vendredi 30 septembre 2016

On dit que le beurre cuit est malsain.


Oui, on dit que le beurre cuit est malsain… mais il a même été dit qu'il valait mieux manger de l'huile (d'olive) que du beurre. Pour le beurre cuit, évidemment il y a cuit et cuit… mais le beurre noisette, par exemple, est-il malsain ?
Des études effectuées à l'université de Lille ont montré que la consommation de beurre, et celle de beurre cuit, n'ont pas sur notre organisme les effets néfastes qu'on lui prêtait (voir http://www.cerin.org/publication/chole-doc/beurre-ne-compte-plus-pour-du-beurre.html). Je me demande si cette idée du beurre malsain n'est pas plutôt de la désinformation due aux fabricants d'huile, et notamment aux fabricants d'huile d'olive.
Aujourd'hui, les choses changent : après quelques décennies pendant lesquelles on a crié haro sur le beurre, la crème, le lard, etc., on a vu l'obésité augmenter quand on a cessé de consommer ces produits, augmentant la consommation de sucres. Aujourd'hui l'industrie alimentaire revient à ces produits délicieux que sont le beurre, la crème, le lard… quand ils sont bons (Toni Tarver, A big fat dispute, Food Technology, 08.16, 27-35, www.ift.org).
Car, évidemment, un beurre sans goût est sans intérêt. « Bon », cela ne veut pas nécessairement dire « artisanalement produit », car on voit des artisans empoisonner leurs clients (récemment avec des tapenades) ; cela signifie « produit à partir de pratiques rationnelles et saines ». En l’occurrence, le beurre est bon quand l'alimentation des vaches est judicieusement choisie.

vendredi 16 septembre 2016

Ingrédients ou produits ?

Je m'aperçois que j'ai souvent été fautif d'utiliser le mot « produit ». Le produit, c'est le résultat d'une production, de sorte que les produits de la cuisine sont les mets, et non pas les  beurre, crème,  huile, fruits, légumes, viandes, etc, qui proviennent des agriculteurs, éleveurs, industrie alimentaire… Oui, il ne faut pas tout  confondre : pour la cuisine, ces produits ne sont que des ingrédients, des éléments à la base des recettes, et le produits des cuisiniers sont en réalité les plats qu'ils confectionnent. Ayant discuté  de cuisine, les seuls produits auxquels j'aurais dû m'intéresser sont les ingrédients, et je n'aurais donc pas dû parler de produit. Je ne dis pas que la production de l'agriculture ou de l'élévage soient rien, car on sait combien une belle crème est extraordinaire, mais entre les mains des cuisiniers, ces produits doivent être transformés en produits culinaires :  les cuisiniers ne sont pas des épiciers, qui auraient pour mission de dénicher des produits et les mettre seulement dans une assiette, pas plus que les peintres ne sont des marchands de couleur. Dans les deux cas, il y a le travail de l'artisan ou de l'artiste, qui transforme les ingrédients en produits.

Je me propose de me réformer et d’utiliser le mot « produit » avec bien plus d'attention.

Crêpe et pain

Aujourd'hui, le billet est un podcast audio, que l'on trouvera à l'adresse billet http://www.agroparistech.fr/podcast/Pains-et-crepes.html. 

Vive la Connaissance produite et partagée

mercredi 14 septembre 2016

La formation des caramels

Ayant observé que je discutais plus les transformations physiques que les transformations chimiques des aliments, j'en viens naturellement à discuter maintenant une recette où la physique a peu de place et où la chimie est reine : la formation des caramels.
Bien sûr, quand on fait un caramel, que l'on place du sucre dans de l'eau et que l'on chauffe, il y a d'abord la disparition des cristaux et la formation d'un sirop. En effet, le sucre est "hygroscopique", ce qui signifie qu'il capte l'eau de son entourage... de sorte que, quand on chauffe ensuite du sucre, celle-ci est ensuite disponible pour que les molécules de sucre se dissolvent. Bref, pas nécessairement besoin d'ajouter de l'eau  à du sucre pour obtenir du caramel, par temps humide.

Ici, il faut que je fasse une petite rectification, à propos de « sucre », car le sucre de table n'est pas le seul sucre, de sorte qu'il est parfaitement illégitime de dire que c'est "le sucre" : c'est un sucre, et un sucre particulier que la chimie nomme le saccharose.
La famille des sucres est immense, mais, plus ou moins, ce sont tous des composés dont les molécules sont constituées d'un squelette fait d'atomes de carbone enchaînés linéairement, ces derniers étant liés à des atomes d'hydrogène, et, surtout, à des groupes de deux atomes : un atome d’oxygène liné  à un atome d’hydrogène. De tels groupes sont nommés « hydroxyles », et c'est la raison pour laquelle il est juste de dire qu les sucres sont des composés organiques "polyhydroxylés" (désolé pour la longueur du mot, mais au moins ce dernier est explicite : poly = plusieurs, hydroxylé = groupes hydroxyle).
Les chimistes, depuis un siècle ou deux, ont découvert de nombreux sucres : le glucose, le fructose, le saccharose (nommé sucrose en anglais), le lactose, l'érythrose…. A cette énumération, on pourrait penser que tous les sucres sont des « oses », mais, en réalité, la famille est plus variée, avec des composés tels l'acide galacturonique, l'acide glucuronique, etc. Je n'entre pas dans les détails chimiques, mais le redis : la famille des sucres est immense.

