lundi 17 avril 2017

Le beau, en cuisine, c'est le bon

Une petite feuille par ci, une fleur par là, une petite brunoise, une lamelle de quelque chose, un copeau de ceci, une touche de cela... Les assiettes de ce type sont aujourd'hui légion, et il y a du maniérisme. On fait des bijoux, mais des bijoux comme des dentelles.

Et le goût, dans tout cela ? Car après tout, un petit objet ne pourra donner qu'un petit goût, sauf si la concentration est extrême.
Bien sûr, l'apparence du mets qui nous arrive peut être plus ou moins engageante, mais on devra considérer que cet "engageant" peut dépendre des convives : par exemple, pour certains groupes, le noir a le statut qu'a le blanc pour des Occidentaux. Pour certains, le vert a une connotation religieuse qu'il n'a pas pour d'autres. Certains aiment des styles particuliers, géométriques, que d'autres refuseront...
Bref, la question de l'apparence des mets est bien difficile, mais je me demande si la solution n'est pas analogue à celle que m'avait donnée mon ami Pierre Gagnaire quand je lui demandais comment saler : "Il ne vient à l'idée de personne de demander à un compositeur d'ajouter ou de retirer des violons, quand l'artiste conçoit une partition pour orchestre". Inversement l'art n'est pas l'arbitraire, et rien ne peut être laissé au hasard. L'art ne se résume pas non plus à des règles simplistes, comme j'en ai vues : mettre trois éléments dans l'assiette, ou bien déposer la masse principale aux trois quart du diamètre... Ce type de règles s'apparente à la prétendue règle de la beauté qu'est la construction selon le nombre d'or, avec cette croyance sous-jacente en une sorte de résonance cosmique complètement magique, enfantine en quelque sorte.  Mais passons sur cette question de l'aspect visuel, en signalant toutefois combien il a fourvoyé de cuisiniers. Chaque année, à Pâques, on voit des oeufs, des lapins, des poules, en chocolat, avec des formes et des couleurs qui feraient honte à des enfants des écoles. Dans les concours de cuisine, on voit des roses en pâte d'amande qui font un style de décoration qui date de plusieurs décennies. Même le grand Marie-Antoine Carême s'est fait prendre, lui qui, passionné d'architecture au point d'avoir réussi à introduire la "cuisine monumentale", a versé dans la réalisation de bâtiments, à l'aide de matériaux culinaires. Mais quel intérêt, puisque les réalisations ne se mangeaient pas ?

Je propose de ne confondre la cuisine ni avec la peinture, ni avec la sculpture. Du début à la fin, il doit y avoir le goût, car, en cuisine, le beau, c'est le beau à manger, c'est-à-dire le bon !


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