samedi 10 juin 2017

Allergies ? La solution est donnée par la cuisine note à note

Ce matin, un message :

 Je suis un fidèle lecteur de la rubrique « Science et Gastronomie » de la revue  Pour la Science, que je lis en général en premier lieu et que j’apprécie toujours beaucoup.
 J’aimerais vous soumettre un cas concret : celui des problèmes d’allergies et de la difficulté à préparer certains repas.
En effet, mon petit garçon souffre de nombreuses allergies depuis sa naissance et la préparation de repas tourne parfois au cauchemar par manque de possibilités… et peut-être aussi d’idées.
En effet, les principaux ingrédients habituellement utilisés dans les préparations sont interdits :
·         lait animal et ses dérivés (beurre, fromage, yaourt, crème fraîche…)
·         Ssoja et ses dérivés (dont le lait de soja et tout ce qui contient de la lécithine de soja)
·        oeuf et ses dérivés
 ·          cacao et ses dérivés
·         tomate
·         agrumes et leurs dérivés (y compris tout ce qui contient de l’acide citrique)
 

Lorsque c’est possible, dans les recettes, mon épouse procède aux remplacements suivants :
 ·         Lait animal à lait de riz
·         Œuf + beurre à fruits mixés + huile de maïs
·         Tomate à carotte, aubergine
Exemples :
·         Crêpes : lait de riz + poudre de pudding (marque Impérial) + farine + sucre
·         Gâteau : fruits mixés (ou compote) + huile de maïs + farine + levure + sucre
·         Sauce blanche : lait de riz + huile de maïs + farine + épices
·         Pain au lait : farine + lait de riz + sucre + levure
·         Crème vanille : double dose de poudre de pudding (marque Impérial) + farine + sucre + lait de riz
 

Difficultés :
·         Les crêpes doivent être épaisses et sont relativement cassantes
·         La sauce blanche garde très peu de temps sa consistance et redevient vite liquide ; il est par exemple impossible de la réchauffer
 ·         Impossible de faire une mayonnaise
 ·         Une fois refroidie, si on remue un peu la crème vanille, le liquide a tendance à revenir en surface (phénomène semblable à celui de la sauce blanche)
 

Questions :
·         De façon générale, dans une recette, comment remplacer les ingrédients de base que sont le lait, le beurre et les œufs pour obtenir un résultat le plus proche possible en goût et en texture de la recette originale ? Par exemple, comment préparer une « mayonnaise » ? 
·         Pour les autres ingrédients tels que le cacao, la tomate ou les agrumes, par quoi pourraient-ils être remplacés pour obtenir un goût similaire (douceur, acidité, amertume…) ?À toutes fins utiles, vous trouverez ci-dessous la liste des ingrédients que notre fils tolère et dont nous ne sortons pratiquement jamais.
Je vous remercie déjà pour le temps consacré à ma demande et pour l’éventuelle suite que vous voudrez bien y accorder.



La question est à la fois grave et difficile. Je propose de commencer par l'analyser.
 Je vois principalement qu'il faut éviter lait et dérivés, oeufs et dérivés, agrumes ou chocolat.
D'autre part, je tique sur la phrase "comment remplacer les ingrédients de base pour obtenir un résultat le plus proche possible en goût et en texture de la recette originale ?", ainsi que "comment préparer une mayonnaise ?".
Car je sais que, par loyauté, nous ne devons nommer mayonnaise qu'une mayonnaise, à savoir une préparation qui a exactement le goût d'une mayonnaise. J'ai moi-même fait l'erreur, dans le temps, de parler de "mayonnaise sans oeuf"... ce qui n'est pas une mayonnaise et ne doit pas avoir ce nom... raison pour laquelle j'avais introduit le mot de "geoffroy". Et puis, surtout, pourquoi vouloir reproduire le goût des préparation classiques, alors qu'il y a un continent de goûts nouveaux devant nous ?