Revenons donc au début de la transformation qui aboutit au caramel, à savoir la dissolution du saccharose dans l'eau présente initialement. Il faut considérer que nous partons de cristaux de sucre, chaque cristal étant un empilement régulier, comme les cubes d'un enfant, bien disposés en pile, de molécules de saccharose. Ces molécules s'empilent parce que les groupes hydroxyles dont nous avons parlés s'attirent, par le même type de forces qui assurent la cohésion des molécules d'eau dans l'eau. Et cette comparaison n'est pas anodine, car ces mêmes forces permettent de maintenir les molécules de saccharose entre les molécules d'eau dans les sirops.
Quand on continue de chauffer, on voit bien sûr que de l'eau s'évaporer, puisque apparaît une fumée blanche au-dessus de la casserole : ce sont des molécules d'eau qui, accélérées par le chauffage, ont réussi à s'échapper du sirop, leur énergie de mouvement étant supérieure à l'énergie des forces qui les retenaient dans le sirop. Les molécules de saccharose, elles, ne s'évaporent pas, car elles sont beaucoup plus grosses, de sorte qu'il leur faudrait bien plus d'énergie.
Il y a donc les molécules d'eau qui s'échappent, mais, quand elles arrivent dans l'air plus froid, au dessus de la casserole, elles ne peuvent rester en phase gazeuses, de sorte qu'elles se ré-associent en petites gouttes d'eau liquide, et la fumée est, comme les nuages dans le ciel, faite d'une multitude de très petites gouttes d'eau  liquide.
Ce que l'on sait moins, c'est que, simultanément, même quand on ne voit pas de changement notable dans le sirop, des transformations ont lieu, au nombre desquelles figurent ce que l'on nomme l'hydrolyse, à savoir que les molécules de saccharose se scindent en deux parties, qui sont une molécule de glucose et une molécule de fructose. Oui, les atomes du saccharose se répartissent en deux groupes, qui sont précisément ces deux sortes de molécules.
Cette transformation n'est pas la seule, comme le montrent des mesures de la couleur du sirop. Les atomes des molécules de saccharose auxquels de l'énergie est donnée par le chauffage, peuvent former bien d'autres assemblages, des molécules de bien d'autres sortes, et, à ce stade, le sirop n'est déjà plus un simple sirop de molécules de saccharoses dissoutes dans l'eau.
Quand le chauffage se poursuit, davantage d'eau s'évapore, de sorte que la température du sirop peut devenir supérieures aux 100 °C de l'ébullition de l'eau pure : 110, 120, 130…  A ces températures, les mouvements d'atomes et de molécules deviennent très vigoureux, et les molécules de saccharose se disloquent de très nombreuses façons différentes. Notamment, un chimiste français a réussi à identifier que se libéraient, dans le sirop chauffé, des molécules instables, qui tiennent du glucose et du fructose, mais qui sont très réactives, et qui s'assemblent pour former notamment des molécules abondantes que sont des "dianhydrides  de fructose". Ces derniers peuvent ensuite s'associer à des molécules de glucose qui étaient dans le sirop pour former de longues chaînes, qui, au refroidissement, feront la masse du caramel.
Si cette réaction-là est essentielle, pour la formation du caramel, elle n'est pas la seule : les possibilités de dislocation de molécules sont nombreuses. Notamment se forment de petits composés et, en particulier, le 5-hydroxyméthylfurfural (pardon pour le nom à rallonge, à nouveau), qui contribue au goût de caramel. On trouve ce composé dans de nombreuses cuissons, à commencer, par exemple, par la cuisson de carottes : le goût de carottes cuites, et le goût de cuit en général, est souvent dû à ce composé dont les chimistes ne disent pas le nom en entier mais l'abrègent en HMF. Je répète que la formation du HMF ou des dianhydrides de fructose n'est pas, loin s'en faut, les seules transformations moléculaires, les seules réactions chimiques. Il y a en d’innombrables qui ont lieu lors de la formation d'un caramel, et l'on comprend que parler de « caramélisation » est seulement une façon de décrire rapidement un ensemble foisonnant de réactions simultanées ou successives. Chaque réaction particulière a un nom, mais on voit aussi que ces réactions ne sont pas isolées, lors de la caramélisation.
Lors du refroidissement, on récupère une masse brune, avec beaucoup de goût. Il y a de l'odeur, de la saveur, parfois de l'âcreté. C'est cela, un caramel. Bien sûr, ces réactions diffèrent de celles qui assurent le brunissement d'une viande que l'on fait rôtir, ce qui explique pourquoi il est erroné ou fautif de parler de caramélisation d’une viande, sauf quand on ajoute du sucre dans la casserole, et que la viande se couvre de caramel, comme dans certaines recettes asiatiques, avec du porc par exemple.

Toujours lors du refroidissement, on peut très bien a jouter de l'eau au caramel, de sorte que les divers composés formés se dissolvent dans cette eau et font un caramel liquide. D’ailleurs, tant que nous y sommes à évoquer des  variations sur le thème du caramel, il faut signaler que l'ajout de composés spécifiques au sirop permet de changer la composition du caramel, et c'est ainsi que la réglementation reconnaît plusieurs caramels qui sont vendus avec des noms de code E150 a, E 150 b, E150c, E150 d, selon la petite quantité de composé que l'on a ajoutée pour guider la réaction  dans un sens ou dans un autre, avec des résultats gustatifs différents. On peut vouloir des caramels plus bruns, sans être âcres, ou des caramels avec des goûts particuliers. Toujours lors du refroidissement, on peut bien sûr ajouter des ingrédients qui contiennent des matières grasses, tels le beurre ou la crème, et l'on aura alors des caramels mous. L'univers des caramels est immense, encore très mal connus, parce que les réactions chimiques qui ont lieu sont nombreuses, et que l'exploration de leurs mécanismes est parfois bien difficiles, mais je suis bien certain que nous avons encore beaucoup à découvrir... À condition d'aller explorer tout cela.


mardi 13 septembre 2016

En cuisine, de la physique et de la chimie

Alors que je suis lancé dans la confection quotidienne de billets plus techniques que moraux, où j'examine la confection de certains plats, je vois, après quelques jours, que j'ai plus décrit les phénomènes physiques que les phénomènes chimiques.

Par exemple, c'est la densité qui m'a intéressé à propos de cocktail, ou l'évaporation de l'eau à propos de soufflés, ou l'entrée de la matière grasse dans des viandes que l'on confit… Il y a plus là des phénomènes physiques que des phénomènes chimiques… apparemment.
Est-ce une impression ? Est-ce que la chimie qui s'opère est si complexe que je me rabats sur des phénomènes plus simples ? Et est-ce qu'il y aurait lieu de plus focaliser sur de la chimie ?

