lundi 28 juillet 2014

La quiche


Par une sorte de réflexe idiot, j'ai failli écrire « la quiche lorraine », mais je serais tombé dans la périssologie, une faute, donc, car la quiche est lorraine !

Dans ce billet, je propose d'examiner la raison pour laquelle il est bien peu utile d'avoir des recettes pour cuisinier, quand on a ce qu'il faut entre les deux oreilles.

Analysons : une quiche, c'est de la pâte qui enferme une « migaine » coagulée. A ce stade, je ne peux m'empêcher de sourire, car, alors que je veux simplifier pour mes amis, j'utilise des mots comme « migaine », qui sont du patois lorrain. Rassurons-nous, il s'agit seulement d'un mélange d'oeufs, de crème, de lait, avec quelques lardons dedans. Nous y reviendrons.

Je repars donc du début : une quiche, c'est une pâte avec une préparation coagulée par dessus (on dit « un appareil », en cuisine). Il faudra donc considérer deux parties : la pâte, d'une part, et la migaine d'autre part.
Pour la pâte, nous savons tous qu'il y en a de sablées, brisées, feuilletées. Souvent, quand nous achetons une quiche, la pâte est feuilletée, parce que cela est le signe d'un travail plus élaboré, plus professionnel. Va pour la pâte feuilletée.

La pâte feuilletée ?

C'est tout simple.  On commence par faire un pâte en mélangeant la farine et de l'eau. 
Combien ? Ne vous en faites pas : partez de farine, et ajoutez de l'eau en mélangeant, cuillerée par cuillerée. Vous obtiendrez une pâte qui ne colle plus aux doigts.
Ce que l'on ne sait guère, c'est qu'il vaut mieux mettre cette pâte au frais sans quoi elle se rétracte. C'est ce que nous ferons, en mettant la pâte dans une  une feuille de plastique transparent, afin qu'elle ne sèche pas, ne croûte pas.

Puis nous la sortirons  après environ une heure, et nous l'étalerons en une galette un peu épaisse. Dessus nous déposerons du beurre malaxé pour qu'il soit mou : une masse comprise entre la moitié de la masse de pâte et la masse de pâte complète.
Nous posons une sorte de disque de beurre sur le disque de pâte, et  nous replions la pâte par-dessus le beurre pour l'envelopper comme une lettre dans une enveloppe. Puis, l'aide d'un rouleau à pâtisserie, nous étendons l'ensemble de sorte qu'il soit environ trois fois plus long que large, et nous le replions en trois.
Nous le tournons d'un quart de tour, et nous recommençons l'opération d'allongement et de repliement. 
Puis nous remettons la pâte dans le film, et nous remettons au frais, sans quoi, surtout en été, le beurre risque de fondre exagérément et de fuir tous les côtés.
Après une demi-heure à une heure de repos de la pâte au frais, nous reprenons l'ensemble, nous l'étendons trois fois plus long que large, nous plions en trois, nous tournons  d'un quart de tour, nous étendons trois fois  plus long que large, nous replions... et nous filmons, nous remettons  au frais.
Là, nous avons fait quatre tours. Il ne reste  que deux tours à faire, juste avant la cuisson.

Je n'explique donc pas comment on fera ces deux derniers tours, puisque j'ai déjà expliqué cela deux fois, mais je me limite à préciser que, finalement, nous étendrons  la pâte à la taille du  moule, un peu épaisse si nous voulons la voir gonfler considérablement, et très mince si nous voulons éviter le gonflement, ce qui est le cas pour une quiche.

Pourquoi le gonflement aurait-il lieu ? Parce que la pâte contient de l'eau, et que l'eau qui s'évapore prend plus de volume que l'eau liquide ; comme la vapeur est entre des feuillets de beurre, les feuillets de pâte se séparent avant de sécher. D’ailleurs, pour éviter un gonflement excessif, on a coutume de piquer la pâte avec une fourchette, ce qui soude les couches, mais conserve  une consistance feuilletée.
La cuisson ? Un four à 180° pendant 30 à 50 minutes fait l'affaire. Faites donc des essais : vous identifierez les paramètres qui vous conviennent, et votre entourage sera ravi de participer à des expérimentations qui se concluent toujours par la dégustation.

Reste l'appareil, la migaine, la préparation qui coagule. 

