samedi 28 février 2015

Questions et réponses relatives à l'utilisation du Formalisme des systèmes dispersés (DSF)



Qu’est-ce qui prime, les phases ou les dimensions ?

Dans vos documents, j’ai noté que parfois vous décrivez les objets :
- avec les phases et opérateurs sans les dimensions
- ou avec les dimensions d’abord, puis la phase caractérisée entre parenthèses
- ou avec seulement les dimensions
Ma question est  : qu’est-ce qui prime ?

Ce qui prime ? Tout dépend de ce que l'on veut faire et peut-être aussi des systèmes considérés. On peut penser microstructure (les dimensions), ou bien nature de l'objet (les phases), ou encore le tableau complet.
C'est un choix, guidé par les questions particulières que l'on est en train d'étudier.
Par exemple, pour la description d'une émulsion, la formule O/W (de l'huile dispersée aléatoirement dans l'eau) est une bonne approche. On peut deviner que si la phase aqueuse W est la phase continue, alors l'huile dispersée aléatoirement est nécessairement de dimension inférieure. Bien sûr, on pourrait la désigner par D0(O), mais c'est presque évident, et, en tout cas, cela apparaît clairement.
En revanche, pour décrire des tissus végétaux ou animaux, puisqu'il s'agit de « gels » dans les deux cas, il vaut mieux introduire la dimension, parce que c'est bien cela qui caractérise d'abord la microstructure (fibrée) d'une viande ou d'un tissu végétal. Dans le premier cas, on a les fibres D1 dispersées aléatoirement dans la viande, d'où la formule D1/D3. Dans le second cas, ce sont des objects de dimensions 0 (D0) dispersés dans le tissus D3, d'où la formule D0/D3. Ensuite, pour ces deux cas, on peut spécifier que le tissu est solide : D3(S). Puis arriver à la description de l'intérieur des fibres musculaires : soit on considère que c'est une solution (W), soit on veut décrire quelque chose de plus compliqué, en considérant, par exemple, que le cytosol est un gel. Dans un cas que j'étudie, je pense choisir une description qui d’abord ne place pas les dimensions, pour faire comprendre le formalisme de base. Puis dire qu’on peut ajouter des dimensions. Est-ce correct ?

Oui, un bon exemple, c'est l'émulsion : O/W. Ici, seulement les phases, pas les dimensions.
Et l'on introduit les dimensions ensuite.
Historiquement, je n'avais pas compris que les dimensions étaient essentielles, et c'est en les introduisant que l'on peut distinguer des systèmes nouveaux : au lieu d'avoir de façon vague O/W, on peut avoir D1(O)/D3(W), ou D0(O)/D3(W), ou D2(O)/D3(W).
Cet exemple particulier montre bien pourquoi les dimensions s'imposent naturellement !

Ce qui me fait douter est que parfois, vous n’utilisez que les dimensions : pourquoi ? Par ex. dans le cas du gel d’échalote dans votre présentation sur le formalisme, ou des conglomèles  (D0/D3). Il est vrai que vous reprenez des documents de différentes époques.
Aussi, si l’introduction des dimensions a permis de mieux caractériser les objets et de les distinguer les uns des autres (même si ce n’est pas toujours utilisé), est-ce qu’on peut penser qu’en ajoutant les dimensions au classement des sauces on aurait d’avantage que 23 catégories ?

Pour les sauces, oui, on peut penser que l'ajout des dimensions augmentera le nombre de types physico-chimiques… mais ce n'est pas certain, car, dans les sauces, il y a peu d'anisotropie. Quand on a O/W, c'est toujours un D0(O), et toujours un D3(W).