Prenons le cas d'un soufflé. Certes, son gonflement est dû à l'évaporation de l'eau, ce que l'on nomme une transition de phase, phénomène  physique pour lequel il  n'y a pas de changement de nature des composés présents (les mêmes molécules sont présentes avant et après). L'évaporation de l'eau, ce n'est donc pas de la chimie, mais de la physique.
Toutefois réduire le soufflé à l'évaporation de l'eau serait une erreur, car le soufflé, qui est liquide initialement se voit finalement solidifié (relativement)  par la coagulation des protéines de l'oeuf. Or la coagulation est un phénomène véritablement chimique, puisque les protéines individuelles, sortes de pelotes, sont déroulées par la chaleur et, une fois déroulées, elles s'attachent par des liaisons chimiques que l'on nomme des ponts disulfure, formant un réseau qui s'étend dans toute la masse du soufflé. Le soufflé ne se ferait pas sans cette transformation chimique, et il est bon de s'en apercevoir.
Pour un tel cas, c'était donc vraiment une impression que de penser la confection du soufflé comme une transformation physique. En réalité, il faut de la physique et de la chimie, c'est-à-dire en réalité de la physico-chimie, qui est une science merveilleuse, en ce qu'elle considère les phénomènes physiques et chimiques en relation.
Continuons avec le soufflé. La croûte du soufflé ? Bien sûr, l'eau de surface s'évapore quand la température est supérieure à 100 degrés, mais on voit bien que la couleur change : la surface supérieure du soufflé brunit. Pourquoi ? Ayant d'abord observé que le goût de cette croûte est   puissant, différent de celui de l'intérieur du  soufflé, on peut s'interroger, et l'on doit considérer que l'appareil est fait d'eau, de matières grasses, de protéines, de quelques « polysaccharides », et que c'est l'échauffement de cette matière, au-delà  de 100 degrés, qui conduit à ce brunissement.
Les lipides ? Bien sûr, ils peuvent réagir, mais ils sont assez inertes, et la réaction est lente.
Les polysaccharides ? Ils étaient initialement empesés dans l'appareil à soufflé, de sorte que les grains d'amidon ont pu s'interpénétrer avant que l'eau soit évaporée. Mais l'expérience qui consiste à placer de la farine dans une poêle chauffée, ou dans un four à côté d'un soufflé que l'on cuit, montre qu'il n'y a guère de brunissement.
Les protéines, elles, sont bien plus sensibles, comme on le voit quand on produit un beurre noisette : tant qu'il y a des bulles, la température est de 100  degrés, et la couleur reste celle d'un beurre fondu, mais quand les bulles disparaissent, et que la température augmente,  la préparation  brunit, prend du goût. Manifestement la pyrolyse des protéines est importante.
Bien sûr  il y a aussi des réactions de Maillard entre le lactose et les protéines, mais ces réactions sont bien secondaires.
Pyrolyse des protéines : voilà des réactions qu'il faudra bien explorer pour mieux comprendre les changements de goût des aliments en cours de cuisson.
Que ferons-nous de telles informations ? Les chimistes ont découvert que les réactions de Maillard produisent des goûts différents quand elles sont en présence de matières grasses, et que ce ne sont plus stricto sensu des réactions de Maillard. Quand on comprendra mieux ces différences, alors ont pourra faire une cuisine plus précise, avec des goûts plus assurés. Il est donc essentiel de se préoccuper un peu plus de chimie dans la transformation des aliments.










Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

dimanche 11 septembre 2016

A propos de chimie en cuisine : de l'importance de la non existence


Je viens d'avoir une idée qui m'amuse (et j'espère qu'elle amusera aussi mes amis, de sorte qu'elle pourra devenir "amusante"), alors que je m'interrogeais sur les réactions chimiques qui peuvent avoir lieu en cuisine, lors de la préparation des aliments.

Cette idée est la suivante : il a souvent une foule de réactions chimiques provoquées par la cuisson, mais il y a aussi des réactions chimiques… qui n'ont pas lieu !

Qui dit réactions dit réactifs. En cuisine, des réactions chimiques peuvent avoir lieu entre des réactifs présents dans les aliments. Quels sont-ils ? Par ordre de composition décroissante, il y a l'eau, puis  les polysaccharides, les protéines, les lipides. Parmi les polysaccharides, les plus abondants sont les celluloses, les pectines, les amyloses et amylopectines.

Pour les premières, les celluloses, il y a ce fait remarquable qu'elles sont extraordinairement résistantes, inertes chimiquement. Faites l'expérience de chauffer du coton hydrophile dans l'eau, et vous aurez lieu d'être surpris que rien ne se transforme apparemment... et même en réalité. C'est la raison pour laquelle on peut faire bouillir les chemises en coton de nombreuses fois, pour les laver :  le coton est  fait de celluloses, de sorte que l'ébouillanter le débarrasse de ses souillures sans l’atteindre.

Dans l'eau bouillante comme dans l'intérieur des aliments que l'on cuit, la température est limitée à 100 °C, mais obtiendrait-on des réactions  chimiques des celluloses en les chauffant d'avantage ?
Pour dépasser les 100 °C  de l'eau bouillante, un bon moyen est d'utiliser de l'huile, car on sait que les bains de friture atteignent couramment 170 °C, puisque les  friteuses sont bridées à cette température pour des raisons de sécurité. Mais là rien ne se passe non plus. Les celluloses sont extraordinairement inertes, parce que les molécules de cellulose sont enroulées en hélice, ce qui les stabilise chimiquement.
Bien sûr, on peut détruire les molécules de cellulose par la chaleur, comme quand on met du bois dans le feu, ou quand on laisse un tronc d'arbre se décomposer dans la forêt. Je fais une parenthèse pour indiquer que  l'expression « se décomposer » est obscure… et fausse, car ce n'est pas le bois qui se décompose, mais un ensemble d’organismes vivantes, gros ou très petits, qui décomposent le bois : bactéries, champignons, moisissures… Souvent, ces organismes agissent à l'aide d'enzymes, telles les cellulases, dont le nom se borne à indiquer qu ces enzymes se bornent à décomposer les molécule de celluloses  (dans le bois, il n'y a pas que les celluloses qui soient résistantes ; il y a  aussi la lignine, et l'on connaît des ligninases..)

Mais quand on revient en cuisine, on ne dispose pas (encore) de ces outils que sont les enzymes, et l'on est en droit de considérer que la cellulose est inerte chimiquement, et que ses molécules sont donc stables. Quand il s'agit d'attendrir une préparation, c'est ennuyeux, mais cette stabilité peut devenir intéressante quand on veut conserver les celluloses qui contribuent à la consistance : la cuisson agit sur les autres composés, sans toucher aux cellules.