Nous avons vu qu'il s'agit de lait et de crème, c'est-à-dire d'eau et de matière grasse, mélange auquel on ajoute de l'oeuf, c'est-à-dire de l'eau et des protéines.
À la cuisson, les protéines coaguleront,  fixant l'ensemble dans une sorte de grand filet, de sorte que l'eau restera dans le réseau, tout comme les morceaux de lard qui, eux, contrairement aux molécules d'eau, sont bien visibles à l'oeil nu. Le lard ?  C'est de la poitrine fumée, que  vous aurez ou non fait rissoler par avance ; c'est une question de goût

A ce stade, il faut évoquer différentes écoles. Il y a ceux qui mettent la migaine dans la pâte, directement, et ceux qui cuisent d'abord la pâte à blanc, afin qu'elle soit bien cuite, et qui, dix minutes avant la fin de la cuisson, ajoutent la préparation afin qu'elle reste tendre.
Les bons cuisiniers lorrains ont l'habitude de dire que la quiche est prête quand elle se met à gonfler. C'est en effet le signe que la coagulation a eu lieu, et que la vapeur qui voudrait s'échapper est bloquée par la migaine juste coagulée.

Ah, j'ai oublié nombre de détails : muscade, sel, poivre... mais rappelez-vous que je ne suis pas cuisinier. Si j'ai de bons maîtres, je propose surtout ici d'analyser la composante technique de la cuisine. Pour la partie artistique, je vous renvoie aux artistes... Mais attention : aux artistes ! Pas aux techniciens.

Et, pour terminer, rappelons que la cuisine, c'est d'abord du lien social, avant d'être de l'art ou de la technique. 

La vraie question est de savoir comment donner du bonheur à nos amis. Faire une quiche, c'est bien, mais nos amis percevront-ils  tout le mal que nous nous sommes données pour eux ?
Cela peut apparaître si l'on a bien déposé la pâte, si l'on évité que le fond charbonne, si l'on a une surface légèrement brunie, si la quiche paraît gourmande, avec assez de lardons, coupés de la bonne taille, soigneusement désossés...
Et puis, il y a tout le reste : le plat où la quiche est placée, la nappe sur laquelle le plat est posé, les couverts soigneusement disposés, le couteau avec sa lame vers le convive, et la fourchette à la française, avec les dents  vers la nappe, au lieu de montrer des pointes agressives à nos vis à vis. Il y a la lumière, la couleur, l'environnement sonore, le moelleux des coussins ou la bonne assise des chaise.

Bref, une quiche, c'est bien plus qu'une quiche, et c'est seulement si l'on a bien dit je t’aime que nos amis le percevront clairement, et qu'ils auront toutes les bonnes raisons de nous aimer en retour. La quiche ? Une occasion de ne pas manquer d'établir de merveilleuses relations entre les individus. J'aurais pu dire cela de n'importe quel plat, et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 27 juillet 2014

La merveilleuse histoire du sotolon.




Sotolon, qu'est que cet animal étrange ?



 Ce n'est pas un animal mais un composé, une lactone, c'est-à-dire un composé dont les molécules comprennent des atomes groupés en cycle pentagonal, avec quatre atomes de carbone et un atome d'oxygène ; sur ce cycle, s'attachent des groupes moléculaires variés.



Le sotolon a une odeur puissante, qui dépend de sa concentration. Selon les cas, on sent (dans le désordre) la noix, la levure, le curry, le vin jaune, le porto, la brioche, le champagne, le fenugrec... De fait, il est présent dans ttous ces produits, notamment, et il fut découvert il y a quelque années qu'il est également présent dans le vin jaune : ce composé semble produit par l'autolyse des levures, la dégradation de ces dernières qui survient quand elles meurent. Pas étonnant, alors, qu'on la trouve dans le pain, la brioche, le champagne, etc., puisque des levures meurent dans tous ces aliments et boissons.



Cette observation est une clé pour le praticien : plus il mettra en œuvre de levures qui mourront, plus il favorisera la production de ce goût merveilleux qui est celui du sotolon.

Une brioche ? Faisons la fermenter, puis, quand la fermentation s'arrête, rabattons la pâte, c'est-à-dire travaillons la afin que les levures restantes se retrouvent au contact de nutriments frais, et que le gonflement se produise une deuxième fois. J'ai dit deuxième et non seconde, parce que l'on aura compris qu'il n'est pas inutile de battre à nouveau afin de favoriser une troisième fermentation, une quatrième, etc.