Si nous retenons une première utilisation sans les dimensions, pourriez-vous me dire si les formules de ces éléments sans les dimensions s’écrivent bien de la façon suivante ?
mayonnaise : D0(O)/D3(W) = O/W
blancs en neige : D0(G)/D3(W) = G/W
crème anglaise : [D0(O)+D0(S)]/D3(W) = (O+S)/W
échalote : D0(S1xW)/D3(S2) = (SxW)/S
gel de gélatine : D3(S)xD3(W) = SxW
viande : D1(W)/D3(S) = W /S

C'est presque cela.
Pour la mayonnaise, nous en avons déjà parlé plus haut.
Pour des blancs en neige, il y a des bulles de gaz dispersées dans la phase liquide, d'où G/W. L'ajout des dimensions donne bien D0(G)/D3(W).
Pour la crème anglaise, il y a des agrégats protéines (D0(S)) dispersés dans la phase aqueuse, avec de la matière grasse émulsionnée, d'où les formules proposées. A noter, toutefois, que, comme nous l'avions montré lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, certaines recettes de crème anglaise qui indiquent de « faire le ruban » (fouetter les jaunes d'oeufs avec le sucre, jusqu'à blanchiment) conduisent à introduire des bulles de gaz qui sont conservées après la cuisson, de sorte que l'on aurait alors (G+O+S)/W, et, avec les dimensions (D0(G)+D0(O)+D0(S))/D3(W).
Pour des échalotes, si l'on considère du tissu parenchymateux, on a D0(W)/D3(S), en supposant que l'intérieur des cellules est liquide. Si l'on préfère considérer que le cytosol est un gel, alors on écrit (D0(W)xD0(S1))/D3(S2), ou, avec seulement les phases (S1xW)/S2. Toutefois, on peut ajouter les tissus conducteurs (xylème, phloème), qui sont abondants dans certaines parties, et l'on aurait alors : (D0(W1)xD0(S1)+D1(W2))/D3(S2)
Pour un gel de gélatine, c'est simple : SxW, ou, avec les dimensions, D3(S)xD3(W).
Pour la viande, votre formule est juste.


Précisions sur les opérateurs 
Je m’aperçois que j’ai encore du mal à complètement saisir les différents opérateurs, et à les expliquer en tout cas.
@ : inclus, je comprends bien
σ : superposé, ça me semble simple aussi (bien que du coup quelque chose superposé sur autre chose, je ne vois pas en quoi c’est un système dispersé ; il me semble donc que celui-ci entre en jeu seulement pour décrire un système complexe)

Oui, initialement, le DSF a été mis au point pour la description des systèmes dispersés, mais ultérieurement, notamment avec la seconde composante, qui avait été nommée NPOS (organisation non périodique de l'espace), il s'agissait de décrire toute construction. Et c'est pourquoi, notamment, le formalisme s'utilise à toute échelle.
D'autre part, imaginez que vous ayez non pas S1σS2σS3σS4σS5σS6... : cette fois, vous avez une dispersion !

/ : dispersé ; là je commence à douter, car je pensais que la dispersion c’était par ex. l’huile dans l’eau dans le cas de la mayonnaise, mais c’est aussi l’eau dans le solide dans le cas de la viande, ou un gel dans un solide pour l’échalote… Donc comment expliquer la dispersion ?
Pourquoi l’échalote s’écrit avec un gel dispersé dans un solide ?

L'opération désigne la dispersion aléatoire.
C'est bien le cas de la mayonnaise, où des gouttes d'huile sont dispersées au hasard dans la phase continue, qui est une solution aqueuse.
Mais il est vrai que si vous faites un schéma d'une mousse, d'une émulsion, d'une suspensions, par exemple, vous aurez toujours la même chose : une dispersion (au sens habituel du terme) dans une phase continue.
Pour la viande, il y a des structures liquides dispersées dans un solide tridimensionnel. Pour l'échalote, des structures liquides dans un solide. Donc l'opérateur / s'impose.

+ : mélange, coexistence de deux phases ; là encore, comment distingue-t-on la dispersion du mélange ? Est-ce qu’il y a mélange simplement quand deux phases liquides se rencontrent et donc ne forment plus qu’un seul liquide, ou bien deux huiles de la même façon ? Ou bien peut-il y avoir mélange de huile dans eau ou encore mélange de gaz dans l’huile par ex ? Comment ça se distingue de la dispersion ?
Une dispersion, c'est une dispersion : je jette du riz sur une table, et il se disperse sur la table.
Si j'ai du riz et des petits pois, il faut que j'indique qu'il y a deux objets : c'est pour cette raison que s'introduit l'opérateur +.

x : interconnexion de deux phases. Là je crois qu’il s’agit des gels uniquement ?

