lundi 23 mars 2015
Doctorants ? Ce ne sont plus des étudiants !
Alors que nos écoles doctorales s'ingénient à rigidifier les systèmes administratifs, multipliant les comités de thèse, les rendez-vous doctoraux, etc., il n'est pas mauvais de s'interroger sur les raisons qui conduisent à ces changements.
Oui, il faut éviter le cas où des doctorants seraient livrés à de très mauvais directeurs de thèse, en maillant un peu le système, en éviter le face à face désastreux d'un doctorant et d'un directeur de thèse médiocre ou nuisible.
Oui, il faut éviter le cas où des directeurs de thèse seraient face à de très mauvais doctorants, ce qui pourrait mettre leur groupe de recherche en péril. Oui, il faut éviter…
Mais on n'oubliera pas :
1. que les « mauvais élèves » (mauvais doctorant, mauvais directeur de thèse, et, plus généralement, toute personne malhonnête, paresseuse, autoritaire…) se font une spécialité d'échapper aux lois qu'on fait précisément pour lutter contre leurs agissements nuisibles ;
2. que la France est un pays où la lourdeur administrative est considérable, au point que le grand chimiste Pierre Potier avait proposé de toujours supprimer trois comités (il les nommait des « comités Théodule ») quand on en introduisait un nouveau, sous peine de se trouver enseveli sous une montagne de lois, de règles, de prescriptions impossibles à connaître et à appliquer ;
3. surtout, que les thèses en mathématiques se font très bien sans tous ces systèmes administratifs encombrants, au point que l'école française est reconnue dans le monde : le directeur de thèse donne un sujet au doctorant, qui travaille dans son coin, sans parfois même rencontrer son « directeur », produisant de son côté, créant des objets nouveaux…
On m'objectera que les mathématiques ne sont pas une science de la nature, une science où l'expérimentation est importante, et cela est vrai, mais je répondrai aussi que les doctorants ne sont plus des étudiants : oui, j'insiste pour être bien clair : les doctorants, même si on leur accorde une carte d'étudiants qui leur fait avoir divers avantages – restaurant universitaire, musées à prix réduit, etc.-, ne sont plus des étudiants ; cela est un statut reconnu nationalement et internationalement. De sorte que c'est une erreur que de les mettre dans une position d'étudiants. Donnons leur la liberté de produire leur propre science, et mettons les directeurs de thèse au service de leur recherche. Favorisons la créativité, au lieu de produire des assistés, portés difficilement par des structures qui s'alourdissent de jour en jour.
Bref, allégeons les processus ! Faisons grandir nos amis !
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
Libellés :
administration,
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dimanche 8 mars 2015
Mes conférences à venir
Elles sont sur http://www.agroparistech.fr/Les-activites-de-Herve-This.html
bon dimanche
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Est-on obligé de passer par les équations ? (sic)
Une discussion, aujourd'hui, à propos des méthodes de la science, avec des amis venus du monde de la chimie et de la biochimie et qui, en confiance, m'avouaient avoir des difficultés avec les calculs (c'est un fait que de nombreux étudiants attirés par les "sciences, technologie, technique", mais qui n'aiment pas calculer vont plutôt en biologie ou en chimie qu'en physique).
La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :
"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ?
On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant :
1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"
4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois
5. recherche d'une prévision théorique testable
6. expérience pour tester la prévision
J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature.
Finalement, peut-on donc se passer d'équations ?
Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations.
Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur.
Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière.
La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient.
Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs.
Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
La discussion a tourné autour de cette phrase de l'un d'entre eux :
"Est-on vraiment obligé de passer par les équations ?".
En d'autres termes, peut-on faire de la recherche scientifique sans calcul ?
On se rappelle que, jusqu'à plus ample informé, la science produit des connaissances par le mouvement suivant :
1. identification d'un phénomène, centrage sur ce dernier
2. caractérisation quantitative du phénomène
3. réunion des innombrables données de mesure en lois "synthétique"
4. recherche de mécanismes compatibles quantitativement avec les lois
5. recherche d'une prévision théorique testable
6. expérience pour tester la prévision
J'ai souvent réclamé publiquement que l'on me contredise, à propos de cette méthode, mais la seule chose que l'on m'ait objectée, c'est que les sciences de l'humain et de la société ne fonctionnent pas ainsi... ce que je sais parfaitement, puisque ce sont les sciences de la nature qui m'intéressent de façon professionnelle et pour lesquelles je propage la méthode ci-dessus. Sans contradiction, je dois donc continuer d'avoir l'idée présentée plus haut... en reconnaissant que le chemin tout entier n'est pas obligatoire : une personne qui ferait une partie du chemin est déjà sur la voie de la science de la nature.
Finalement, peut-on donc se passer d'équations ?
Pour l'identification d'un phénomène, sans doute... bien que, souvent, et surtout dans notre XXIe siècle qui a déjà bénéficié de beaucoup d'avancées, les phénomènes soient souvent décrits par des équations.