Et c'est ainsi que les pâtes fermentées prendront un goût merveilleux, pas réductible au sotolon, mais où celui-ci jouera une partie essentielle.



 








Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

La merveilleuse histoire du sotolon.



Sotolon, qu'est que cet animal étrange ? Ce n'est pas un animal mais un composé, une lactone, c'est-à-dire un composé dont les molécules comprennent des atomes groupés en cycle pentagonal, avec quatre atomes de carbone et un atome d'oxygène ; sur ce cycle, s'attachent des groupes moléculaires variés.
Le sotolon a une odeur puissante, qui dépend de sa concentration. Selon les cas, on sent (dans le désordre) la noix, la levure, le curry, le vin jaune, le porto, la brioche, le champagne, le fenugrec... De fait, il est présent dans ttous ces produits, notamment, et il fut découvert il y a quelque années qu'il est également présent dans le vin jaune : ce composé semble produit par l'autolyse des levures, la dégradation de ces dernières qui survient quand elles meurent. Pas étonnant, alors, qu'on la trouve dans le pain, la brioche, le champagne, etc., puisque des levures meurent dans tous ces aliments et boissons.
Cette observation est une clé pour le praticien : plus il mettra en œuvre de levures qui mourront, plus il favorisera la production de ce goût merveilleux qui est celui du sotolon. Une brioche ? Faisons la fermenter, puis, quand la fermentation s'arrête, rabattons la pâte, c'est-à-dire travaillons la afin que les levures restantes se retrouvent au contact de nutriments frais, et que le gonflement se produise une deuxième fois. J'ai dit deuxième et non seconde, parce que l'on aura compris qu'il n'est pas inutile de battre à nouveau afin de favoriser une troisième fermentation, une quatrième, etc.
Et c'est ainsi que les pâtes fermentées prendront un goût merveilleux, pas réductible au sotolon, mais où celui-ci jouera une partie essentielle.

vendredi 25 juillet 2014

Les réactions de Maillard ? Pensons "pyrolyse"


Je suis un peu fautif, car, il y a quelques décennies, j'avais voulu dire au monde combien Louis Camille Maillard était remarquable. 

Louis Camille Maillard était un chimiste de Nancy, comme l'était mon grand-père maternel, et, ayant appris que Maillard avait découvert ce que l'on nomme aujourd'hui les réactions Maillard, j'avais été étonné de voir que l'homme était quasi inconnu, dans sa ville comme dans son pays. 

J'ai donc écrit des lignes vibrantes d'indignation, pour dire combien Maillard était, tel un Parmentier ou un Appert, un bienfaiteur de l'humanité. Mon militantisme a fait le este, et le monde de la cuisine ne parle plus que des réactions de Maillard, au point que les cuisiniers voudraient m'enseigner ce que sont les réactions de Maillard. 


Et c'est la que cela coince, parce que les cuisiniers disent, hélas très souvent, que les réactions de Maillard ne se font qu'à haute température. 

Je viens d'apprendre que cela est même enseigné dans un cursus un peu étrange de Harvard, un bizarre mélange de science et de cuisine dont on ne sait pas très bien s'il s'agit de sciences ou s'il s'agit de cuisine, et dont on ne sait pas très bien non plus si les enseignants de science sont des cuisiniers et les enseignants cuisine sont des scientifiques. 
 
Bref, il est dit que les réactions de Maillard ne se feraient qu'à haute température, et cela est faux, archifaux ! 
 
Les réactions de Maillard se font à température ambiante, comme à haute température. Bien sûr, pas à la même vitesse dans tous les cas : les réactions se Maillard se font plus lentement à basse température qu'à haute température. En chimie physique, une règle approximative dit que la vitesse d'une réaction double quand on augmente la température de 10 °C. 
Faisons donc un calcul d'ordres de grandeur. Supposons que les réactions de Maillard se fassent en 10 minutes à 180C. Elles se feraient donc en 20 minutes à 170 °C, en 40 minutes à 160 °C, et ainsi de suite. Je vous laisse calculer combien de temps il faudra pour que ces réactions se fassent à la température du corps humain (environ 40 °C)... et vous comprendrez pourquoi les personnes souffrant de diabète ont le cristallin qui s'opacifie. Oui, vous avez bien deviné : il s'agit des réactions de Maillard, dues à la forte concentration en glucose, en présence de protéines. Il y faut une vie, environ, mais les réactions de Maillard sont en causes, comme pour le durcissement des viandes, chez les animaux âgés. 
 
