ayant déjà évoqué le cas, je n'y reviens pas. 

Les matières grasses hydrogénées : là, il faut entrer dans le détail moléculaire des "dents" des triglycérides, et expliquer que certaines de ces "dents" (le vrai nom est "résidu d'acide gras") sont "insaturées", et d'autres sont "saturées". En effet, les "dents" sont des enchaînements d'atomes de carbone (pensons à -C-C-C-C..., où la lettre C représente un atome de carbone). Parfois les atomes de carbone peuvent s'attacher les un aux autres plus fortement, ce que l'on représente par deux barres, au lieu d'une : -C-C=C-C... C'est cela que l'on nomme une "double liaison", ou un "insaturation". Or les triglycérides dont des "dents" ont des doubles liaisons sont plus fusibles que les autres. Pour obtenir une matière grasse solide, à partir d'une huile, on a découvert que l'on pouvait "hydrogéner" les triglycérides. 

Les avantages ? Les inconvénients ? Je vous renvoie vers une séance de l'Académie d'agriculture de France, où nous avions discuté la question. Il faut quand même savoir que certaines matières grasses saturées sont indispensables à notre bon fonctionnement physiologique. 



Toutes les graisses se vaudraient-elles ? Ce n'est pas ce que j'ai dit... et je voudrais terminer cette causerie en signalant que certains  triglycérides ont plus de "goût" que d'autres. Oui, de goût, alors que les matières grasses semblent ne pas avoir de goût quand elles sont pures. Il y a une dizaine  d'années, une équipe de physiologistes, à Dijon, a découvert que les triglycérides sont "coupés" par des enzymes, à proximité des papilles : ainsi sont  libérés des acides gras. Or les acides gras  "insaturés", quand ils sont assez longs,  peuvent se lier à des récepteurs de la bouche, comme une clé vient dans une serrure... et un "goût" est identifié. On a ainsi longtemps dit qu'un acide gras, c'était un acide gras, mais ce n'est pas exact : certains ont un effet sensoriel, en plus de l'onctueux qu'ont tous les triglycérides. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)