Pour la caractérisation quantitative des phénomènes ? Souvent il s'agit d'utiliser un instrument de mesure, dont le fonctionnement repose souvent sur des équations. Par exemple, imaginons que nous fassions des études rhéologiques, à l'aide d'un viscosimètre qui mesure les deux paramètres G' et G'' : on peut évidemment se limiter à enregistrer les valeurs et à les afficher, pour montrer des variations... mais on aura fait un simple travail technique, et l'on n'aura pas "compris" les variations. De même pour de l'analyse chimique, où l'on aurait utilisé un appareil de résonance magnétique nucléaire pour produire des spectres, avec des signaux que l'on aura éventuellement attribué à des protons particuliers de molécules particulières. De même pour de l'analyse thermique différentielle, de même pour de la spectroscopie infrarouge, de même pour... Oui, pour un travail technique, on peut éviter des équations et se focaliser sur les signaux recueillis, que l'on captera par des logiciels où les équations sont mises en oeuvre, masquées à l'utilisateur tout comme les engrenages d'une boîte de vitesse d'automobile sont invisibles au conducteur.
Pour la réunion des données en lois ? En science des aliments, il y a souvent l'affichage des valeurs de mesure sous la forme de graphiques, où des variations apparaissent. Dans une dizaine d'articles que je viens de regarder (les dernières publications que notre groupe avait recueillies, sur des thèmes variés : la créatine dosée dans l'urine par RMN, la peronatine dans des champignons, les composés odorants du chocolat...), il n'y avait pas d'équations, et les courbes étaient interprétées par des propositions non quantitatives. Autrement dit, c'est un fait qu'une large partie de la communauté se passe des équations, dans cette tâche particulière.
La recherche de mécanismes fondés quantitativement sur les lois dégagées ? Là, on rejoint ce qui vient d'être dit, à savoir que de nombreux articles de science des aliments ne font pas ce travail... où les équations s'introduiraient.
Enfin les tests des prévisions expérimentales : souvent, on part d'équations que l'on teste, puisque les équations sont les modèles quantitatifs.
Finalement, l'équation est partout, et, sans doute non, on ne "peut pas éviter les équations"... mais quelle formulation !
Ne devrions-nous pas plutôt dire : peut-on faire de la science (de la nature) en se privant du bonheur du calcul ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
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mardi 3 mars 2015
Combien de beurre dans une purée ?
Combien peut-on mettre de beurre dans une purée ?
La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.
Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ?
Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.
Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.
Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau.
Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...
De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.
Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)
La purée de pomme de terre s'obtient par cuisson des pommes de terre, que l'on écrase ensuite, en ajoutant éventuellement un liquide (par exemple du lait). Parfois, on ajoute sel, noix de muscade, poivre... et beurre !
Du beurre ? Certains cuisiniers se font une joie d'en ajouter beaucoup, ce qui contribue certainement au plaisir gourmand. On parle de recettes avant autant de beurre que de pommes de terre.
Soit, mais prenons plutôt la question différemment : combien de beurre peut-on mettre, au maximum, dans une purée de pomme de terre ?
Nous ferons un détour par la mayonnaise, avant de répondre.
Pourquoi la mayonnaise ? Parce que c'est une émulsion, et non pas une mousse, comme le disent certains cuisiniers qui confondent émulsions et mousse. Là, il faut prendre une seconde pour rectifier l'erreur, tant elle est tenace... et propagée avec autorité par des ignorants.
Une mousse, c'est une dispersion de bulles d'air dans un liquide. Par exemple, un blanc d'oeuf battu en neige est une mousse. Une émulsion, c'est la dispersion de matière grasse liquide dans un liquide : c'est bien le cas de la mayonnaise, avec une dispersion d'huile dans l'eau apportée par le jaune d'oeuf et par le vinaigre.
Evidemment, il y a des cas hybrides, comme la crème fouettée : la crème est clairement une émulsion, mais si on la fouette, elle prend du volume parce que le fouet y disperse de l'air sous la forme de bulles piégées dans l'émulsion, et l'on obtient une émulsion foisonnée.
Au fait, au siphon ? Selon les cas, on obtient des systèmes variés, mais le plus souvent, les siphons permettent de disperser des bulles d'air, de faire foisonner. Et au mixer plongeant ? Là, tout se rencontre : on peut aussi bien émulsionner de l'huile dans un liquide pour faire une émulsion (une mayonnaise, par exemple) qu'utiliser l'appareil pour foisonner, produire une mousse. Ce n'est donc pas l'appareil qui détermine le résultat, mais l'usage que l'on en fait. D'ailleurs, pour ce mixer plongeant, si on l'utilise pour faire tourner des vis, en adaptant le système, on en fait un tournevis... qui ne fera donc pas d'émulsion. Et si on l'utilise pour taper sur des clous, on en fait un marteau. Bref, j'y revient, ce n'est pas l'appareil qui détermine le résultat obtenu, mais l'usage que l'on en fait.
Et j'enchaîne donc en revendiquant que, par respect pour nos interlocuteurs, nous cessions de confondre mousses et émulsions.
Une mousse, c'est du gaz, mais une émulsion, c'est du gras.