A ce stade de l'explication, mes interlocuteurs me demandent souvent si les viandes bruniraient à 40 °C. La réponse est non, car les réactions de Maillard ne sont que des condensations entre sucres et acides aminés. C'est ensuite, qu'il peut avoir d'autres réactions, réarrangements, dégradations de Strecker, pyrolyses... qui font le brunissement. Il y a deux questions séparées, et l'on aurait bien raison de séparer. 

 
Oui Maillard fit un travail remarquable, et ce chimiste de Nancy ne méritant pas d’avoir été oublie. Pour autant, il n'est pas néccessaire de prétendre qu'il soit partout en cuisine ! Je suis bien confus, donc, et vous invite plutôt à retenir ce mot : « pyrolyse ».




Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 24 juillet 2014

Comment éviter l'huile dans les frites ?

Les frites sont un mets merveilleux, bien sûr, mais déconseillés quand on fait un régime, parce qu'il est souvent bien difficile d'éviter l'huile qui les accompagne.
Or dans un régime, la matière grasse est vraiment à éviter : c'est le composé le plus énergétique de notre alimentation, et, pis encore, plus on en mange, mieux on la stocke dans nos tissus adipeux. Combien y a-t-il d'huile dans les frites ? Essayons de le savoir par une expérience.


Taillons un bâtonnet de pomme de terre et plaçons-le dans de l'huile très chaude, par exemple à la température de 180 degrés Celsius. Immédiatement, nous voyons des bulles sortir du bâtonnet, avec un bruit de crépitement qui correspond à l'éclatement des bulles. Si nous plaçons un verre froid dans la fumée blanche qui s'élève au-dessus de l'huile, nous voyons la fumée se condenser, former une buée sur le verre, un liquide, et nous pouvons, en goûtant, nous assurer que c'est bien de l'eau. Autrement dit, la chaleur évapore l'eau des pommes de terre, et parce que un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur, le volume considérable de la vapeur formée éjecte les bulles en dehors du bâtonnet de pomme de terre, ce qui repousse l'huile. Autrement dit, pendant la cuisson, l'huile n'entre pas dans les frites.


On peut corroborer cette observation avec l'enregistrement de la pression dans une frite : on voit la pression augmenter lentement, et, quand on sort la frite du bain, la pression cesse d'augmenter, avant de diminuer, après une minute environ. Diminuer ? Cela signifie donc que la vapeur se recondense, de sorte que la frite absorbe alors certainement l'huile qui adhère à la pomme de terre, en surface.


D'où l'expérience qui consiste à prendre un des bâtonnets de pomme de terre, à les mettre dans l'huile chaude, puis à cuire comme on cuirait des frites. Quand elles sont cuites, on les sort de l'huile et on les divise en deux lots. L'un des lots est laissé en l'état, tandis que l'on éponge soigneusement les frites de l'autre lot, afin d'éliminer l'huile en surface.

A la suite de quoi on pèse... et l'on s'aperçoit que la quantité d'huile en plus ou en moins, est de 25 g pour 100 g de pommes de terre ! Vous avez bien lu : un quart de la masse des frites est de l'huile ! Décidément, il est judicieux d'éponger les frites au sortir du bain. Et nous savons maintenant que nous avons une minute pour le faire.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

vendredi 18 juillet 2014

La cuisson des épinards.


Passons rapidement sur les questions d'enfants, les « je n'aime pas les épinards », et consacrons-nous plutôt à cette recette d'épinards effleurée par Jean Antelme Brillat-Savarin, à propos d'un certain « chanoine Chevrier ».





Brillat-Savarin, qui était juriste et gastronome, et non scientifique, a recueilli des anecdotes, et il les a propagées quand elles étaient suffisamment gourmandes, sans se préoccuper de la véracité des faits.

Dans celle qui est relative au chanoine Chevrier, il est dit que ce dernier ne mangeait les épinards que lorsqu'ils avaient été cuits plusieurs jours de suite dans du beurre, et Brillat-Savarin laisse entendre que les épinards se sont gonflés de beurre. C'est séduisant, mais est-ce juste ?







Les épinards sont des tissus végétaux, faits de cellules solidarisées par une paroi végétale, une sorte de ciment. Les cellules sont comme de petits sacs principalement constitués d'eau. Quand on cuit les épinards, le tissu végétal est amolli, parce que les molécules de pectines (le ciment) sont dégradées. On voit un peu d'eau sortir des feuilles, et, évidemment, il n'a pas de variation totale de masse, car rien ne se perd, rien ne se crée.