Avant d'arriver à des commentaires de la fin de la phrase précédente, commençons par examiner le cas des crêpes, qui sont classiquement obtenues soit à partir de blé noir (sans oeuf, mais du lait ou de l'eau), ou à partir de farine de froment, d'oeuf et d'eau ou de lait. Le lait peut être remplacé "fonctionnellement" par l'eau, mais l'oeuf ? Dans l'oeuf, ce sont les protéines qui, en coagulant, font un réseau qui enchâsse les grains d'amidon gonflés. L'amidon ? On peut prendre celui de la farine, du riz, des lentilles, des pois, féverole, chanvre... Les protéines de l'oeuf ? Elles n'ont que l'intérêt fonctionnel de coaguler, de sorte qu'on pourra les remplacer par n'importe quelle protéine qui coagule, éventuellement d'origine végétale.
Pour la mayonnaise, voyons maintenant les possibilités. Classiquement, une sauce mayonnaise est une émulsion qui s'obtient quand on fouette de l'huile dans le liquide obtenu par mélange de jaune d'oeuf et de vinaigre. Le vinaigre apporte du goût, en l'occurrence beaucoup de la saveur, tandis que le jaune d'oeuf apporte à la fois de l'eau, des protéines et des phospholipides, qui font tenir l'émulsion, et aussi  des composés qui donnent du goût, notamment de l'hydrogène sulfuré, qui donne ce goût caractéristique de l'oeuf.
Faire une sauce émulsionnée ? Pas difficile, par conséquent, puisqu'il s'agit simplement de disposer d'eau, de composés tensioactifs et d'huile... plus les composés qui ont du goût.
Ce fut, en 1987, ma proposition des "ollis" : quand on broie n'importe quel tissu végétal ou animal avec de l'huile, on obtient une sorte de généralisation de l'aïoli, qui peut être un oignoli, un carottoli, un poisonoli... En effet, dans tous les tissus animaux ou végétaux, il y a de l'eau, plus des tas de composés tensioactifs, protéines ou phospholipides des membranes cellulaires, par exemple. D'ailleurs, si l'enfant allergique supporte la viande, c'est l'indication qu'il n'est pas certain qu'il soit vraiment allergique à la lécithine de soja, comme cela m'est indiqué, et c'est sans doute un autre composé que la lécithine, présente dans la préparation, qui cause l'allergie.
Mais passons. Les olis ne sont qu'une possibilités, car avec de l'eau, de l'huile et n'importe quelle protéine, on fait une sauce émulsionnée. Le goût ? Celui que l'on veut. L'acidité sera intéressante, et s'obtiendra si l'on utilise du vinaigre... ou de l'acide tartrique, citrique, etc. Les composés odorants ? Pourquoi ne pas utiliser une de ces préparations si injustement décriées de l'industrie de parfums et "arômes" ? Je suis bien certain qu'il y a des artistes qui ont su reproduire ce goût de jaune, de sorte que leurs préparation trouveraient leur place ici.

A condition que cela ait un intérêt, car, en réalité, pourquoi vouloir reproduire le goût de la mayonnaise alors qu'une infinité d'autres goûts est possible ? Je prends une métaphore géographique : imaginons que nous soyons en Europe et qu'un petit endroit sans beaucoup d'intérêt soit interdit d'accès... alors que l'on vient de découvrir l'Amérique : pourquoi s'obstiner à rester dans le Vieux Monde, alors que le Nouveau s'ouvre à nous ?
C'est là, en réalité, la question de la "cuisine note à note", que je ne cesse de proposer depuis plusieurs années : alors que nous pouvons tout faire, toutes les consistances, toutes les saveurs, toutes les couleurs, toutes les odeurs..., pourquoi rester collés à nos mayonnaises ? Et pourquoi vouloir "reproduire", alors que la copie ne sera jamais l'original, et que, de ce fait, elle sera toujours considérée comme un ersatz, un pis aller, moins bien... Je propose que, surtout pour des enfants, nous faisions une cuisine vraiment moderne... où nous éviterons tous les composés génants !
C'est c'est aussi cela, l'intérêt de la cuisine note à note : les nutriments qui sont présents, les composés qui sont utilisés, peuvent l'être pour leur "fonctionnalité". Si l'on veut un émulsifiant, on utilise un émulsifiant... et si la lécithine de soja était vraiment à éviter, on prendrait un phospholipide de carotte ou de poisson... en se souvenant d'ailleurs que les protéines sont plus efficaces que les phospholipides pour cette fonction. On ne peut pas utiliser de protéines de jaune d'oeuf ? Qu'à cela ne tienne, car il y a un nombre infini de protéines à notre disposition, à commencer par la gélatine... et je renvoie vers les propositions que je fais mensuellement à mon ami Pierre Gagnaire, où l'on verra une foule de recettes nouvelles.

Bref, oublions la tomate, le cacao, l'oeuf et le lait, puisqu'ils n'ont aucun "intérêt" culinaire particulier, et construisons nos aliments à partir de composés que nous choisissons. Des recettes ? J'ai commencé à en donner dans mon livre "La cuisine note à note", et j'en ai ajoutées sur le site AgroParisTech. Comptez sur moi pour en mettre toujours davantage.

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