Preuve s'il en est que la non existence est quelque chose d'important !























Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

jeudi 8 septembre 2016

Le parallèle entre le règne animal et le règne végétal peut-il nous aider à cuisiner ?

Les ressemblances -et les différences- physico-chimiques des règnes animal et végétal sont fascinantes, surtout quand on se souvient qu'elles résultent de la longue évolution qui a conduit à ces deux règnes du vivant.

Les ressemblances ? Dans le sang, par exemple, nous avons des pigments nommés hémoglobine, dont le centre est un groupe « hème ». Pour les végétaux, de même, les chlorophylles sont des pigments dont le coeur est un noyau tétrapyrrolique, tout à fait apparenté au groupe hème.
La ressemblance étant établie, les différences peuvent s'étudier, et notamment le fait que l'atome de fer des animaux corresponde à l'atome de magnésium des végétaux. Pourquoi l'un ? Pourquoi l'autre ? En tout cas, ils conduisent  tous les deux à l'apparition d'une couleur brune, quand les tissus des deux sortes sont cuits !



Autre exemple : celui du matériau qui entoure les cellules vivantes. Pour les animaux, c'est le tissu collagénique qui, comme son nom l'indique, est fait d'une protéine nommée collagène. Pour les végétaux, la membrane est entourée par la paroi cellulaire, laquelle est faite de molécules de celluloses et de pectines.

Quoi de commun ? La cuisine rapproche les deux  tissus, de ce point de vue, car la cuisson des végétaux, tout comme celle des viandes, conduit à un attendrissement. Dans le premier cas, les pectines sont dégradées par une réaction nommée « bêta élimination », qui n'est en réalité qu'une hydrolyse, et, dans le second cas, ce sont les protéines qui sont dissociées, également par une hydrolyse. D'ailleurs, cette cuisson conduit à des gels dans les deux cas… quand on s'y prend bien. Lors de la cuisson d'une confiture, si l'on extrait les pectines sans trop les dégrader, elles forment ensuite les gelées ou les confitures. Pour la cuisson des viandes, aussi, on obtient des protéines (qui prennent alors le nom de  gélatines), qui, si l'on s'y prend bien, forment un gel, au refroidissement. Dans les deux cas, la cuisson prolongée ne permet plus la formation du gel, parce que la dégradation des « polymères » que sont les pectines ou la  gélatine  a été excessive.

La cuisine peut-elle gagner à poursuivre le parallèle ?












Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

mercredi 7 septembre 2016

Inspiré des viandes ?

Pourquoi la viande est-elle le plus souvent accompagnée de sa sauce ou de  son jus? Souvent les viandes sont accompagnées d'une sauce, d'un jus… et cela est mereilleux, parce que cela donne l'occasion de saucer avec du pain. Le plaisir humain s'interprète quand même peut-être, aussi , en terme biologiques, et il est exact que, pour mieux déglutir , la salive s'impose. Toutefois, elle n'est pas toujours suffisante, et c'est alors que la sauce est bienvenue. Le pain, lui, a l'intérêt de libérer lentement dans l'organisme des molécules de glucose qui contribuent au bon fonctionnement de l'organisme et à la sensation de bien-être que ce bon fonctionnement ramène à notre conscience.

Mais oublions le pain et concentrons nous sur la viande et sur sa sauce. Si  la sauce s'impose avec la viande, alors se pose la question de savoir comment la placer dans l'assiette, avec la viande. Dessous ? Dessus ? Autour ? A côté ?
Et pourquoi pas dans la viande ?
Cela fut la solution des intrasauces, ou plats à  la Pravaz, où un liquide était injecté à la seringue dans les viandes. C'est une manière rapide, pas très efficace.
Y en a-t-il d'autres ? Par exemple, quand  on prépare une viande artificielle, par exemple à partir d'une feuille de protéines striées  que l'on roule sur elle même, on peut très bien y inclure des perles d’alginates contenant un liquide que serait la sauce. Et on n'est pas limité par une seule poche de liquide dans la viande : on pourrait en mettre plusieurs…
Évidemment de tels systèmes me rappellent les fibrés que j'avais introduits il y a longtemps, mais l'ensemble des propositions faite pour produire des viandes artificielles devrait conduire  à des systèmes nouveaux. On trouvera cela dans mon article téléchargeable sur le site http://www.academie-agriculture.fr/publications/n3af/n3af-2016-6-what-can-artificial-meat-be-note-note-cooking-offers-variety-answers















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

lundi 5 septembre 2016

Pourquoi les confits sont merveilleux

Les confits sont merveilleux, parce qu'ils sont gonflés de graisse, au moins quand ils sont bien faits. Or la graisse est, surtout quand elle n'est pas apparente, éminemment appréciée par l'être humain, dont l'appareil sensoriel comporte des détecteurs de cette matière indispensable à la construction et au fonctionnement de l'organisme.

Commençons par dire l’intérêt de la matière grasse pour l'organisme. Pour la partie molle, ce dernier est constitué de cellules, et, par exemple, les fibres musculaires sont comme de longs et fins tuyaux emplis d'eau et de protéines. Les tuyaux eux-mêmes, l'enveloppe, c'est d'abord une membrane cellulaire, puis du tissu collagénique. Si le tissu collagénique est essentiellement fait d'une protéine nommée collagène, la membrane, elle, est faite principalement de molécules de "phospholipides", à savoir des molécules faites d'une tête phosphatée et d'un corps lipidique. « Phosphaté » : cela signifie qu'il y a, au centre d'un tout petit groupe chimique fait d'atomes d'oxygène, un atome de phosphore. « Lipidique » : dans ce cas, il y a une chaîne d'atomes de carbone, une sorte de squelette auquel sont attachés des atomes d'hydrogène.
Autrement dit, notre organisme est plein de lipides, dans sa structure même, et notre alimentation, qui vise initialement à permettre le développement de l'organisme et son maintien, doit apporter des lipides. De la sorte, il n'est pas étonnant que l'évolution biologique ait introduit dans nos comportements une recherche inconsciente de lipides dans l'alimentation, et, donc, des systèmes de détection (sensorielle) de ces composés.
Autrement dit, quand nous mangeons un aliment qui contient de la graisse, notre organisme est contenté.