Si l'on cuit les épinards dans du beurre, on voit ce dernier perdre environ un cinquième de sa masse, car le beurre est composé environ de 80 % de matière grasse et de 20 % d'eau (la proportion maximale d'eau est précisément définie par la loi, afin que l'on évite de vendre du beurre alourdi avec de l'eau).



Cuire les épinards dans du beurre, c'est à la fois fondre le beurre, amollir les feuilles, évaporer de l'eau apportée par le beurre et par les feuilles. Finalement, la matière grasse liquide se placera entre les feuilles par capillarité, et le fait que les feuilles soient très minces conduit à une bonne possibilité de migration de la matière grasse : on obtient une sorte de mille feuilles épinard/beurre/épinard/beurre...

Toutefois, après une certaine quantité de beurre, on en vient à produire une dispersion des épinards dans du beurre, ce qui n'est guère appétissant : du beurre aux épinards. Certes, la cuisson renouvelée du beurre conduit à améliorer le beurre noisette qui se forme progressivement. Et l'on sait combien le beurre noisette est bon ! Autrement dit, les épinards deviendraient l'excuse pour manger un merveilleux beurre noisette !



Ce qui doit m'inciter à vous dire que mon ami Pierre Gagnaire, quand il prépare du beurre noisette, ajoute périodiquement de l'eau (plus justement du jus de citron, d'orange...) afin de ralentir, de commander le brunissement de la matière grasse, qui ne doit jamais charbonner. Les procédés de confection du beurre noisette sont très mal connus du point de vue chimique, et il y aurait intérêt public à une exploration scientifique poussée, mais, en attendant, s'il est clair que les épinards recuits dans le beurre prennent un goût différent, il n'est pas moins vrai que cuire sept fois les épinards n'a aucun intérêt, et relève plus du fantasme gourmand que d'un bon principe technique. Cela est une probabilité, et non une certitude, de sorte que j'invite mes amis à cuire les épinards une fois, deux fois, trois fois... et à les comparer.



Que se passera-t-il si l'on montre que Brillat-Savarin a simplement fait rêver ? D'une part, la connaissance des mécanismes par lesquels la lune brille n'amoindrit pas la poésie du clair de lune. D'autre part, on sera fixé sur les conditions de la cuisson correcte des épinards, ce qui permettra d'en préparer de meilleurs pour nos amis. Enfin, je peux témoigner que, croyant pour l'instant que l’anecdote de Brillat-Savarin est pure invention, mon état d'esprit ne m'empêche ni d'admirer l'oeuvre de Brillat-Savarin ni de rêver à des épinards délicieusement cuits.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

jeudi 17 juillet 2014

On a enseigné des choses fausses pendant au moins un siècle !



Depuis au moins 1901 (j'ai une trace écrite), on enseigne une théorie de la cuisson qui est la suivante : il y aurait une cuisson par « concentration », pour le rôti, par exemple, et une cuisson par « expansion » pour les viandes bouillies, par exemple. Et puis il y aurait une cuisson mixte.
Que  penser de tout cela ?
Commençons par examiner la cuisson par « concentration ». Les manuels de cuisine, jusqu'à une époque extrêmement récente, comportaient un schéma où  l'on voyait des flèches vers l'intérieur, mais que représentaient-elles ? La chaleur ? Si c'était le cas, les schémas de tous les types de cuisson auraient dû tous comporter des flèches vers l'intérieur, pour les rôtis  comme pour les bouillons. En réalité, les livres de cuisine  disaient que ces flèches représentaient le jus et le goût. Le jus ? Ce n'est pas possible, car la viande est faite de matières solides et de matières  liquides, toutes deux incompressibles ; de ce fait, le jus  ne peut pas affluer à coeur, car le jus est majoritairement fait d'eau, qui n'est pas compressible. La preuve que  l'eau n'est pas compressible ? Elle est dans tous les garages automobiles du monde : on soulèves les voitures sur le pont à l'aide d'un vérin hydraulique ! Et puis, si nous pesons un rôti avant et après puissant, nous voyons qu'il perd du jus, de sorte que les flèches qui auraient représenté le jus auraient  du être vers l'extérieur, et non vers  l'intérieur.
Le goût ? Si l'on coupe la partie externe de la viande, on voit  qu'il n'y a pas de goût cuit à l'intérieur, et que seule la croûte prend du goût lors de la cuissons. Conclusions: puisqu'il n'y a aucune concentration dans cette cuisson fautivement dite « par concentration », il faut abandonner cette dénomination fautive.