Et j'insiste encore un peu : pas de bulles d'air dans une mayonnaise ! Si elle "monte", si elle prend du volume, ce n'est pas en raison de la présence de prétendue bulles d'air, mais parce que l'on ajoute beaucoup d'huile : aucun espoir de mincir en mangeant beaucoup de mayonnaise.
Enfin, coup de grâce, le mot "émulsion" a été introduit par Ambroise Paré en 1560 pour désigner des préparations comme le lait... qui sont donc des émulsions, avec des gouttelettes de matière grasses dispersées dans de l'eau.
Cette question étant réglée, restons à la mayonnaise, qui est donc une émulsion, puisqu'on l'obtient en dispersant de l'huile sous la forme de gouttelettes dans une phase liquide. Combien de mayonnaise peut-on faire à partir d'un jaune d'oeuf ?
Au début de l'ajout d'huile, le fouet (par exemple, ou la fourchette, ou le pilon) disperse l'huile sous la forme de gouttelettes dans la phase liquide. Puis, progressivement quand on arrive à environ 70 pour cent d'huile (et donc 30 pour cent de phase liquide), il n'y a plus de place pour d'autres gouttelettes d'huile... sauf si elles se déforment, et c'est bien ce qui se passe.
La limite, c'est 5 pour cent de liquide, et 95 pour cent d'huile : autrement dit, pour un jaune d'oeuf, c'est environ 300 grammes d'huile que l'on peut émulsionner.
Evidemment, si l'on ajoute du vinaigre, c'est plus de place pour les gouttes d'huile, et une possibilité d'ajouter plus d'huile... comme l'avait bien dit Madame Saint Ange. Après un certain stade (ce qu'ignorait Madame Saint Ange), ce sont les molécules "tensioactives" du jaune d'oeuf qui viennent à manquer, mais j'ai calculé que l'on peut faire environ 60 litres de mayonnaise à partir d'un jaune d'oeuf... à condition d'ajouter du liquide : eau, lait, vin, thé, bouillon...
De sorte que nous pouvons enfin arriver à la purée. Une pomme de terre, c'est 80 pour cent d'eau. De sorte que pour 100 grammes de pomme de terre (ou de pomme de terre écrasée), on a 80 grammes d'eau. Or rappelons-nous l'ordre de grandeur : dans une émulsion, la phase liquide peut se réduire à 5 pour cent du total. On calcule donc que l'on peut ajouter 1,5 kilogrammes de beurre fondu.
Oui, je répète : si l'on si prend bien, on peut ajouter un kilo et demie de beurre fondu à 100 grammes de purée ! Je ne dis pas que ce sera bon, mais je dis que nos amis cuisiniers sont loin du compte ;-)
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dimanche 1 mars 2015
Fail, learn, succeed
Notre monde est plein de slogans étranges, souvent en anglais (certains considèrent que cela fait plus chic... mais je n'arrive pas à les suivre, et je trouve surtout que cela fait plus snob, désolé). "Fail, learn succeed" fait partie de ces objets venus du monde du marketing, du business (observez : deux mots anglais), et on leur prête (à beau mentir qui vient de loin) une sorte de modernité terrible.
Au point que des étudiants m'ont interrogé sur cette question : "Pourriez-vous nous raconter un épisode où vous avez raté, appris, réussi ? J'ai d'abord fait observer que le mot "learn" signifie apprendre, pas analysé, et que, en général, quand j'échoue, j'apprends moins que je n'analyse. C'est seulement ensuite, quand j'ai réussi, que j'ai appris.
Mais c'était en quelque sorte jouer sur les mots, et il m'a bien fallu "plonger", chercher un exemple exemplaire, si l'on peut dire, de cas où il y eut un échec transformé en réussite.
Echec, réussite ? Immédiatement, je traduis dans mon propre langage en "D'un petit mal, un grand bien". Et je me souviens de ce jour où une viande de civet avait "tranché", s'était décomposée, était devenue grumeleuse. Impossible à servir ainsi !
Il fallait analyser : cette sauce avait bon goût, mais elle était grumeleuse. Grumeleuse, cela signifie en réalité que la phase aqueuse comporte en suspension des particules solides, souvent des protéines qui ont coagulé.
Une première solution aurait consisté à diviser ces particules, car pour des diamètres inférieurs à 15 micromètres (millionièmes de mètre), les particules ne sont plus perceptibles (d'où le conchage du chocolat, opération qui consiste à broyer le sucre afin qu'il fasse de très petites particules, d'où un chocolat très souple).
Toutefois, il y avait le risque que l'aspect reste insatisfaisant, le manque de temps.
Pouvait-on faire plus rapide ? Une autre possibilité consistait à éliminer les particules, et non seulement les rendre invisibles. Les éliminer comment ? Par exemple par filtration... ou par distillation. Et c'est ainsi que fut produit une sauce analogue à un merveilleux cognac, ambrée, goûteuse, et limpide !
Qu'avons-nous appris, dans l'affaire ? Nous nous sommes souvenus d'un adage, et, puisque nous l'avons présent à l'esprit, nous pourrons le mettre en oeuvre à nouveau plus facilement, la prochaine fois.
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