Non, cela peut être n'importe quelle phase. Il suffit de considérer que ces phases s’interpénètrent de façon continue.
Pensez par exemple à D3(G)xD3(S) : un solide poreux dont les pores sont plein d'air.



Pour les descriptions macroscopiques (les plats)

Dans le document que vous m’avez envoyé en réponse à ma question, le plat décrit l’est avec un autre formalisme, dérivé du DSF, mais où les phases sont S comme sauce, V comme herbes, C comme masse blanc crème, J comme masse jaune…
Je crois que ça raconte encore autre chose, ça va embrouiller les gens.
Mon idée serait plutôt de décrire des plats avec le même formalisme.
C’est ce que vous avez fait pour le Faraday : ((G+S1+O) /W) / S2

Dans le faraday, ce n'est pas une description macroscopique, mais microscopique !

On pourrait le faire pour l’œuf dur ?

Oui, pour un oeuf dur, au niveau macroscopique, c'est S1@S2. Mais ensuite plus dans le détail, si on considère le jaune et le blanc, il y aurait sans doute [(O/W1)XS1]@(W2xS2). Puis si on ajoute de la mayonnaise dessus, ce serait alors (O/W)σ ((WxS)@(WxS)).


Ordres de grandeur

Sur la pomme de terre : J’ai du mal à comprendre vos explications car je ne connais pas le tissu parenchymateux ni le cytosol.

Une pomme de terre, c'est fait de parties où des sacs sont empilés (les cellules), et des « canaux » (xylème, phloème). Le cytosol, c'est la matière à l'intérieur des cellules (parenchymateuses, donc ; puisque les canaux, eux, contiennent la sève, qui est un liquide différent)
Imaginons que je montre une pomme de terre : c’est un solide
S.
Mais
nous considérons maintenant le tissu parenchymateux, avec le cytosol assimilé à un liquide donc, on aurait D0(W)/D3(S) à condition de négliger les canaux.
Cela étant, il faut considérer les grains d'amidon qui sont évidents, dans les cellules de pomme de terre, de sorte que l'on aurait plutôt (S1/W)/S2 [R < 10-6]

Nature des objets décrits

Vous appliquez il me semble, en général, le formalisme pour décrire
- Soit des tissus animaux ou végétaux
- Soit des préparations : mais en général, seulement pour des sauces ou des bases de sauces ou d’appareil (blancs en neige, mayo, crème anglaise…), mais pas pour autre chose

En réalité, rappelez vous que le DSF peut s'appliquer à tous les produits formulés : cosmétiques, médicaments, peintures, etc. Il y a eu des travaux confidentiels sur les cosmétiques, par exemple.

Par nature, ces deux catégories sont tout de même très différentes- l’une est naturelle, l’autre est fabriquée, même si on peut se retrouver avec des formules identiques. Mais pourquoi donc se limiter, dans la catégorie des choses fabriquées, aux sauces ? Je veux dire, décrire une préparation autre que sauce avec le formalisme n’est-il pas utile pour en décrire la bioactivité ?

Je ne me limite pas aux sauces : regardez le chapitre 2 du livre Note à note

Est-ce que, dans le cas de tous les autres plats qu’on peut décrire (un œuf dur mayo, une quiche, un pot au feu, un faraday… Que sais-je) , l’application du formalisme n’est pas utile en science mais seulement en cuisine ?
Dans le livre « Mon métier pâtissier », j'ai fait un chapitre pour enseigner l'innovation en pâtisserie avec le DSF









Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Souvent, les auteurs de commentaires ne laissent pas d'adresse email, et c'est bien dommage, parce que je ne peux répondre à des questions personnelles que par des messages collectifs. N'hésitez pas, simultanément, à m'envoyer un email à herve.this@paris.inra.fr