Pour la cuisson anciennement dite  par « expansion », il en va de même. Dans ce cas, les flèches qui étaient représentées vers l'extérieur pouvaient effectivement représenter les jus, mais certainement pas la viande, car cette dernière se contracte, comme  on s'en aperçoit facilement lorsqu'on fait l'expérience. Autrement dit, il n'y a pas d'expansion dans la cuisson qui était fautivement dite « par expansion ».
Quant à la cuisson mixte, c'est un affreux salmigondis.


Je suis heureux de vous dire que cette théorie fausse a été supprimée, mais je suis bien malheureux de dire aussi que  quelques professeurs  continuent de l'enseigner et quelques professionnels continuent de la réclamer, à l'examen, alors que les indications de l'Education nationale excluent clairement un tel enseignement. Les théories fausses ne meurent pas, mais ceux qui les soutiennent disparaissent. Il suffit d'attendre. Militons quand même !






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

dimanche 13 juillet 2014

Lors de la confection d'un bouillon, est-il bon de mettre la viande dans l'eau froide ?



Les livres de cuisine indiquent, depuis des siècles, que les bouillons de viande doivent toujours démarrer à l'eau froide, et jamais à l'eau chaude, sans quoi la viande, qui coagulerait en surface, ne laisserait par sortir autant le jus que si elle est plongé dans l'eau froide. Que penser cette prescription ?
 
La première expérience à faire consiste à placer deux moitiés d'une même viande (pour simplifier, on fait des morceaux de même masse), l'une dans l'eau froide, et dans l'autre dans l'eau bouillante, puis on pèse à intervalles irréguliers.

Analysons : s'il était vrai que la viande placée dans l'eau chaude laissait moins sortir les jus que dans l'eau froide, cela signifierait que la viande de chaude devrait avoir une masse supérieure à la viande dans l'eau froide. 
 
De fait, les mesures montrent des différences entre les viandes froides et dans l'eau chaude... mais les différences sont exactement l'inverse de celles qu'on attendait ! Dans l'eau chaude, la masse de la viande à l'eau froide est inférieure à la masse de la viande à l'eau chaude ; puis, après environ une heure et demie, les deux morceaux de viande ont la même masse au gramme près ! Ce qui compte, c'est la température atteinte au cœur de la viande, et non pas la façon dont on attteint cette température. 
 
Certes, nous n'avons pas considéré le goût, mais seulement la masse, et l'on pourrait imaginer que les bouillons soient différents. Toutefois, dans nos essais, nous n'avons pas vu différence de goût entre les deux bouillons, ce qui est ... troublant.

 Troublant : c'est le mot important, car il est vrai que la viande dans l'eau bouillante produit un bouillon bien plus trouble que dans l'eau froide. Or le monde culinaire veut des bouillons clairs. C'est peut-être là l'origine la précision culinaire.

Cuisons des carottes... au premier ordre, et sans équation.



Comment s'y prendre pour décrire la cuisine ? Cette dernière est si variée qu'il nous faut un ordre. Et, évidemment, il vaut mieux commencer par ce qui est le plus "iimportant". 
Pour savoir quels ingrédients culinaires sont les plus populaires (oui, je me mets évidemment dans le peuple !), il suffit d'aller dans un endroit populaire, tel un supermarché. Dirigeons-nous vers le rayon des fruits et légumes, puisqu'il s'en trouve toujours un (d'ailleurs, ces rayons s'imposent de plus en plus, comme ceux de la boucherie, de la poissonnerie et de la boulangerie), et observons. A toutes les époques de l'année, on y trouve des carottes, de pommes de terre, des navets, des choux, des oignons, de l'ail, des citrons, des bananes, des pommes, des oranges, des avocats, des kiwis, des salades, du persil. Je ne cherche pas à juger si la présence de ces ingrédients est ou non légitime ; je ne cherche pas à connaître les raisons éventuellement capitalistiques de la présence de ces ingrédients, mais l'observation précédente conduit à penser que la cuisine française part principalement de ces ingrédients (en supposant que les plats préparés ne l'emportent pas aujourd'hui).
Le plus utilisé de tous ces ingrédients ? C'est ans doute le moins cher : la pomme de terre. Mais vient bientôt la carotte. Nous avons déjà considéré la cuisson de la frite, et nous pourrons examiner, dans un autre billet, la cuisson de l'oignon, qui a un statut un peu particulier, mais, dans l'ordre, nous devons considérer la cuisson des carottes.