La confection des confits


Passons maintenant à la confection des confits. On doit rappeler qu'il s'agit initialement d'un procédé de conservation. Quand un animal est abattu, sa viande ne se conserve pas très longtemps, surtout quand il n'y avait pas de réfrigérateurs, et, avant l'appertisation (la mise en conserve), au 18e siècle seulement, l'humanité a évidemment cherché des moyens de conserver la viande pour les périodes de disette. Quand une famille abat un cochon, il est impossible de manger toute la viande, et il faut la conserver pour plus tard. D'où la mise au sel, le séchage, le fumage… et les confits.
Pour ces derniers, c'est simple, car de nombreuses opérations culinaires permettent de récupérer de la matière grasse, d'où les « pots à dégraissis » que l'on avait naguère dans les cuisine. Au lieu de cuire dans du bon beurre frais, ce qui était réservé à quelques nantis, on utilisait la graisse de ces pots. Elle servait aussi bien pour les sautés que pour les confits.
Pour les sautés, la pièce est posée sur la matière grasse, dans un sautoir, et la matière grasse ne sert alors qu'à assurer le contact, et donner du goût, en contribuant aux réactions chimiques qui colorent la surface. Cela s'apparente à ce que l'on nomme une « friture plate ».
 A l'opposé, on peut immerger entièrement la viande dans la matière grasse, tout comme un bouillon consiste à immerger dans l'eau. Cela s’apparenterait à la friture profonde si l'on dépassait la température d'ébullition de l’eau. Mais dans un confit, l'idée est de cuire le moins possible, ou, plus exactement, très longuement, mais à basse température. De la sorte, la viande reste tendre, conserve sa jutosité, la contraction des fibres musculaires étant évitée.
Simultanément le tissu collagénique se défait progressivement, phénomène qui est mis en œuvre dans les cuissons à basse température pour attendrir les viandes.
 Or quand le tissu collagénique se défait, les fibres musculaires peuvent se séparer, ce qui se voit bien quand on fait bouillir de  la viande dans l'eau pendant longtemps. On obtient alors une « touffe de fibres », entre lesquelles le liquide extérieur peut migrer par « capillarité ». Je renvoie vers un autre billet pour ce phénomène, et me contente d'observer ici que la matière grasse entre dans la viande, la gorgeant de graisse comme un pinceau se gorge d'encre ou de peinture. Simultanément les micro-organismes sont tués, et, si la viande est conservée dans la graisse, alors ces micro-organismes n'ont plus la possibilité de la faire putréfier, car ces bestioles ont besoin d'eau pour vivre. La viande peut donc se conserver très longtemps.
Puis, lors de la cuisson du confit, la cuisson finale qui prépare la consommation, on pose la viande dans un ustensile de cuisson et l'on chauffe. La matière grasse adhérant à la viande permet de ne pas en ajouter, mais, même si l'on ne voit pas la matière grasse de l'intérieur, elle est présente, de sorte que finalement, celui ou celle qui déguste un confit consomme beaucoup de matière grasse qu'il ne voit pas, mais dont son organisme a besoin… quand elle n'est pas en quantité excessive. 

La nutrition nous fait tourner en bourique... et elle se décrédibilise

Gras saturé ? Insaturé ? L'industrie alimentaire américaine, qui avait été une des premières à bannir les graisses saturées, revient sur son choix… qui a contribué à augmenter obésité aux États-Unis. Et l'on va voir revenir les graisses saturées, avec des discours marketing qui en vanteront les bienfaits. Tout cela, c'est évidemment du baratin, mais on ne manquera pas ici l'occasion de répéter le seul conseil diététique vraiment juste : il faut manger de tout en petites quantités et faire de l'exercice.
Ne finassons pas : dans le « tout », il n'y a pas la ciguë ni l’amanite phalloïde, mais il peut y avoir des composés qui ont des toxicités, car c'est aussi la dose qui fait que quelque chose est ou non un poison. Or, un poison en petites quantités n'est pas toujours un  poison, et il peut même devenir utile.
De toute façon, on n'arrivera pas à rassurer ceux qui ont peur (de leur alimentation), et, en conséquence, on n'essaiera certainement pas de les rassurer. Je n'aime pas l'argument d'autorité pour mille raisons que j'ai exposées dans des billets précédents, mais je propose de répéter avec force : mangeons de tout en petites quantités et faisons de l'exercice !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Pour ceux qui veulent me joindre...

L'adresse herve.this@paris.inra.fr est remplacée par herve.this@inra.fr


Séminaire de septembre 2016 : lieu exceptionnellement changé

Bonjour
Le prochain séminaire de gastronomie moléculaire se tiendra le lundi  19 septembre, de 16 à 18 heures... mais ATTENTION : pour des raisons de disponibilités de salle, le séminaire (exceptionnellement)  se tiendra non pas  à l'ESCF, mais à AgroParisTech :
16 rue Claude Bernard, 75005 Paris (métro Censier, ou Luxembourg).
La salle sera la Salle 30 : entrer dans AgroParisTech, monter les quelques marches sur la droite et, en haut des marches, prendre à gauche. Dans le hall, devant l'amphithéâtre Tisserand, prendre un des deux escaliers, à gauche ou à droite de l'amphi, et monter au 1er étage.
Au plaisir de retrouver ceux qui veulent et ceux  qui peuvent.

Vive la Connaissance produite et partagée !

dimanche 4 septembre 2016

Pour réussir un Irish Coffee, pensons à la "densité"

Parmi les cocktails largement appréciés, il y a l'Irish Coffee, avec du café, du whisky et de la crème. Cela vaut parfois des fortunes dans des bars, parce que ces établissements font l'hypothèse que nous sommes incapables de produire ces cocktails. Pourtant, un raisonnement simple permet de faire mieux que beaucoup d'entre eux.


Il s'agit de faire trois couches distinctes, avec whisky, café, crème. J'ai bien dit « distinctes » : si vous voyez un Irish Coffee arriver avec des couches non distinctes, renvoyez-le : un Irish Coffe n'est pas un mélange, mais une superposition. Or faire trois couches n'est pas bien difficile, et je renvoie vers le site qui présente mon cocktail à dix couches, que j'avais inventé au Ritz  et que j'avais nommé  Welcome Coffee. Oui, dix couches ! Alors vous pensez bien que trois couches, c'est l'enfance de l'art… à condition de réfléchir.

