samedi 20 mars 2010

Un commentaire et sa réponse

Ce matin, une question à propos de la formation de perles d'alginates. La réponse mérite évidemment d'être donnée, mais à mon avis, plutôt ici que sur mon blog personnel. Je la poste également sur le site du Centre d'assistance technique et d'innovation culinaires, où il trouve véritablement sa place :
http://www.agroparistech.fr/-Centre-immateriel-d-assistance-.html

La question est la suivante :

depuis peu j'essaie d'exercer la gastronomie moléculaire, pour réaliser des perles d'alginates, on doit les plonger dans un bain d'eau additionnée de chlorure de sodium ensuite dans de l'eau pour les rincer, je voudrais savoir s'il n'existe pas une autre solution (un autre bain) dans lesquels on pourrait les plongés sans passer par la phase du rinçage... (c'est juste pour une question d'alimentation, parce que le chlorure de sodium, pour ma part je suis pas trop pour)

Une remarque, tout d'abord : réaliser des perles d'alginate, c'est soit de la cuisine moléculaire, si c'est pour cuisiner, soit de la gastronomie moléculaire, si c'est pour étudier les phénomènes de gélification qui se produisent lors de la réalisation de telles perles, par exemple.
Ici, je ne peux trancher, et c'est parce qu'il y a le bénéfice du doute que je mets la réponse sur ce site, qui évoque la gastronomie moléculaire (science) et non la cuisine moléculaire (cuisine).

Pour ce qui est de la question proprement dite, mon interlocuteur se trompe, en disant qu'on doit les plonger dans un bain de chlorure de sodium.

Le chlorure de sodium, c'est le nom chimique du sel de table pur. Les cristaux blancs que l'on voit sont composés de deux types d'atomes : des atomes de chlore, et des atome de sodium. Dans les cristaux, et dans l'eau où ces cristaux sont dissous, ces atomes sont sous la forme d'ions (je n'entre pas dans les détails), et ils sont un peu modifiés, de sorte que l'on nomme ions chlorure les atomes de chlore modifiés (le sodium n'a pas de nom spécifique).

Pour faire des perles d'alginate, il y a deux façons principales, mais dans les deux cas, on utilise :
- des ions calcium : comme on en trouve dans le chlorure de calcium (un produit TRES amer), ou dans le lactate de calcium (mieux, du point de vue de l'amertume), etc.
- de l'alginate de sodium : les molécules d'alginates sont comme de très longs fils (longs à l'échellle des molécules!)

Les deux méthode sont :

1. soit on met de l'alginate de SODIUM dans une solution aqueuse (du jus d'orange, du jus de melon, du bouillon, du vin...) et l'on fait tomber des gouttes de cette solution alginatée dans un bain contenant des ions CALCIUM ; c'est la méthode "directe"

2. soit on met des ions CALCIUM dans un jus qui a du goût (ce que je nommais plus haut "une solution aqueuse") et l'on fait tomber des gouttes de ce mélange dans un bain contenant de l'alginate de SODIUM ; c'est la méthode inverse.

Dans les deux cas, quand le calcium vient au contact de l'alginate de sodium, il y a réticulation des molécules d'alginate (en gros, elles se lient, le calcium formant des points de fixation. Bref, ça fait une sorte de peau.
Dans le cas de la méthode directe, comme les ions calcium sont petits, ils peuvent traverser cette peau, et venir à l'intérieur des perles, ce qui gélifie progressivement ces dernières.
Dans le cas de la méthode directe, l'alginate, lui, ne traverse que très difficilement, de sorte que l'on conserve bien un coeur liquide au sein d'une petite peau gélifiée.

Dans la méthode directe, pour terminer, j'ai dit que l'on pouvait utiliser du chlorure de calcium pour faire la gélification... et que le chlorure de calcium était très amer. C'est pour cette raison qu'il faut rincer à l'eau.

Donc, au total, pas de chlorure de sodium!

Ah, j'y pense, pour terminer : tout cela est-il dangereux? Le chlorure de sodium, c'est le sel de table. Le calcium est réputé bon pour les os. Quant aux alginates, ils sont extraits des algues, tout comme bien des agents gélifiants utilisés en Chine depuis des millénaires. Que je sache, les populations asiatiques ont survécu !

Vive la gourmandise éclairée!

jeudi 4 mars 2010

Le monde ne se résume pas à des émulsions

Suite à un billet récent, je reçois la question :

Si je suis votre raisonnement, cela signifie-t-il que toutes les réalisations faites à base de chocolat et de beurre ne sont pas des émulsions?
Qu'en est-il de :
la ganache;
les kientzheims?



La réponse est la suivante :

A la température ambiante, une partie de certaines matières grasses (le beurre, le chocolat, la crème, mais pas les huiles) est sous la forme solide, et une partie sous la forme liquide ; c'est le "mélange" des deux (on devrait donc dire "la dispersion de l'un des deux dans l'autre") qui fait que ces produits sont mous, au lieu d'être durs comme du bois.
Du coup, quand on utilise beurre, crème, chocolat, foie gras... dans des préparations culinaires, une partie reste liquide et une autre solide, à la température ambiante, et on n'a donc pas des émulsions, puisque ces dernières ont une définition précise : ce sont des dispersions d'un liquide dans un autre liquide qui ne se mélange pas avec le premier (eau dans huile ou huile dans eau).

La ganache? On l'obtient en dispersant du chocolat dans de la crème. Initialement, la crème est un système fait de coeurs de graisse solide au centre de gouttes de graisse liquide, et ces objets que l'on pourrait noter S@O (S pour solide, @ pour "inclus", O pour graisse liquide) sont dispersés dans l'eau : (S@O)/W (/ pour dispersé, W pour eau).
Du coup, quand on ajoute du chocolat, on obtient le même type de système, tant que la proportion d'eau est suffisante.

Les kientzheims? Je rappelle que ce sont des "mayonnaises" où l'on a remplacé l'huile par du beurre fondu, à une température inférieure à 61 °C (avec du beurre noisette, c'est délicieux).
Tant que la matière grasse est chaude, on obtient une émulsion O/W, mais, en refroidissant, une partie des matières grasses solidifie, et l'on a (sans doute) le système (S@O)/W.

Oui, c'est plus compliqué qu'une simple émulsion... mais c'est aussi plus juste. Or j'ai foi que les simplifications ne doivent être conservées que jusqu'à ce qu'elles deviennent nuisibles!

vive la gourmandise éclairée