Signalons d'abord que les carottes, qui sont des racines, dans la terre, sont sans cesse menacées par des animaux, gros ou petits, qui veulent les manger. Les carottes se sont donc protégées par une peau, qui peut être dure, difficilement attaquable, ou qui contient des composés toxiques pour les agresseurs. C'est ainsi que nombre de produits végétaux contiennent à leur surface des pesticides parfaitement naturels... et pas sélectifs : pas dirigés seulement contre les agresseurs non humains, mais contre tous ! Voilà pourquoi nous aurons bien raison de ratisser les carottes et d'éliminer la couche superficielle possiblement toxique.
Reste maintenant que la carotte peut être dure, ce qui a conduit l'humanité à la cuire, notamment en vue de l'attendrir. A ceux qui croient naïvement qu'il y eut un âge d'or de l'alimentation avant nous, on rappellera quand même que la grande difficulté de l'humanité, à part les famines, était de ne plus avoir de dents, de sorte que la cuisson qui attendrissait les légumes durs était un véritable atout. Cela se mesure, et ce n'est pas un discours poétique.
Et c'est un fait que la cuisson attendrit les carottes. Pourquoi ?

Les carottes sont faits de petits sacs jointifs, les cellules végétales, cimentées par la paroi végétale, qui est faite essentiellement de celluloses, d'hémicelluloses et de pectines. La cellulose, c'est une matière dont les molécules sont très inertes chimiquement aux températures de la cuisine. La preuve, c'est que notre tee shirt en coton, fait de cellulose, ne se dissout pas dans les machines à laver (l'eau y est si chaude qu'on peut cuire un œuf, de la viande, du poisson...), même après de nombreux lavages. 
Autrement dit, si la cuisson attendrit les carottes, ce n'est sans doute pas la cellulose qui est en cause, et, d'ailleurs, ce n'est pas elle qui est en causse, mais plutôt les pectines, sortes de fils enroulés autour des molécules de cellulose. Quand on cuit des végétaux, notamment des carottes, les pectines sont dégradées par une réaction nommée élimination bêta : les molécules de pectine sont coupées en petits morceaux, ce qui libère dans le liquide de cuisson un sucre nommé « acide galacturonique ».
Cela, c'est au premier ordre seulement, car les pectines sont faites de bien d'autres sucres que l'acide galacturonique : rhamnose, glucose, etc. Mais au premier ordre, les pectines sont des enchaînements de fragments analogues à l'acide galacturonique (on dit des résidus d'acide galacturonique), et, en tous cas, il y a beaucoup d'acide galacturonique libérés par l'élimination bêta. 
Et c'est ainsi que les cellules de carotte, désolidarisées en raison de la dégradation partielle des pectines, se séparent les unes des autres, formant une purée molle, le ciment entre les briques étant dégradé. Même avec de mauvaises dents, on peut alors bénéficier ce tous les composés (nutriments) présents dans les sucres. 

La cuisson, acte parfaitement artificiel, a donc transformé la carotte crue immangeable par nos ancêtres en purée de carotte consommable même quand nous sommes âgés. Il y a eu une transformation molécules, des « réactions chimiques », et le cuisinier, sans en connaître l'explication moléculaire, a opéré une telle transformation, pour notre plus grand bonheur nutritif.



Pourquoi faut-il du sucre en abondance pour faire des confitures.




Commençons par le commencement. Les confitures se sont introduites dans l'alimentation humaine, parce que l'on voulait conserver les aliments, qui, plein d'eau et de nutriments, attirent les micro-organismes. C'est pour éviter le pourrissement que nos ancêtres ont cuit des fruits avec du sucre, parce qu'ils avaient observé que ce sucre permettait d'obtenir des conserves, sucrées de surcroît : on dit même que le corps d'Alexandre le Grand fut conservé dans du miel.

Merveille : le liquide obtenu lors de la cuisson de végétaux dans du sucre solidifie au refroidissement, formant un gel, ce que la cuisine nomme une gelée lorsque le liquide a été passé et qu'il n'y a plus de morceaux.