Il y a le whisky, qui est fait principalement d'eau et d'éthanol, l'alcool de nos vins et eaux de vie. Il y a le café, qui est fait majoritairement d’eau. Et il y a la crème, faite principalement d'eau et de  matière grasse, et, qui, de surcroît, est fouettée.
Commençons par cette dernière. Quand on fouette de la crème, on obtient un système fait d'un peu d'eau, de beaucoup  de matière grasse et d'air. On comprend que la densité d'un tel système soit bien moindre que celle de l'eau, puisque la graisse et l'air flottent au dessus de l'eau. Si l'on ajoutait dans un verre du café et de la crème fouettée, on verrait cette dernière flotter en surface.
Reste à placer le whisky. Puisqu'il est fait d'eau et d'éthanol, il sera plus dense que la crème fouettée, mais faut-il mettre le whisky sous le café ou au dessus ? L'éthanol est une matière dont la densité est plus faible que celle de l'eau, et d'ailleurs plus faible que celle de la matière grasse. D'autre part, il y a la question de la température, et l'on sait que les couches les plus chaudes se placent surtout en surface. Par conséquent , on aurait intérêt à placer d'abord le café, froid, puis le whisky chaud, puis la crème fouettée. D'ailleurs, le sucre dans le café augmente encore sa densité, ce qui stabilise le système.
Evidemment  il faudra apprendre à verser doucement pour que les couches ne se mélangent pas. Les barman versent les liquides sur le dos d'une cuiller retournée, et c'est ainsi que l'on produit de merveilleux Irish Coffee, avec les trois couches réglementaires. Une question de densité !








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

samedi 3 septembre 2016

Les financiers : vite et bien faits pour du très bon

On n'a pas le temps de faire un dessert ? Alors il y a l’œuf avec son jaune, d'un côté, et son blanc de l'autre. Des fruits dans un joli bol, un sabayon avec le jaune, un financier avec le blanc… et voilà qui est fait.



Le fruit, cela peut être des fraises en saison, ou bien des pommes cuites au beurre (avec du gingembre, du poivre, le jus d'un citron, du sucre…). Pour le sabayon, nous verrons cela une autre fois, et il suffit de dire ici que nous utiliserons les jaunes d'oeufs.  Il reste donc les blancs, dont on peut faire bien sûr des macarons, si à la mode aujourd'hui.  Mais les macarons sont longs à préparer, alors que les financiers se font en un petit quart d'heure.

Pour les financiers, c'est la simplicité et la rapidité même : dans une jatte, on met du beurre fondu, du sucre, de la poudre d'amandes, un peu de farine, une pincée de sel et du blanc d’œuf. On cuit pendant environ dix minutes  à four assez chaud, c'est-à-dire environ 200 degrés. C'est tout, c'est fait, c'est délicieux. Pourquoi s'en priver ?

Évidemment, il y a lieu d'en faire une rapide théorie, afin de produire des variations à volonté. La théorie est simple : quand on cuit la masse décrite précédemment, les protéines du blanc d’œuf coagulent, formant une structure qui se tient, où sont dispersés les autres ingrédients. En surface, on a formé une mince croûte qui s'oppose au tendre de l'intérieur :  comme il y a de l'eau dans la préparation, celle-ci s'est évaporée partiellement, ce qui a légèrement alvéolé les financiers.

Pour la modélisation, il y a donc lieu de considérer les différents ingrédients. 

Un peu plus de farine fera un financier qui tendra plus vers le quatre quarts, le gâteau. Si le beurre n'est pas du beurre fondu, mais du beurre noisette, alors le goût sera augmenté, évidemment. Et je dois avouer que pour mes financiers personnels, j'utilise du beurre noisette, ce qui n'est pas difficile à faire, puisqu'il suffit de chauffer du beurre jusqu'à ce qu'il prenne une  légère couleur marron. Le sucre ? Rien à en dire, sauf que sa proportion  change le goût des financiers, mais aussi leurs consistance, et le croustillant externe.
L’œuf mérite un commentaire spécial. Certaines recettes proposent d'utiliser directement les œufs, sans les battre. D'autres recettes proposent de mettre la moité des blancs d’œuf directement et l'autre moitié battus en neige. Évidemment un esprit versé dans l'expérimentation voudra tester des blancs tous battus en neige… et il s’apercevra alors qu'il obtient des préparations qui gonflent beaucoup, un peu comme des soufflés, de sorte que les gâteaux débordent des moules et qu'ils n'ont peut-être pas cette densité appropriée  des financiers. A ce jour, pour ce qui me concerne, je me suis résolu à ne pas abuser des blancs battus en neige (pas plus d'un tiers des blancs).


La question des merveilleuses préparations fautivement nommées "arômes"

Qu’ajouter ? On pourrait allonger ce billet en décrivant la composition de la poudre d'amandes, faite de lipides, de fibres, de sucres… mais cela n'éclairerait pas davantage nos amis, et je propose  plutôt de considérer que la poudre d'amandes est une sorte de charge inerte, un peu comme des cailloux dans un béton.
C'est surtout son goût, qui est extraordinaire… et le fait que les amandes     aient un goût… d'amandes m'a immédiatement incité à tester l'ajout d'une composition aromatique amandes. Je vous laisse juge du résultat (il est très bien, selon moi !), et j'ajoute seulement que ces compositions aromatiques amandes sont principalement faites d'un composé nommé benzaldéhyde, dont je me souviens avoir fait la synthèse chimique alors que j'étais adolescent, preuve qu'elle est évidemment facile à faire. Oui, une synthèse chimique permet de fabriquer, de synthétiser, ce composé qui est présent dans l'odeur d'amandes naturelle, qui en est la caractéristique principale. Le benzaldéhyde est un composé  à l'odeur d'amande, ce qui explique que les parfumeurs et aromaticiens vendent des préparations de benzaldéhyde pour donner le goût d'amandes. On pourra mêler ce composé à d'autres, mais peu importe.
Est-ce mal ? Le produit, en lui-même, n'est pas critiquable, puisqu'il donne d'excellents résultats. Ce qui est en jeu, une fois de plus, c'est la  loyauté du commerce.  Il est vrai que le benzaldéhyde est le composé essentiel de l'odeur d'amandes, et des professionnels verront mal la différence entre une solution de benzaldéhyde et une odeur d'amandes.  Pour autant, le benzaldéhyde n'est pas de l'amande, tout comme la vanilline n'est pas le seul composé odorant de la vanille. Se pose donc la question d’étiqueter les préparations à base de benzaldéhyde, et qui sont vendues pour donner l'odeur d'amandes.
Comment les nommer ?
Préparations aromatisantes à l'amande ? Ce serait déloyal, car sans amandes,  elles ne méritent pas le « à l'amande ». Arôme amande ? C'est quand même trompeur, d'autant que les amandes ne sont pas des aromates, et qu'elles n'ont donc pas d'"arôme", mais seulement une odeur. D'ailleurs, j'ai expliqué souvent que je crois que le gauchissement du mot « arôme » est une cause de l'opposition des « consommateurs » aux préparations odoriférantes, parfois merveilleuses par ailleurs.
La question est générale et lancinante : si l'on utilise le mot « amande » (ou vanille, ou fraise…) dans la dénomination d'un produit, il y a un risque de confusion, une ambiguïté. Mais comment, alors, dire simplement que l'odeur ressemble à celle de l'amande ? Bien sur, la question est discutée depuis longtemps, notamment par mes amis des syndicats professionnels, mais je vois mal la solution loyale, sauf  à dire « composition odoriférante de type amande ». Faut-il utiliser cette solution ? En tout cas, je suis bien certain qu'il y a lieu de faire évoluer la réglementation pour plus de loyauté.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

vendredi 2 septembre 2016

A propos de mousses : pourquoi les confusions ?


Pourquoi la cuisine moderne, en France surtout, confond-elle les mousses avec les émulsions ? Je dénonce la confusion depuis des années, mais, aujourd'hui, j'ai voulu essayer d'en comprendre l'origine.


Ce que je sais, c'est que, pour le mot "mousse",  l'acception « amas serré de bulles » date d'au moins 1680, alors que les plus anciennes « mousses  de poisson » que je connais en cuisine datent seulement de 1742.
Pour la mousse dans la première acception, les enfants connaissent le mot, puisque ce sont bien ces mousses-là qu'ils font dans leur  bain, en agitant de l'eau et du savon. Pour les mousses de poisson, on les obtient en mêlant de la chair de  poisson broyée avec éventuellement de la panade, de l'oeuf, parfois du blanc d'oeuf battu en neige, souvent de la crème fouettée. Il est exact que cette préparation culinaire est foisonnée, ce qui signifie qu'elle contient de nombreuses bulles d'air, ce qui contribue à sa texture légère.
Quand ces mousses (de poisson) sont cuites dans ces linges nommés mousseline,  on produit ce que l'on nomme des... mousselines.
Quand l'appareil est poché sous la forme de quenelles, alors on obtient des... quenelles de poisson. Et si l'on cuisait en terrine, on obtiendrait des terrines, ou des pains pour des préparations qui contiendraient plus de farine (je passe sur les détails de composition, puisqu'il n'y a pas de standard).

Certes, il y a un risque de confusion entre les mousses et les mousses.
Est-ce la raison pour laquelle certains cuisiniers nomment fautivement "émulsion" les liquides foisonnés ? Ce n'est certainement pas une bonne solution, car le mot « émulsion » existe depuis 1560, pour  désigner la dispersion de gouttes de matière  grasse dans un liquide aqueux notamment. Dans un cas, on a de l'air, et dans l'autre, on a de la matière  grasse : rien à voir !
D'autres utilisent le mot « écume » pour désigner les mousses au sens du liquide avec des bulles, car il est vrai que ces préparations s’apparentent à des écumes telles qu'on les voit sur les rivières. Pourquoi pas « écume »… mais le mot est connoté, car les écumes sont des mousses produites en raison d'impuretés : cela n'est pas appétissant. Il y a aussi ceux  qui utilisent le mot "espuma", car il est vrai que certains de mes amis espagnols ont beaucoup joué avec des siphons et produit des mousses… mais pourquoi aller chercher un mot espagnol, alors que j'avais proposé bien avant, en France, de produire ces mousses à l'aide d'une pompe d'aquarium ?
Ce qui est clair, c'est qu'il y a une possibilité de confusion, et l'on serait embarrassé de servir une mousse (de tomate, par exemple) avec une mousse (de poisson).  Que faire ?


Un choix à faire

Il y a donc une alternative : soit on change le nom des mousses de poisson, soit on introduit un nouveau mot pour désigner les mousses que l'on produit en fouettant un liquide. Comme une mousse est une mousse, au sens du liquide fouetté, je crois qu'il serait plus  avisé de changer le nom des mousses de poisson.
Bien sûr, j'entends mes amis  cuisiniers les plus traditionalistes dire que le Guide culinaire, ayant utilisé le mot « mousse » pour les mousses de poisson, est une autorité telle qu'on ne peut pas y toucher.
Mais je ferais observer, d'abord, que le Guide culinaire est un livre très imparfait... notamment en ceci qu'il confond les mousses (de poisson) avec les mousselines (de poisson), donnant la même recette sans indiquer que les mousselines sont cuites dans des mousselines ! Et ce n'est pas la seule critique que je fasse à ce livre, loin s'en faut !
D'autre part, n'oublions pas que la science a toujours progressé quand on a changé le langage, et vice versa, comme le disait le grand chimiste français Antoine-Laurent de Lavoisier. D'ailleurs, le chimistes qui avaient introduit les mots « chlorophylle » et « albumine »  ont progressivement appris à changer leurs termes pour parler de chlorophylles, au pluriel, et de protéines, catégories au sein de laquelle les albumines sont une petite sous-catégorie très spécifique.

Oui, j'aurais tendance à préférer un nouveau nom pour les préparations faites de chair de poisson foisonnée.

Chair foisonnée ? C'est un peu pesant… Dans un tel cas, j'aurais tendance à chercher dans l'histoire de la cuisine la plus  ancienne mention d'une mousse de poisson, afin de prendre le nom de l'auteur de cette mention pour le donner à cette préparation que nous devons renommer. Pour l'instant, c'est chez Menon que j'ai vu cette première mention. Faut-il alors parler de « menon de poisson » ?







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

jeudi 1 septembre 2016

Quand les liquides sont-ils absorbés par les ingrédients culinaires ?