La confiture est donc un gel, et cela vaut la peine de se demander pourquoi. Dans un billet précédent, nous avons vu que la cuisson des fruits libère dans la confiture des molécules analogues à des fils, à savoir les molécules de pectines. Quand la confiture est encore chaude, elle est liquide, parce que les molécules de pectine flottent au milieu des molécules d'eau, en compagnie de toutes les molécules qui donnent de la saveur, de la couleur, du goût. Notamment les molécules de saccharose.

Lors du refroidissement, les molécules de pectine peuvent se lier les unes aux autres pour plusieurs raisons, mais notamment parce que les « fils » ont des parties qui ne se dissolvent pas bien dans l'eau. Puisque le fil tout entier est dans l'eau, ces parties se regroupent pour former des zones où l'eau est exclue ; en quelque sorte, ces parties se protègent de l'eau. Le sucre, qui, lui, se dissout très bien dans l'eau, ne se lie pas non plus à ces parties, et quand il est en abondance, comme le prescrivent les recettes de confiture, il favorise ces associations.

Et c'est ainsi que l'on observe que les confitures peuvent gélifier quand la concentration en sucre est comprise entre 40 et 60 pour cent environ. C'est là une des conditions de la prise des confitures. Comment faire le dosage ? On aura une bonne approximation en considérant que les fruits sont faits d'eau, et que le sucre est du sucre. Autrement dit, il faut moitié d'eau et moitié de sucre, environ.







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 5 juillet 2014

La prétendue cautérisation de la viande



De nombreux livres de cuisine indiquent que l'on doit saisir les viandes sautées afin de cautériser la chair, d'empêcher le jus de sortir. Que penser de cette prescription ?

Faisons l'expérience de poser un steak dans une poêle très chaude, et observons : nous entendons du bruit, nous voyons des bulles à la base du steak, et nous voyons aussi une fumée s'élever. 
Si nous mettons un verre froid dans la fumée, nous le voyons se couvrir de buée, ce qui montre que de l'eau s'évapore de la viande... ce qui est bien naturel, puisque l'on chauffe de la viande, laquelle est faite de 60 pour cent de protéines et de 40 pour cent d'eau. 
 
Disposant de cette première observation, nous pouvons maintenant comparer deux poêles où cuisent deux moitiés d'un même steak, l'une chauffée doucement et l'autre chauffée très fort. 
Dans les deux cas,  il y a de la fumée. Autrement dit, que l'on chauffe doucement ou énergiquement, de l'eau s'évapore ; autrement dit, si par hasard il y avait cautérisation, cette dernière ne préviendrait pas efficacement la sortie du jus ! D'ailleurs, prenons un steak sauté vivement et posons-le dans une assiette : rapidement, la viande surmonte une flaque de jus, preuve que la cautérisation ne prévient pas la sortie du jus. 
 
Pourquoi cette prescription, alors ? Parce que si l'on cuit lentement une viande, un thermocouple que l'on placera sous la viande, au contact de la poêle, montrera une température constante de 100° : c'est l'indication que le débit de sortie du jus de viande est supérieur à la vitesse l'évaporation du jus. En revanche, si nous sautons très vivement la viande, nous pouvons observer que la température sous le steak argumente considérablement, atteignant 180, 200, 250°, signe qu'il n'y a plus d'eau liquide et que, contrairement au cas précédent, on n'est pas en train de faire bouillir la viande. 
De ce fait, les réactions chimiques responsables de la formation de composés sapides, odorants, colorés ont lieu, et la surface de la viande prend un goût bien particulier.

Comment rendre cela quantitatif ? 

Bien sur, il y a eu la mesure de la température sous la viande, mais pourrions-nous faire un modèle ? Nous pourrions vouloir calculer l'épaisseur de la croûte. A cette fin, il faudrait déterminer la puissance transmise à la viande, ce qui pourrait se faire en remplaçant la viande par une petite coupelle pleine d'eau. En mesurant la température de l'eau, on pourrait suivre l'échauffement, et déterminer la puissance de chauffage. Puis, de ce fait, on pourrait calculer l'épaisseur de la croûte formée. 

Et c'est alors le début d'une longue histoire, celle d'une exploration scientifique de la cuisson des viandes.Vive la gastronomie moléculaire ! 


jeudi 3 juillet 2014

Une conférence à Montréal, avec Pierre Gagnaire

Vous avez manqué la conférence d'@Herve_This et de @PierreGagnaire lors de leur visite à l'ITHQ? Voici l'intégrale : youtu.be/3ZqFd85bWF4