Dans nombre de préparations culinaires, il y a une masse plongée dans un liquide. 

Par exemple, dans un coq au vin, il y a la viande plongée dans le vin. Dans le blanchiment des épinards, il y a les feuilles d'épinard placées dans l'eau bouillante. Dans une cuisson à l'anglaise, il y a également des légumes que l'on fait bouillir dans l'eau. Pour cuire des pommes de terre, on les place dans l'eau froide et salée, que l'on porte à ébullition. Pour un poisson poché, la chair est mise dans un court-bouillon. Et ainsi de suite.

La cuisine a souvent considéré qu'il y avait des échanges entre la pièce immergée et le liquide, et c'est parfois juste : c'est comme cela que l'on prépare les bouillons. Bouillons de viande, de poisson, de carottes... Mais la question inverse se pose : peut-on donner du goût à une pièce en la cuisant dans un liquide ? La réponse peut s'obtenir expérimentalement, mais des considérations théoriques ne sont pas inutiles pour prévoir ou interpréter.

Il y a plusieurs phénomènes qui peuvent -je dis bien qui peuvent- concourir à l'entrée d'un liquide dans une pièce.

Le premier est la diffusion, phénomène que l'on voit bien en action quand on place une goutte d'encre dans un verre d'eau : progressivement l'encre se disperse, et l'eau se teinte un peu.
Ce phénomène a lieu sans que l'on ait besoin d'agiter l'eau ou l'encre. Si l'on veut s'en convaincre, il suffit de prendre un verre d'eau très calme et d'y déposer très doucement une goutte d'encre : en une demi heure environ, l'eau se teinte, la goutte disparaissant. Pourquoi cette dispersion ? Parce que les molécules d'eau, qui sont comme de très petits objets animés de mouvements (pensons à des boules de billard) viennent heurter les molécules de l'encre, initialement groupées, et leur communiquer leur énergie par des chocs, de  sorte qu'elles les dispersent.
Cette diffusion moléculaire est à l’œuvre, par exemple, quand on place des morceaux de carotte, de la viande, des feuilles de thé dans de l'eau froide ou chaude : les molécules des matières immergées, quand elles ne sont pas enfermées dans des structures qui les empêchent de bouger, diffusent dans le liquide, tandis que le liquide diffuse dans les parties qui lui sont accessibles. Quelles sont ces parties ? Pour les tissus végétaux, il y a lieu de considérer qu'ils sont faits de deux types de tissus, à savoir le parenchyme et les tissus conducteurs. Le parenchyme n'est pas facilement accessible, parce qu'il est composé de cellules jointives, sortes de petits sacs fermés. En revanche, le tissu conducteur est fait de canaux, qui, comme ils sont ouverts, sont en communication avec le liquide extérieur : il peut donc y avoir des échanges par diffusion.

Un autre mécanisme  par lequel le liquide extérieur peut entrer dans les matières est la capillarité.

Cette fois, pensons à un pinceau dont on place la pointe dans de la peinture un peu liquide : on voit alors le liquide monter entre les poils, parce que le liquide, en quelque sorte, colle aux parois. Le mécanisme est apparenté à celui qui fait remonter un liquide sur le bord d'un verre, et qui engendre ce que l'on nomme u ménisque dans un petit tube. Quand il y a une fente, une fissure, une crevasse dans un solide, le liquide où ce solide est immergé entre dans le solide par capillarité. Et l'on comprend ainsi que , un bouillon corsé puisse donner du goût à des matières telles que le poireau, ou une masse de feuilles d'épinards…

Un troisième mécanisme qui permet à un liquide d'entrer dans un solide est l'osmose. 

 Pour bien comprendre ce mécanisme, il n'est pas besoin d'aller chercher ailleurs qu'en cuisine une observation qui est la suivante : quand on met des fruits, telles des mirabelles, dans un sirop très léger, voire de l’eau, l'eau du sirop entre dans le fruit, le fait gonfler, puis éclater, même. Inversement, quand on met les fruits dans un sirop très concentré,  c'est l'eau de l'intérieur du fruit qui sort, de sorte que le fruit ratatine. Dans ce dernier phénomène, les échanges sont sélectifs, ce qui signifie que tous les composés ne sont pas autorisés à entrer ou sortir, de sorte qu'il est plus difficile de régler les échanges.

Souvent, en cuisine comme en science et technologie des aliments, on décrit des phénomènes complexes en disant rapidement  que le liquide « diffuse », mais cela n'est pas toujours exact, car, dans les phénomènes les plus généraux, plusieurs des trois mécanismes évoqués ont lieu simultanément, alors que la diffusion n'est que l'un d'eux. Surtout, les choses se passent à des vitesses très différentes, et, mieux, comme on le voit à propos de l'osmose, la nature des échanges diffère.
Il y a donc lieu de faire la différence. Par exemple, quand on met des feuilles de thé dans l'eau, il y a bien l'introduction de l'eau dans les feuilles par capillarité, diffusion des composés odorants vers l'eau, et osmose, puisque les feuilles de thé sont faites de cellules qui peuvent regonfler. Comment décrire le phénomène ? Dans un tel cas, selon la température, on dira simplement qu'il y a une macération (à température ambiante), ou une infusion (quand on place une matière dans de l'eau bouillante que l'on a cessé de chauffer),  ou une décoction (quand on fait bouillir le solide dans le liquide). Comme bien souvent en cuisine, il n'est pas nécessaire  d'aller y voir de trop près quand on n'a pas les yeux  pour cela. Par exemple, quand une viande brunit, il y a toute une série de réactions chimiques qui conduisent au brunissement, et la caramélisation, qui est une réaction des sucres, intervient, mais ce n'est qu'une des réactions. Il y a donc lieu d'éviter de dire « caraméliser une viande », sauf si l'on cuisait dans du caramel. Il suffit de dire justement « brunir la viande ». De même, dans le cas des échanges, il n'est pas nécessaire d'utiliser le mot «diffuser », quand on ne le maîtrise pas bien, et il suffit de parler d'échanges entre le liquide et le solide. C'est plus simple, non ? En tout cas, c'est plus juste !







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)   

Le billet du jour...

... est de nature "politique" : http://hervethis.blogspot.fr/2016/09/chimie-et-compagnonnage.html